La dégénérescence des sociétés actuelles ne se limite nullement à un seul domaine de la vie de la nation. Nous avons l’impression que tous les secteurs perdent de plus en plus leur quintessence dans notre pays. Les domaines sur lesquels nous ne pouvions que compter deviennent de plus en plus méconnaissables à travers les hommes censés faire leur promotion pour assurer tout leur épanouissement. On dirait qu’au lieu d’aller de l’avant, les pays africains, notamment le Mali qui nous préoccupe se trouvent plutôt désormais dans une posture de recul dans l’âge de la pierre polie.
Crise de culture
La culture, cette représentation des valeurs de nos sociétés, est détournée de sa vocation première qui n’est autre que d’instaurer un changement positif au sein de nos communautés, à travers ses membres. Les hommes de culture, ceux-là qui sont censés sauvegarder les valeurs de nos sociétés, constituent ainsi ses véritables ennemis, et pour être encore plus dur, ses bourreaux. En guise d’argumentation, si jadis le Mali a rayonné au-dessus de maintes civilisations, sollicité parmi tant d’autres pays pour sa richesse culturelle, de nos jours, ce pays est mis à l’écart pour sa médiocrité culturelle. Comme le changement est consommé négativement ! Les universités maliennes fleurissaient dans les années d’indépendance au-dessus de toutes celles de la sous-région. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les étudiants burkinabè ne connaissaient que le Mali comme pays de grande culture.
Le Mali, une référence
Les intellectuels maliens étaient sollicités dans tous les pays de la sous-région pour leur grande culture. S’il est vrai en général que l’Afrique est héritière de la tradition orale, il faudrait quand même reconnaitre qu’au Mali, les écrivains ont su s’imposer grâce à des maisons d’édition de qualité qui encourageaient la culture de l’écriture. Ces écrits véhiculaient le vécu des sociétés maliennes au jour le jour. Dans le même ordre d’idées, on se trouvait du plaisir à fréquenter les théâtres maliens pour leur qualité, ainsi que leur rayonnement dans la vie quotidienne. Tout comme les romans, ils étaient le « miroir de la société » dont ils dépeignaient les maux. À travers les écrits et les dramaturgies, la nation malienne avait su s’imposer à travers le monde. Les œuvres issues de ce pays étaient sollicitées partout dans le monde parce qu’elles nous permettaient de découvrir la richesse de ce pays.
Ce n’est pas fortuit si Le devoir de Violence de Yambo Ouologuem a été lauréat en 1968 du prix Renaudot. Cela témoigne de sa grande qualité. Qui douterait de la valeur de Sous l’Orage de Seydou Badian Kouyaté si nous savons qu’il s’agit d’un roman qui dépeint la problématique du mariage forcé dans nos communautés. Qu’en est-il également des œuvres de ces dramaturges comme Balla Moussa Kéita, Habib Dembélé dit Guimba national, etc. À travers des pièces de théâtre comme « Député », « Fiyen », « Ferekegnamibougou », etc. Nous citons ici des œuvres teintées d’une véritable valeur éducative pour les jeunes générations, mais aussi pour les adultes.
N’oublions pas les artistes. À travers leur chanson, ceux-ci contribuaient à la construction d’une société plus solide en essayant nuit et jour de renouer le tissu social. Ils se savaient être en mission pour la nation. C’est la raison pour laquelle, cette corporation n’était pas étendue à toutes les couches sociales. Le Mali, de nos jours, n’en est plus à ce stade, la culture devenant une acculturation parce que ne servant qu’à désapprendre. Les dramaturges maliens ont transformé le théâtre en comédie n’ayant ni queue ni tête. Les enfants sont entrainés dans leur divertissement. Les langages sont teintés de galimatias.
Décadence consommée
Le transformationnisme est en œuvre. L’enfance étant généralement considérée comme l’âge de la déraison, les enfants ne s’adonnent qu’à des imitations folles, parce que considérant le contenu des messages de ces comédiens comme des réalités palpables. Ces comédiens sont en grande partie responsables de la détérioration du niveau scolaire de nos élèves, à travers l’usage désolant qu’ils font du français, langue administrative du Mali.
Aux comédiens, il faudrait ajouter également les artistes ou plutôt les rappeurs. À cause de ceux-ci, nos jeunes se plaisent à être nus dans les rues. On a l’impression de voir la naissance d’une forme de « naturalisme » au Mali. Ainsi, la consommation des excitants devient une attitude d’élégance.
En ce qui concerne le domaine de l’écriture, que de désespoir ! Les cages des librairies sont pleines de romans entachés d’inadvertance, avec des thématiques sens dessus-dessous.
L’étude par les enfants de ces livres provenant d’étudiants dans un pays où le niveau éducatif laisse à désirer, ne peut que contribuer à son tour à sacrifier leur niveau lorsqu’ils prendront ces billevesées pour de l’argent comptant.
Les hommes de culture deviennent les véritables bourreaux de leur métier. Ce faisant, rares sont les étrangers qui sollicitent les œuvres maliennes. On dirait d’ailleurs qu’en matière de dramaturgie, c’est le Nigéria qui supplante le Mali, désormais si atteint que si des solutions urgentes ne sont pas mises en place, la récupération sera difficile.
Quelle explication donnée à cette situation ?
Comme cause de cette attitude, l’amour pour l’argent facile. Au lieu d’agir par devoir, les hommes de culture agissent uniquement pour s’enrichir. Au Mali, les hommes de culture ont fait de ce domaine forcément un gagne-pain. Or, il y a de ces métiers que nous exerçons pour l’amour ou afin de remplir un devoir ou sauvegarder un honneur. Tel était la raison pour les hommes d’antan d’exercer dans beaucoup de domaines de culture. Mais de nos jours, c’est tout à fait le contraire. Notre monde est mené et malmené par un ouragan qui le secoue dans tous les sens. Plus puissant que lui, il le conduit droit vers un précipice, à l’intérieur duquel, il est impossible de voir le bout de son nez.
Fousseni Togola
Source: Journal le Pays-Mali