Abus commis par des islamistes armés et par des membres des forces de sécurité au Burkina Faso
Depuis 2016, les groupes islamistes armés ont considérablement accru leur présence au Burkina Faso, créant un climat de peur dans tout le pays. Ils ont attaqué des bâtiments et des écoles du gouvernement, intimidé des enseignants, mené des attaques violentes contre des cafés et d’autres lieux de rassemblement, et exécuté des personnes soupçonnées de collaborer avec les autorités. En réponse, les forces de sécurité burkinabè ont mené des opérations antiterroristes en 2017 et 2018 qui ont abouti à de nombreuses allégations d’exécutions extrajudiciaires, d’abus à l’encontre des suspects en détention et d’arrestations arbitraires.
La violence s’est largement exercée dans la région administrative du Sahel, dans le nord du pays, ainsi que dans la capitale, Ouagadougou, forçant plus de 12 000 résidents à fuir, selon les chiffres des Nations Unies. Ces résidents comprennent des représentants locaux du gouvernement, des fonctionnaires, des enseignants et du personnel infirmier.
Une mosaïque de groupes islamistes armés ayant des allégeances fluctuantes et imbriquées sont impliqués dans de nombreuses attaques et en ont revendiqué la responsabilité dans plusieurs cas, notamment Ansaroul Islam, fondé fin 2016 par le prédicateur islamique burkinabè Malam Ibrahim Dicko ; Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et ses affiliés, notamment le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM) ; et l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS). La présence croissante de ces groupes au Burkina Faso est liée à l’insécurité qui règne dans le Mali voisin, où les régions du nord sont tombées aux mains de groupes armés séparatistes Touaregs et liés à Al-Qaïda en 2012.
Dans le nord, des groupes islamistes armés ont attaqué des dizaines de postes militaires, de la gendarmerie et de l’armée. En 2016 et 2017, Ouagadougou a subi deux attaques violentes contre des restaurants populaires qui ont entraîné la mort de 47 civils et d’un membre des forces de sécurité. Le 2 mars 2018, des combattants ont attaqué l’ambassade de France et le quartier général de l’armée nationale à Ouagadougou, causant la mort de huit membres des forces de sécurité.
Basé sur des entretiens menés lors de deux missions de recherche en février et en mars 2018, ce rapport documente les abus perpétrés dans la région administrative du Sahel et à Ouagadougou par des groupes islamistes armés, notamment des meurtres s’apparentant à des exécutions, et des abus présumés commis par les forces de sécurité entre 2016 et 2018. Human Rights Watch a interrogé 67 victimes et témoins d’abus ; des membres des ministères de la Justice, de la Défense et de l’Éducation ; des enseignants ; des travailleurs du domaine de la santé ; des responsables du gouvernement local ; des diplomates et des membres des organisations humanitaires ; des analystes du secteur de la sécurité ; ainsi que des chefs communautaires, religieux et de la jeunesse.
Human Rights Watch a documenté des allégations de meurtres s’apparentant à des exécutions de 19 hommes par des groupes armés islamistes. Les meurtres ont eu lieu dans ou près de 12 villages dans le nord du pays et visaient en grande partie des personnes accusées de fournir des informations aux forces de sécurité, notamment des chefs de village et des responsables locaux. Selon des témoins qui ont parlé à Human Rights Watch, une grande partie des hommes ont été exécutés à leur domicile, quelques-uns ont été égorgés et un a été décapité.
Des villageois de la région du Sahel ont déclaré avoir été extrêmement effrayés par la présence de combattants islamistes armés qui les menaçaient régulièrement de représailles s’ils fournissaient des informations sur leurs allées et venues aux services de sécurité de l’État. Plusieurs habitants issus de différents groupes ethniques ont expliqué avoir été enlevés, interrogés et, dans certains cas, battus ou volés par les hommes armés.
Des travailleurs du secteur de l’éducation ont fait état d’une série de menaces, d’intimidations et d’attaques contre des écoles et des enseignants par des islamistes armés dans la région du Sahel, notamment l’enlèvement d’un enseignant et le meurtre d’un directeur d’école. Cela a conduit à la fermeture d’au moins 219 écoles primaires et secondaires, laissant environ 20 000 élèves non scolarisés.
