International Crisis group, référence du milieu a produit un document sur le Mali, dont l’essence serait la nécessité d’établir un dialogue entre le gouvernement malien et les groupes armés terroristes (GAT). Si l’auteur reconnait la difficulté de cette démarche, elle lui parait être la porte de sortie d’une crise qui perdure.
Il ne s’agit pas d’une idée nouvelle, en effet depuis le début de la crise, le dialogue avec les éléments armés, a ses partisans et il a ses opposants. Le Haut conseil islamique du Mali par la voix de son ancien président Mahmoud Dicko n’a eu de cesse de demander un dialogue entre maliens, y compris les membres des GAT. Il en est de même pour celui qui est actuellement Ministre des affaires étrangères, Tiébilé Dramé qui estimait qu’un dialogue avec les GAT serait nécessaire pour faire taire les armes. Enfin, rappelons également qu’au cours de la Conférence d’entente nationale en 2017, une des recommandations était d’ouvrir les voix de dialogue avec les GAT.
Cette idée divise et rencontre de fortes oppositions, certains parlent de défaite morale, et de renoncement aux valeurs sociétales maliennes, d’autres enfin, dans une posture beaucoup plus martiale estiment qu’un GAT n’est voué qu’à être détruit.
Les conditions du dialogue sont-elles réunies ?
Se retrouver dans une impasse militaire ne saurait constituer l’unique éléments d’appréciation de la nécessité d’aller avers un dialogue. Les rapports de force sur le terrain changent régulièrement. Les GAT ont subi beaucoup de revers depuis 2018, les interventions de la France ont ciblé plusieurs chefs et des Katiba comme celle de Al Mansour Ag Al Kassoum. Cependant les GAT continuent par leurs actions à semer le trouble sur le terrain et à cibler les forces internationales. Ils n’ont pas perdu leur force de nuisance, continuent à s’ancrer de plus en plus auprès des populations rurales, du fait de l’absence des autorités de l’Etat.
Dans cette situation de ni paix ni guerre, ou chacun reste persuadé de sa force, les belligérants n’ont pas la volonté de s’asseoir à la table des négociations. L’Etat du Mali, fort du soutien de la communauté Internationale, et surtout de la force de frappe de la France, reste persuadé qu’il viendra à bout des GAT. L’objectif est de les affaiblir à tel point qu’ils n’auraient pas d’autre choix que de déposer les armes. Un projet de loi d’entente à l’étude prévoirait d’ailleurs une amnistie pour des éléments armés y compris terroristes.
Un autre élément et non des moindres à prendre en compte, c’est la position de la France dans ce dossier. A l’époque du Premier Ministre Abdoulaye Idrissa Maiga, un bureau avait été crée auprès de la primature chargé de dialoguer avec Iyad Ag Ghali et Amadou Kouffa. Cette médiation a été vue d’un mauvais œil par la France.
Du coté des GAT, le dialogue avec les autorités maliennes n’est pas vu d’un mauvais œil, car cela permettrait de marginaliser la France dans le processus malien. Ils pensent également que les maliens ne sont pas défavorables à un dialogue, d’autant plus qu’une grande majorité rejette le système actuel de gouvernance perçu comme corrompu. Il serait possible d’appliquer la charia avec pédagogie, et ils l’ont expérimenté au niveau local, notamment dans le centre du Mali, où ils ont mis en place des instances de gouvernance depuis 2 ans au moins.
En résumé, les conditions pour un dialogue ne sont pas réunies, elles se heurtent à plusieurs obstacles internes et externes. En attendant la lutte contre le terrorisme sous sa forme militaire continue de dominer la doctrine actuelle, avec une faible propension à prendre en compte les aspects liés à la Gouvernance, au développement et surtout à la volonté des populations locales.
Des dialogues sur le plan local
En 2013, dans leur fuite de Tombouctou, les éléments armés ont laissé sur place plusieurs documents, dont une feuille de route rédigée par Droukdel émir d’Aqmi. Dans ce document il met en avant toutes les tares de la gouvernance malienne et explique comment les GAT peuvent profiter de cette situation pour rétablir l’ordre et ainsi mieux se faire accepter des populations locales. Il y avait par exemple dénoncé la destruction des mausolées de Tombouctou et avait appelé les combattants à plus de pédagogie.
