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Le président angolais João Lourenço: accordons «le bénéfice du doute» à Kabila

A l’occasion de la visite officielle en France de João Lourenço, la rédaction en portugais de RFI a réalisé un entretien exclusif avec le président angolais. Dans cet entretien, le chef de l’Etat angolais évoque notamment la question des élections en République démocratique du Congo, au cœur des préoccupations des pays de la région et estime, parlant de son voisin congolais Joseph Kabila, que : « Il faut lui accorder le bénéfice du doute ». En matière de lutte contre la corruption, Joaõ Lourenço réaffirme le cap qu’il s‘est fixé. Il dément également avoir déclaré la guerre à la famille de son prédécesseur, José Eduardo Dos Santos.

RFI : Vous venez de terminer votre visite officielle en France. Quel bilan faites-vous de ce déplacement ?

João Lourenço : Le bilan est très positif. Nous avons été très bien reçus à tous les niveaux, et d’emblée par le sommet de l’Etat, donc par le président Emmanuel Macron. Avec lui, nous avons eu un déjeuner de travail au palais de l’Elysée. Nous y avons abordé, non seulement les questions concernant nos pays, l’Angola et la France, mais aussi d’autres sujets de politique internationale portant notamment sur la région des Grands Lacs, la situation en RDC ou en République centrafricaine, et d’autres encore.

L’accent mis sur cette visite porte sur la coopération économique. La partie concernant le volet politique s’est tenue au palais de l’Elysée. Par ailleurs, nous avons rencontré un nombre assez conséquent d’hommes d’affaires français. Cela a dépassé nos attentes, nous nous attendions à en rencontrer 80, on s’est retrouvé avec 150 entrepreneurs.

Ceci est synonyme de confiance. Nous partons donc satisfaits.

Vous avez signé quatre accords, notamment dans le domaine de l’agriculture. Pouvez-vous nous donner les détails sur cet accord ?

Vous savez qu’au niveau des chefs d’Etat, on n’entre pas dans les détails. L’important, c’est qu’il y a eu un accord concernant l’agriculture. L’Angola va essayer de le capitaliser au mieux. Nous avons besoin d’investissements sur le plan agricole afin de réduire les situations de famine, de pauvreté et de misère.

La France, vous le savez, est une puissance agricole à l’échelle européenne et du monde. Je crois donc qu’on a tout à gagner avec cet accord signé avec la France dans ce domaine.

Que prévoit l’accord de défense avec la France ?

Cet accord ouvre la possibilité de concrétiser de vrais projets et ce, dès maintenant. Et ceci dans des domaines tels que la formation d’officiers dans l’armée de terre, l’armée de l’air et surtout dans la marine. Nous souhaitons mieux équiper notre marine afin qu’elle puisse mener à bien son rôle de défense de nos côtes. Et ceci aussi, d’une façon plus globale, en coordination avec les marines de la région de la côte ouest-africaine, pour mieux protéger le golfe de Guinée.

Une option envisageable serait aussi celle d’acquérir des équipements militaires auprès de la France. La France est un grand producteur d’équipements militaires comme des navires de guerre, des avions, des hélicoptères.

Il y a déjà une relation historique : l’armée de l’air angolaise a toujours été un grand client d’Airbus en ce qui concerne l’acquisition d’hélicoptères, plutôt de petits hélicoptères tels que les « Alouette », les « Gazelle », les « Dauphin » et dernièrement les « Super Puma » qui ont été attribués à la Sonair.

Cet accord nous ouvre donc un vaste échiquier de possibilités pour ce qui est de la coopération dans le domaine de la défense.

Ici, à Toulouse, vous avez visité les sites d’Airbus et d’ATR. L’Angola envisage-t-il d’acheter des avions dans l’avenir ?

Il y a en cours actuellement un processus d’acquisition de deux aéronefs pour le transport de troupes et pour la surveillance maritime. Deux C295 et ce auprès d’Airbus, Airbus Espagne en l’occurrence, mais c’est toujours Airbus. Peu importe où sont les usines.

Le processus est très avancé. Très probablement à la fin de l’année, nous recevrons la première unité, c’est donc en cours. Pour ce qui est, maintenant, des visites effectuées hier (mardi) aux deux usines Airbus et ATR, je ne veux rien avancer, il n’y a rien du tout en l’état actuel des choses. Il n’y a aucun engagement, on a voulu prendre connaissance des facilités accordées par cette enseigne. Mais, il n’y a rien à ce stade.

Mais sait-on jamais… Peut-être un jour les deux flottes pourront coexister : la flotte des Boeing avec celle des Airbus au sein de notre compagnie aérienne nationale.

