Le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian (photo Patrick James), rencontré ce jeudi, continue à se multiplier sur tous les fronts. Entre la la Loi de programmation militaire, la loi de finances 2014, les errements de Louvois et des bases de défense… Tout en gardant un œil aiguisé sur le Mali, le Sahel, la Libye, la Centrafrique et la Syrie.
L’expérimenté ministre, très proche du président François Hollande, ne semble pas déstabilisé par les crises, internes et externes, qui l’entourent. Mieux, il défend résolument sa réforme des armées et la Loi de programmation militaire 2014-2019. En souriant tranquillement, il assume ses décisions : ” La petite armée française rabougrie, dont j’entends parler, pourra refaire un Mali toute seule dans les années à venir… ”
Visites dans les forces
” Après les théâtres extérieurs, je rends visite chaque semaine à nos forces dans la métropole depuis la rentrée. J’y passe six à 7 heures à chaque fois et je visite tout. J’ai un entretien en tête-à-tête avec le chef de corps, puis j’assiste à trois tables rondes, une avec les officiers, une avec les sous-officiers et une avec les militaires du rang. Ce processus est très fructueux. J’y constate une grande liberté de ton des militaires. C’est rafraîchissant avec des gens bien dans leurs pompes, déterminés, fiers, avec le souci de servir.
Leur première inquiétude, c’est Louvois, toujours. Ils sont ensuite très attachés à la préparation opérationnelle et à l’entretien du matériel. Enfin, ils me parlent beaucoup des dysfonctionnements avec les bases de défense. ”
Le scandale Louvois
” C’est vraiment une catastrophe inimaginable. Devant chaque unité, je présente les excuses de la République. Ce système de paiement des soldes est aberrant. Nous avons à peu près remédié au problème des primes non perçues avec le plan d’urgence mis en place il y a un an. Les feuilles de soldes sont carrément illisibles avec 174 primes différentes. On ne sait pas à quoi telle somme correspond. C’est stupéfiant.
Maintenant, le système provoque des trop-perçus de façon aléatoire et inédite chaque mois. Je veille à ce qu’aucun militaire ne soit pénalisé avec une gestion personnalisée du remboursement. Je vais être amené à prendre des décisions lourdes après le résultat de plusieurs audits. Je les annoncerais probablement à Varces début décembre, là où j’ai découvert il y a un an la situation (au 7e BCA). Ou bien, on me dit qu’on peut le réparer dans tel délai ou bien, on me dit que ce n’est pas possible et je devrais prendre des grosses décisions. Nous devons mener un chantier difficile pour rendre le système lisible. Chaque mois, c’est une surprise ; chaque mois, pour un militaire, c’est une angoisse.
C’est un peu la faute à tout le monde et à personne. On a voulu tout mener en même temps : la RGPP (révision générale des politiques publiques), les bases de défense et la réforme des soldes. Ça a été fait très vite sans s’assurer que le système marchait. C’est une grosse faute. Le moral des troupes, il est là, pas ailleurs. ”
Le souci des Bases de défense
” La communication entre les bases de défense et les unités ne se passe pas bien. Pour un exercice de tir, un truc simple, il faut sept ou huit autorisations différentes. Les bases de défense provoquent une surcharge administrative alors qu’elles étaient censées simplifier. ”
La cohérence dans la réorganisation
” On a mené précédemment une déflation d’effectifs qui se traduit par une augmentation de la masse salariale. À Bercy, c’est ça la question de l’armée ! J’ai trouvé en arrivant un retard de 2,5 à 3 milliards de reports de charges annuelles. Ce qui fait qu’en novembre, on est en difficulté. En 2008, le pourcentage d’officiers était de 15,78 %, après la réorganisation, il est monté à près de 17 %. Pour régler cette situation, je veux que l’on professionnalise l’ensemble du dispositif : responsabiliser au niveau local avec une autre articulation entre les unités et les bases de défense ; au niveau central, je veux des filières professionnalisées en RH, en finances, en soutien. J’espère un contrôle de gestion de base. Certains parlent d’une mainmise du ministre et du civil sur l’administration, tant mieux, c’est mon métier ! Je veux une bonne gestion, du bon sens, une cohérence de la force organisationnelle. ”