Quelques années plus tard, les GAT dans les territoires qu’ils occupent mettent en application ces directives et les résultats peuvent paraitre surprenant. Tout d’abord dans la zone de Zouera, située à Tombouctou, l’ancien juge islamique de Tombouctou, Houka Houka, libéré en aout 2014 a mis en place une gouvernance locale. Il y a organisé des rencontres intercommunautaires et mis en garde les éléments des Groupes armés qui pratiquent des braquages sur les axes routiers. Certains d’entre eux ont été jugés et leurs têtes décapitées exposées en plein marché. Les populations locales, continuent de référer leurs litiges à ce juge islamique, qui les tranche. En cas de refus d’appliquer la loi, les contestataires sont châtiés. Le fait que des personnes se déplacent de toute la région pour venir demander justice auprès de Houka Houka, démontre un certains ancrage local, qui s’est fait grâce aux alliances tribales, mais aussi par la démonstration d’une certaine « efficacité » dans la Gouvernance.
Dans la zone inondée du centre du Mali, l’existence de plusieurs tribunaux sont signalés. Les GAT pour s’y installer, ont supprimé tous les opposants, notamment d’autres imams et des chefs de village. Ils ont prêché dans les mosquées et demandé aux population d’adhérer à leur Gouvernance. Une des zones où cette présence est la plus marquée est celle de Dialloubé et Youwarou. La justice y est administrée par les GAT et les populations civiles se réfèrent aux imams membres des GAT pour trancher les litiges.
Dans ces deux cas, lorsque l’on discute avec les populations de la zone, elles vous expliquent que malgré les conditions de vie parfois difficiles et la peur des premiers instants, elles vivent dans une relative quiétude et qu’elles constatent la diminution des injustices dans le cadre des « tribunaux islamiques ».
Ces témoignages permettent de mettre en lumière, le fait que des populations face au recul de l’Etat et dans l’impasse, ont considéré qu’il était nécessaire d’établir un dialogue avec les « nouveaux maitres » des lieux et que ce dialogue a permis de ramener une forme de paix dans la zone. Il existe donc un dialogue sur le plan local, entre parfois des autorités traditionnelles et les éléments des GAT pour mettre en place une gouvernance régie par la Charia.
Sujet de discussion et ligne rouge
Et dans le cadre d’une discussion sur un plan nationale, l’application de la Charia pourrait s’avérer être la ligne rouge infranchissable pour le Mali. Cela signifierait un échec total des efforts déployés et une soumission absolue aux demandes des GAT. A l’inverse un accord ne prenant pas en compte la mise en place d’une République islamique pourrait être vu du côté des GAT comme un échec patent du « jihad » et irait jusqu’à la dislocation de l’alliance entre les groupes locaux et leurs soutiens étrangers.
Est-il possible dans ce cadre là d’arriver à un compromis acceptable par tous ? Que fera-t-on de l’Accord d’Alger et quel sera le rôle de la CMA et de la Plateforme ? Que penseront les pays voisins qui pourraient craindre que cela ne fasse tache d’huile ? Autant de questions qui démontrent l’extrême difficulté d’aller à des négociations avec des GAT.
Conclusions
La situation militaire s’enlise certes, mais pas pour des raisons uniquement militaires, il y a des déterminants sociaux qui n’ont pas été pris en compte. Des zones trop longtemps abandonnées refusent de voir la même gouvernance se représenter à nouveau, et on tarde à leur donner des garanties quant à la justice et à un système social plus équitable. Dans cette situation l’offre des GAT parait être un moindre mal.
Parler de négociations ressemble à une solution de facilité, dans la mesure où il n’est pas clairement établi le paradoxe sur lequel se tiendra la négociation. S’agirait-il de discuter des demandes politiques des GAT à savoir l’application de la Charia et l’érection du Mali en République islamique ? Le tenants de cette ligne refusent de se prononcer et on comprend leur malaise !
Il n’existe pas de solution idéale, chaque Etat en fonction de ces besoins doit établir son plan de sortie de crise. Actuellement l’option privilégiée semble celle d’affaiblir militairement les GAT et de les contraindre à quitter les zones qu’ils occupent à la faveur d’un retour efficace de l’Etat. Par la suite des négociations et des amnisties pourraient entrer en jeu…C’est une mission de longue haleine…
MEDIAPART