Comment vont les relations avec la RDC ?

Les relations sont bonnes. Il n’y a strictement aucun problème. Les relations entre deux voisins doivent toujours être bonnes, et heureusement c’est le cas. Elles sont bonnes, mais seulement, comme vous le savez, des élections générales doivent se tenir en RDC d’ici la fin de l’année. C’est du moins cet engagement qui a été pris par les parties impliquées, c’est-à-dire par l’exécutif, mais aussi par l’opposition, et par la société civile, avec au premier rang l’Eglise catholique.

Il y a un accord. Or, lorsqu’il y a des élections, il n’y en a pas toujours. Mais là, pour ce qui est de la RDC, maintenant nous sommes en présence d’un accord. Et vu qu’il y a cet accord, les acteurs intérieurs, mais aussi les partenaires internationaux, les voisins, mais pas seulement… la communauté internationale de façon plus large, tout le monde a intérêt à ce que cet accord soit respecté.

La communauté internationale, et pas seulement l’Angola, a attiré l’attention du président Joseph Kabila sur la nécessité de respecter cet accord. Jusque-là, il dit qu’il compte bien respecter l’accord, qu’il fait ses devoirs… à savoir préparer le recensement électoral qui est pratiquement conclu… Des ressources financières y ont été allouées par ses soins. Donc il faut lui accorder le bénéfice du doute. Nous n’avons pas de raisons de douter du respect de l’accord. Nous allons continuer de suivre la situation jusqu’en décembre.

Voilà 17 ans que vous soutenez le régime de Joseph Kabila. Regrettez-vous que l’Angola ait envoyé des troupes et des blindés en mars 2007 à Kinshasa afin de soutenir ce régime face aux rebelles de Jean-Pierre Bemba ?

Et pourquoi le regretterait-on ? Il n’y a aucune raison à cela, il s’agit d’un acte conscient. Donc il n’y a pas de regrets à avoir.

Le président Macron a salué les réformes que vous avez entamées depuis votre accession au pouvoir. Où en sont les enquêtes sur la Sonangol et le Fonds souverain angolais ? Est-ce qu’il y aura des inculpations et des procès ?

Dans ce processus de lutte contre la corruption, le pouvoir politique, en quelque sorte, montre la voie à suivre. Et la voie à suivre est bien répertoriée : c’est le combat contre la corruption. Combattre là où la corruption règne et même prévenir son avènement. Voilà ce que nous ferons dorénavant.

Dans un cas ou dans l’autre, que ce soit pour Sonangol ou encore davantage pour le Fonds souverain, comme vous le savez, c’est la justice qui est en charge du dossier. Et donc là, ce n’est pas de notre ressort, nous suivons évidemment la situation. Mais nous ne pouvons pas interférer. Cela ne revient pas à nous de donner cette garantie que l’affaire arrivera devant les tribunaux, et de dire s’il y aura ou pas des condamnations. Nous sommes tous là pour suivre ce qu’il en est.

Y a-t-il une guerre déclarée contre le clan Dos Santos ?

Il n’y a pas de chasse aux sorcières. Personne n’est pourchassé. Il est question de prévenir de mauvaises pratiques et de combattre là où il y a déjà des faits établis, mais il n’est pas question de créer des situations dans le but d’incriminer quiconque. L’affaire des 500 millions dollars [Affaire impliquant José Filomeno dos Santos, le fils de l’ancien président, NDLR] transitant entre l’Angola et la HSBC Londres, c’est une affaire concrète, c’est un fait, cela n’a pas été fabriqué. 500 millions c’est beaucoup d’argent, aucun pays ne peut s’en passer.

Donc l’Angola a fait ce qu’il fallait faire. On a fait en sorte de récupérer cet argent. Evidemment que cela a d’autres implications, notamment pour les gens qui sont derrière la sortie du pays de montants aussi élevés du pays et dans les conditions où cela s’est fait. Mais, voilà il s’agit là d’une affaire de justice.

Votre Parlement vient d’approuver la loi sur le rapatriement de capitaux. Comment analysez-vous les réserves de l’opposition et de la société civile à propos de ce texte ?

Déjà par le passé, lorsque je n’étais que candidat, et plus tard, lorsque j’étais déjà président de la République, je crois que c’était au moment de mon intervention devant le Parlement, pour le discours sur l’état de la Nation, je disais qu’il y avait un réel besoin de travailler sur l’argent angolais.

Les grandes fortunes angolaises, qui sont en dehors du pays, surtout les ressources sorties en toute illégalité, il faut les récupérer. Ces capitaux devraient revenir sur le sol angolais pour participer au développement économique de notre pays.