Les forces de sécurité — soldats et gendarmes, y compris le personnel de deux unités spéciales créées pour combattre le terrorisme et, dans une moindre mesure, des membres de la police — menant des opérations antiterroristes depuis 2016, ont également été impliqués dans de nombreuses violations des droits humains.
Human Rights Watch a documenté les exécutions sommaires présumées de 14 personnes commises par les forces de sécurité de l’État. Sept hommes auraient été exécutés en une seule journée fin décembre 2017. Une douzaine de témoins ont décrit avoir vu des corps le long des routes et sur des sentiers près des villes de Djibo, Nassoumbou et Bourou, entre autres. La quasi-totalité des victimes ont été vues pour la dernière fois sous la garde des forces de sécurité gouvernementales.
Des chefs communautaires se sont plaints de nombreux cas où les forces de sécurité semblaient détenir au hasard en masse des hommes qui se trouvaient à proximité d’incursions, d’attaques ou d’embuscades tendues par des groupes islamistes armés. Les gendarmes ont libéré la majorité des détenus après des enquêtes préliminaires qui ont souvent duré plusieurs jours, mais d’autres ont été détenus pendant des mois.
Human Rights Watch a documenté six de ces arrestations massives au cours desquelles de nombreux hommes ont été sévèrement maltraités et quatre hommes sont morts, semble-t-il à la suite de sévères passages à tabac. Des témoins ont déclaré que les abus cessaient généralement lorsque les forces militaires et la police remettaient les détenus aux gendarmes du gouvernement. Des professionnels de la santé ont indiqué avoir soigné des hommes pour des coupures, des contusions, des hématomes et des entailles subies en détention.
La grande majorité des victimes d’abus perpétrés tant par les islamistes armés que par les forces de sécurité appartenaient à l’ethnie Peul, dont les membres résident en grande partie dans le nord. Un maire local a déclaré : « L’armée agit comme si tous les Peuls étaient des djihadistes, mais ce sont les Peuls eux-mêmes qui sont victimes des djihadistes – nous avons été tués, décapités, enlevés et menacés. »
Les interlocuteurs interrogés ont systématiquement déclaré être pris entre les menaces des islamistes d’exécuter ceux qui collaboraient avec l’État, et les forces de sécurité, qui s’attendaient à ce qu’ils fournissent des renseignements sur la présence de groupes armés et infligeaient des punitions collectives, notamment des mauvais traitements et des détentions arbitraires, lorsque qu’ils ne fournissaient pas ces informations.
Les victimes de la violence tant des islamistes armés que des forces de sécurité ont déploré la lenteur ou même l’absence totale d’enquêtes sur les cas de droits humains depuis 2016. Des chefs communautaires du nord se sont plaints de ce qu’ils percevaient comme une réponse partiale aux abus de la part des autorités. Selon eux, les meurtres et les abus commis par les islamistes armés ont presque toujours déclenché une enquête et, souvent, des arrestations, tandis que les exactions présumées commises par les forces de sécurité faisaient rarement, voire jamais, l’objet d’enquêtes de la part des forces de sécurité ou du pouvoir judiciaire.
Des membres du système judicaire ont déclaré que les enquêtes de l’Unité judiciaire spécialisée contre le crime et le terrorisme, basée à Ouagadougou et créée en 2017 pour juger tous les cas liés au terrorisme, ont été lentes à cause du manque de personnel et de la complexité des affaires, qui impliquent souvent différentes juridictions internationales, notamment d’autres pays de la région du Sahel.
Le gouvernement burkinabè devrait ouvrir d’urgence des enquêtes sur les incidents de violations présumées des droits humains documentées dans ce rapport, prendre des mesures pour prévenir de nouveaux abus et veiller à ce que toutes les personnes impliquées dans toutes les opérations antiterroristes respectent le droit international des droits humains. La Commission nationale des droits humains du Burkina Faso devrait également mener une enquête indépendante crédible sur les violations des droits humains.
Les partenaires internationaux du Burkina Faso, notamment l’Union européenne, la France et les États-Unis, devraient demander au gouvernement, publiquement et en privé, de mener rapidement des enquêtes crédibles sur les allégations de meurtres et autres abus commis par les forces de sécurité du Burkina Faso.
Source: Maliactu.info