Dans une interview qu’il a bien voulu nous accorder, le Procureur de la commune IV, Dramane Diarra, farouchement opposé à ce mouvement de grève dès le départ, nous explique davantage ce qui motive sa position.
Aujourd’hui-Mali : Si on vous demande de qualifier cette grève, que diriez-vous ?
Dramane Diarra : Cette grève est illégale. Et je n’ai pas attendu la Cour Suprême pour dire cela. Par rapport au préavis d’abord, car chaque grève est soutenue par un préavis. On ne va pas en grève comme çà, sans qu’elle ne soit soutenue par un préavis qui a tout son sens. Et le préavis en la matière, dans une corporation, doit être déposé par le syndicat le plus représentatif au niveau national. Donc en la matière, c’est l’un des deux syndicats, notamment celui majoritaire qui devrait déposer le préavis, mais pas conjointement. Donc juste vous dire que cette grève portée conjointement par le Sam et le Sylima, qui a cours maintenant au niveau de la magistrature, est illégale.
Ces deux syndicats devaient au moins respecter la loi par ne serait-ce que le pour le préavis. Ceux qui se disent syndicalistes aujourd’hui ont cru bon de demander durant cette grève au chef de juridiction ou de parquet de poser tel ou tel acte dans le cadre du service minimum. Ils ont tout faux. Les textes sont très clairs. C’est des personnels qui sont astreints à l’observation du service minimum. Dans une juridiction de premier degré comme notre Tribunal de grande instance, quand la loi exige que le service minimum soit exécuté par le président, le vice-président, le Procureur de la République, le Greffier en chef et le service de l’information du tribunal, à partir de là, conviendrez avec moi que même les audiences doivent se tenir, parce que le tribunal est au complet.
Dire à des chefs de juridiction ou de parquet de ne pas délivrer des certificats de nationalité ou des chaisiers judiciaires, les auteurs de ces actes encourent même des sanctions. Cela est aussi dit par les textes. Et les mêmes textes disent que les personnes qui connaitront des dommages par rapport au manque de ces documents peuvent même poursuivre les auteurs de ces actes, à savoir les chefs de juridiction ou de parquet devant des juridictions pour demander réparation.
- le Procureur, vous avez dit que la forme est illégale, et le fond ? En un mot est ce que les revendications de ces deux syndicats sont fondées ?
Sachez seulement que ce ne sont pas de nouvelles revendications. Ces revendications soulevées par les syndicats, notamment l’aspect financier est pris en compte par le procès-verbal de conciliation du 9 février 2017 qui reconnait que l’Etat a fait un effort de 10% d’augmentation sur la valeur indiciaire du salaire, mais que la grille indiciaire étant annexée au statut de la magistrature, devrait faire l’objet de relecture. Donc, c’est au moment de la relecture du statut qu’on allait discuter sur l’augmentation à faire par rapport à la grille. A ce que je sache, cette relecture du statut de la magistrature n’est pas encore faite. Donc nous sommes dans ce processus-là. Où est-ce que le dialogue est fermé ? Donc je vous dis, ceux qui nous ont amenés dans cette crise-là, ont agi par égo et par rapport à des questions strictement personnelles.
Sinon, vous voyez, tout est là. Le Procès-verbal de conciliation a dit clairement qu’au moment de la relecture du statut on va discuter par rapport à la valeur à adopter pour la grille. Peut être qu’on a dû vous parler des résolutions d’un atelier ou d’un séminaire par rapport à la question, sur ce point, depuis quand les recommandations d’un atelier ou d’un seminaire ont-ils un effet contraignant ? Jamais ! Donc il y a eu beaucoup de méprises par rapport aux textes. Et dans pareille situation, il n’est pas bon de continuer avec cette grève pour se ridiculiser davantage car la justice est une institution de sagesse. On ne doit aucunement se faire ridiculiser. On a des cadres qui sont-là pour un dialogue institutionnel de haut niveau, à travers la commission de conciliation. Tout ce qui se fait aujourd’hui, on n’associe pas la commission de conciliation qui est un instrument légal et réglementaire.
Au-delà de tout ça, lorsque qu’on a négocié, ce qui avait été acquis, on avait créé un cadre informel appelé commission de conciliation avec pour membres, le président de la Cour suprême, le président de la Cour constitutionnelle et des membres de la société civile. Tout çà, pour ne pas avoir affaire à des mouvements assimilables à ceux de la rue, comme c’est le cas actuellement.
S’agissant de la seconde revendication, à savoir l’amélioration des mesures sécuritaires au niveau des juridictions, vous ne pensez pas que des efforts doivent être faits à ce niveau par le gouvernement ?
La sécurité, c’est la chose la moins bien partagée dans ce pays aujourd’hui, tout le monde le sait. Le pays est en manque de sécurité. Ce n’est pas seulement la justice qui souffre de cela. La preuve, les élections viennent de se tenir il y a eu des localités qui n’ont pas pu voter à cause de l’absence ou de l’insuffisance de sécurité. Il y a aujourd’hui beaucoup de magistrats qui se sont repliés sur Bamako et qui ne peuvent même pas rejoindre leurs postes pour des raisons sécuritaires. Est-ce que c’est le moment qu’il faut choisir pour être radical par rapport à l’envoi d’agents de sécurité dans les juridictions ? En tout cas, ça ne peut expliquer une position intransigeante.
Malgré tout ce que vous avancez comme arguments, nous avons constaté que le mouvement est largement suivi par vos collègues magistrats. Donc vous prêchez dans le désert ou vous n’êtes pas très bien compris par vos collègues ?
Ce n’est pas que le mouvement est suivi, mais il y a eu une mégarde de ceux qui ont agi de la sorte. Certains, au départ, ont pensé qu’ils agissaient bien. Quand vous parlez souvent, les gens ne voient que l’objectif à atteindre, mais ils ne se préoccupent pas de comment atteindre l’objectif. Maintenant, c’est étant en plein dedans qu’ils ont ouvert les yeux. En tout cas, en ce qui nous concerne, pas un seul jour où nous n’avons pas fait notre travail de Procureur au tribunal de la commune IV. Il y a des parquets qui se sont tenus à ce qu’on leur a dit de faire. Mais lorsqu’ils ont compris qu’ils étaient dans l’illégalité, la honte était déjà là. Mais comment s’en sortir ? Vous savez, ce mouvement ressemble à la situation d’une personne qui entre dans une chambre, s’enferme à clé et puis jette la clé par la fenêtre. Donc il faut quelqu’un pour les faire sortir de là, ils se sont enfermés eux-mêmes, sans avoir la solution de s’en sortir.
Réalisé par Kassoum THERA
Source: Aujourd’hui-Mali