J’ai également dit qu’il n’était pas raisonnable de demander aux investisseurs étrangers d’apporter leurs ressources pour investir dans notre économie, alors que l’on sait que bien des Angolais possèdent de très importants montants à l’étranger. Cela aurait été injuste de dire : « Vous, qui n’êtes pas Angolais, venez avec vos capitaux, et les Angolais conservent leurs capitaux à l’étranger ». Cela n’aurait pas été juste. Nous avons besoin de ces capitaux pour alimenter notre économie.

La loi existe, pour donner une opportunité à ceux qui sont visés, je ne dirais pas de noms, car une loi ne vise personne en particulier. Donc ceux qui sont concernés, ceux qui se sentent visés, ceux dont leur conscience dira s’ils possèdent, ou pas, des fonds à l’étranger, peuvent rapatrier leurs capitaux et les injecter dans notre économie.

Nous avons défini une date butoir. S’ils ne la respectent pas, au-delà de cette date, nous irons nous-mêmes récupérer directement ces fonds. Cela aura des conséquences pour eux. Une fois écoulés les six mois, si nous réussissons à rapatrier ces montants depuis l’étranger, non seulement ils perdront ces montants, mais ils risqueront des poursuites judiciaires. On fait cela en deux phases, mais les six mois passent vite.

Pour ce qui est des inquiétudes de l’opposition et de certains secteurs de la société civile, elles ne nous semblent pas justifiées. Notre attitude n’a pas pour but d’essayer de sauver quiconque, bien au contraire. Si nous avions voulu brûler cette étape pour passer directement à la deuxième, à savoir la collaboration avec des polices internationales, comme Interpol, ainsi qu’avec d’autres services qui existent à travers le monde, et avec des chasseurs de fortunes, nous n’aurions eu besoin d’aucune loi. Aucune ! Nous aurions pu passer directement à cette phase-là. On aurait pu faire cela, mais je ne pense pas que cela aurait été la solution. Parfois la sagesse est au milieu, et pas aux extrêmes.

Beaucoup dénoncent la poursuite de violations des droits de l’homme en Angola. Je pense au procès du journaliste Rafael Marques et d’un manifestant qui participait à une marche commémorative le 27 mai et qui a été hospitalisé.

Les violations des droits de l’homme en Angola… Par rapport à Rafael Marques, si un citoyen entame une procédure en justice contre un autre individu, est-ce une violation des droits de l’homme ?

Vous êtes journaliste, mais si vous commettez un crime, est-ce que vous n’aurez pas de comptes à rendre juste parce que vous êtes journaliste ? Je ne le crois pas. Vous êtes journaliste, mais vous êtes également une citoyenne. Est-ce à dire que vous pouvez commettre tous les crimes que vous voulez ?

La prochaine fois, est-ce à dire que je ne passerai pas à vos côtés, sinon vous pourrez me tirer dessus, me tuer et il ne vous arrivera rien ? Et ce parce que vous êtes journaliste, est-ce ainsi ?

Ce n’est pas où je voulais en venir, mais vous avez répondu sur Rafael Marques. Des manifestations ont pu se tenir, par ailleurs, sans problèmes. Mais là, dans ce cas précis, par rapport à ce qui s’est passé, en êtes-vous inquiet ?

Lorsqu’il y a des manifestations partout dans le monde, normalement les policiers encadrent les manifestants. Toutefois des situations de cette nature peuvent survenir, une personne peut être blessée, mais ce n’est pas la fin du monde.

Evidemment il faut, le plus souvent possible, éviter que ces accidents ne surviennent, comme cela s’est passé dans la manifestation de Kazenga. Il y a des manifestations avec des blessés, d’autres où il n’y en a pas. Les charges policières sont déclenchées lorsqu’il y a des raisons à cela. Je n’ai pas suivi de près ce qui s’est passé, mais évidemment nous regrettons cela.

Nous ne sommes pas d’accord, toutefois, sur le fait qu’on appelle cela des violations des droits de l’homme. Ce n’est pas le cas et nous savons exactement ce que sont des violations des droits de l’homme.

On suit ce qu’il se passe au sein des autres nations, de grandes nations, où des policiers tuent des personnes et il n’y a jamais d’accusations de violations des droits de l’homme.

Même au sein de celle qu’on appelle « la plus grande démocratie du monde », il y a des personnes tuées dans la rue, des fois par des policiers et sans aucune raison apparente, et je ne me souviens pas que ces accusations aient été formulées. Et ce n’est pas ce qui s’est produit en Angola.

 RFI

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