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Le Directeur national du patrimoine culturel (DNPC), Lassana Cissé : “Nous avons recommandé d’inscrire Djenné sur la liste des sites en péril”

La ville de Djenné vient d’être classée patrimoine en péril par l’Unesco. Djenné  a perdu son “grade” de patrimoine classé, notamment en raison de l’insécurité, qui affecte les sites. Le Comité du patrimoine mondial de l’Unesco réuni à Istanbul le 14 juillet  dernier a exprimé “sa préoccupation” en raison de sa situation “dans une région affectée par l’insécurité”.  Il estime que “ce contexte ne permet pas de lutter contre les menaces qui affectent le site, notamment la détérioration des matériaux dans la ville historique, la pression urbaine et l’érosion des sites archéologiques”. Contrairement à Mediapart qui, dans un article sur la situation du Mali, a estimé que faute d’élaboration d’un rapport la ville de Djenné a été classée patrimoine en péril. Dans un entretien que le Directeur national du patrimoine culturel, Lassana Cissé a bien voulu nous accorder, il nous donne les raisons qui ont poussé le Mali à inscrire Djenné sur la liste des sites en péril.  Interview.

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Selon un article de Mediapart sur la situation du Mali, il ressort que la ville de Djenné a été classée sur la liste des patrimoines en péril faute d’élaboration d’un rapport.

Lassana Cissé : Tout d’abord je vais apporter une précision. L’Unesco dans le cadre de la Convention 1972 concernant le patrimoine mondial des sites culturels et naturels, le Mali n’a que des sites culturels contrairement à la Côte d’Ivoire et le Sénégal qui en plus des sites culturels possèdent des sites naturels. Il y a un site dans le pays dogon qui est à la fois culturel et naturel c’est-à-dire un bien mixte. En plus des trois catégories, il y a un quatrième qui est appelé paysage culturelle.  C’est un détail très important à savoir. Dans le cadre de la Convention de l’Unesco, les Etats proposent d’inscrire des biens. Le Mali jusqu’à présent a inscrit quatre biens. Les villes de Djenné et Tombouctou  ont été inscrites en 1988, le pays dogon en 1989 et le tombeau des Askias en 2004  Chaque année, il est demandé aux Etats de fournir un rapport sur l’état de conservation de chaque bien. Qu’il ait quelque chose ou pas chaque Etat parti doit  fournir ce rapport. C’est un détail important car il fait référence à Djenné.  Les sites sont inscrits sur la base des critères. Il y a dix critères en tout au niveau de l’Unesco. Il faut au moins un critère pour que le bien soit inscrit.

Le critère d’inscription qu’on appelle la valeur universelle exceptionnelle quand le site est menacé alors l’Unesco demande à l’Etat concerné d’apporter les mesures correctives. Pour Djenné, depuis 2011, les problèmes se sont posés, entre autres, les enlèvements d’otages, la ville a connu énormément de problèmes.  C’est une ville aussi bien que bien d’autres villes du nord vivaient du tourisme. A Djenné par exemple, les 60% de la taxe de la mairie provenaient du tourisme.  En plus de l’insécurité, les populations ont tendance d’apporter des changements à cette ville en terre ce qui ne plait pas beaucoup à l’Unesco car la ville a été inscrite à cause de son architecture.

A cela s’ajoute le problème de la spéculation foncière, l’érosion qui a beaucoup touché les sites archéologiques d’une grande importance et de valeur et l’architecture car la population n’arrive plus à faire les travaux d’entretien annuel. Pour toutes ces raisons, depuis 2011,  nous travaillons avec l’Unesco pour voir ce qu’on peut faire. Mais, on a constaté qu’on va de mal en pis dans le cas de Djenné parce que le conflit du nord est venu aggraver la situation. Si vous vous souvenez, après l’occupation de Tombouctou et de Gao, les deux villes ont été inscrites en site en péril. Il faut que les gens comprennent qu’une inscription en site en péril ne veut pas dire la fin du monde. Ça veut tout simplement dire que le site a des problèmes et qu’il faut apporter des mesures correctives. Comme il y a la dimension mondiale, l’inscription d’un site en péril interpelle la communauté internationale.  Djenné a été marquée les deux dernières années par une insécurité résiduelle. Nous avons compris qu’il faut sortir de la politique d’autriche.

Au lieu de faire un rapport, on a demandé à l’Unesco sur invitation de faire une mission de suivi réactif. C’est dans les textes de la Convention si un pays à problèmes on demande à l’Unesco d’envoyer les organisations consultatifs que sont le Conseil international de sites et monuments, l’Union international pour la conservation qui viennent faire le diagnostic du site avec l’Etat parti. Le diagnostic a été fait en avril dernier et nous avons produit un rapport très bien détaillé avec le ministère de la Culture de trouver un accord avec l’Unesco de voir comment on peut mobiliser au tant les ressources nationales et internationales pour apporter les mesures correctives que le site retrouve son luxe. Raison pour laquelle nous avons recommandé d’inscrire Djenné sur la liste des sites en péril.