L’objectif des dissolutions
” La Loi de programmation militaire commence à être examinée par le Sénat lundi. Fin novembre à l’Assemblée nationale. Mon intention est de toucher le moins possible d’unités opérationnelles, de prononcer le moins possible de dissolutions et de prendre en compte l’aménagement du territoire. Le tout en cohérence. Nous allons travailler année après année, pas brutalement. C’est pour ça que nous n’avons annoncé que deux dissolutions. Il y a des choses qu’on peut réduire. À Luxeuil, on a supprimé l’escadron sol-air pour des raisons de cohérence technique puisque tous les Rafale nucléaires sont désormais à Saint-Dizier. Mais on a gardé la base. C’est ce type de choses que je veux faire. Je peux vous dire que ce que j’ai fait, ce n’était pas ce que les états-majors proposaient en juin. ”
La Brigade franco-allemande
” La brigade franco-allemande n’est pas en remise en cause mais c’est une vraie question dont je vais parler avec mon collègue allemand. C’est une initiative politique forte. Il y a une réflexion à avoir. ”
Mali
” Ce n’est plus la guerre, on fait du contre-terrorisme. Nous voulons assurer la situation sécuritaire avant les élections législatives de novembre. Nous garderons au Mali un peu plus de 2 000 soldats jusqu’à la fin de l’année. À la fin de l’histoire, nous serons 1 000 pour un certain temps, sans échéance.
IBK (Ibrahim Boubacar Keïta) est très conscient de la situation. Il est déterminé à clarifier la situation dans son armée. Il doit faire avancer la réconciliation après les élections. Nous allons continuer à lutter contre le terrorisme avec une grande vigilance. La MINUSMA est présente ; un jour, elle sera remplacée par l’armée malienne dont le troisième bataillon est en cours de formation. J’ai d’ailleurs demandé à l’UE de poursuivre cette formation. ”
Sahel et Libye
” Je suis plus inquiet pour le Niger. Il n’y a pas de risque à la malienne à Niamey mais dans le nord, la zone des trois frontières, sur le chemin de la Libye, ces itinéraires continuent à être fréquentés. Il y a une crise potentielle derrière tout ça. Ça ne pourra se régler sans la sécurisation de la frontière libyenne. Une mission EUBAM (EU border assistance mission), un concept d’aide à des États un peu défaillants sur le plan sécuritaire, peut, doit être la réponse. J’en parle beaucoup avec les Italiens, les Américains. Au sud de la Libye, il reste des katibas qui n’ont pas intégré l’armée régulière après la chute de Kadhafi et c’est aussi un repaire de djihadistes en déshérence. Nous sommes dans une posture de grande vigilance. ”
Centrafrique
” La situation est épouvantable. Mon collègue des Affaires étrangères était dimanche en Centrafrique, il est revenu atterré. Nous ne pourrons agir que dans le cadre d’une deuxième résolution de l’ONU, en soutien de la Misca (Mission internationale de soutien à la Centrafrique). La situation est différente du Mali pour l’instant. On a affaire à du brigandage. Il n’y a plus aucun contrôle.
On peut mener deux ou trois opérations de ce type-là en même temps. On a quand même 280 000 militaires et il n’y en a que 3 000 au Mali que je sache. Je dis même qu’avec les décisions que j’ai prises dans la Loi de programmation militaire, on pourra refaire un Mali seuls, sans les Américains. Avec les drones – les deux premiers Reaper arriveront avant la fin de l’année à Niamey -, les avions de transport et de ravitaillement qui sont commandés. La petite armée française rabougrie, dont j’entends parler, pourra refaire un Mali toute seule dans les années à venir. ”
Forces prépositionnées en Afrique
” Le sujet est notre réactivité en Afrique entre les forces prépositionnées et disons, les OPEX maintenues. Si on a réussi au Mali, c’est que nous avions des forces à Ouagadougou. Nous sommes présents à Dakar, Abidjan, Bangui, Libreville, Bamako, N’Djamena, Niamey. Le moment est venu de réfléchir à la meilleure réactivité, notamment dans la gestion de la question du Sahel. ”
Syrie
” Nous maintenons notre dispositif même si Bachar semble jouer le jeu aujourd’hui. Après l’OIAC fera l’inventaire. Mais je peux vous dire qu’avec le Mali, plus notre détermination dans le dossier syrien, notre image, notamment au Moyen-Orient, est très forte. ”
Source: La voix du nord