C’est l’avantage de mobiliser la communauté internationale comme on l’a fait avec le cas de Tombouctou qui a été un grand succès avec la reconstruction des mausolées avec l’appui de l’Unesco.  Beaucoup de pays nous envient car le Mali a adopté une politique de gestion de proximité en créant des missions culturelles depuis 1993. Il y a un monitoring quotidien des sites culturels raison pour laquelle l’Unesco a confiance au Mali.  Le Mali est cité en exemple en matière de gestion de site. Nous avons élaboré un plan d’actions 2013-2017 qu’on est entrain de mettre en œuvre.

 La réhabilitation des sites de  Djenné est-elle comprise dans ce plan d’actions ?

Exactement, en plus de Djenné, tous  les quatre sites y sont compris mais c’est un processus. On a commencé par Tombouctou où les mausolées ont été reconstruits. Cette année, on ira à Gao,  Djenné et après le pays Dogon qui connait également la crise du tourisme. Dans ces sites, ce sont les communautés qui assuraient l’entretien et l’Etat apportait des mesures d’accompagnement et de surveillance.

 Quelle stratégie comptez-vous mettre en place en vue de mobiliser la communauté nationale et internationale pour la sauvegarde des sites ?

Concernant Djenné, en mars dernier lors d’une session de Conseil de ministre, on a modifié le Décret de classement dans le patrimoine national pas de celui de l’Unesco. A la suite de cette modification, le gouvernement nous a demandé de faire un plan spécifique pour Djenné qui prend en compte les différents problèmes assortir d’un budget de 144 millions de FCFA pour la période 2016-2017. Le département de la Culture est entrain de fournir d’énormes efforts. Le président de la République a instruit au ministre de l’Economie de faire une notification budgétaire concernant le cas de Djenné. Auparavant, une mission d’inspection du ministère de Domaine et des Affaires foncières a été envoyée  qui a sorti d’énormes difficultés sur le plan de la gestion foncière. Des mesures sont entrain d’être prises pour corriger toutes ces difficultés.

 On voit que ce ne sont que les sites du Nord qui sont concernés. Que prévoyez-vous pour les autres sites qui sont également en voie de disparition tel que le Tata de Sikasso?

Pour le Tata de Sikasso, l’année dernière nous avons effectué une mission avec le ministre de la Culture car le président de la République est très engagé et a même promis à la population de Sikasso  de réhabiliter le Tata. Là aussi dans le budget spécial d’investissements pour 2017 il est prévu 130 millions FCFA pour commencer les travaux de réhabilitation. La Case sacrée de Kangaba, de Kéniéro, l’Arche de Kamandjan et d’autres sites associés, nous sommes entrain d’enclencher le processus d’inscription sur la liste du patrimoine mondial. On n’a que quatre sites, nous voulons mettre un cinquième site. Et cela commence dès maintenant car de nombreuses personnes pensent que l’inscription est aussi facile que cela. C’est un processus, il y a beaucoup de travaux à faire, entre autres, la délimitation, le plan de gestion, la zone tampon, les coordonnées géo-références… Donc c’est une équipe pluridisciplinaire qui sera formé et va travailler sur le dossier qui fera des vas et viens avec le centre du patrimoine mondial.

L’inscription pourrait aboutir dans deux ans si Dieu le veut. Nous pensons  également à des sites naturels tels que la réserve des éléphants de Ghourma qui est une réserve de biodiversité, le parc du Bafing dans la région de Kayes, le Bassin du Niger, le Seuil de Markala etc. Nous travaillons sur les dossiers de ses sites pour les proposer car pour qu’un site soit inscrit il faut qu’il soit sur une liste indicative. On doit envoyer cette liste et entreprendre progressivement l’inscription sur la liste du patrimoine mondial naturel. S’agissant les sites des régions du Nord, c’est les sites très documentés. Depuis la période coloniale, nous avons eu beaucoup d’information sur les sites du Nord et le travail était relativement facile. Ce qui a facilité l’inscription de ses sites depuis 1988 et 1989. Mais les procédures d’inscription se poursuivent mais qui demandent énormément d’efforts et de moyens. L’Unesco  est entrain de nous aider dans le cadre d’une requête d’assistance internationale à lancer le dossier d’inscription d’où l’Etat doit prendre le relais.

Au jour d’aujourd’hui, le Mali compte combien de sites culturels ?

Nous avons quarante sites classés dans le patrimoine national et c’est parmi ses sites qu’il faut prendre des sites à inscrire sur la liste du patrimoine mondial.  Malheureusement, nous n’avons que quatre sites inscrits sur la liste du patrimoine mondial. Nous pouvons faire mieux  que cela car le Mali est un pays de patrimoine. Comparativement à d’autres pays de la sous-région c’est bien. Mais le Sénégal a sept sites inscrits sur la liste du patrimoine mondial. Au point de vue densité, de la richesse patrimoniale, nous sommes très bien lotis. Mais il faut continuer à travailler sur les dossiers inchalla on obtiendra des résultats.

 Hormis l’implication du département de la Culture dans la conservation des sites, quel rôle les mairies et les populations doivent-ils jouer ?

Dans l’esprit de la Convention, l’article 4 dit que “La conservation des sites inscrits relève au premier chef des communautés, des collectivités et des Etats”. C’est dire que l’Etat a un rôle à jouer, les collectivités et les communautés ont également un rôle à jouer. Plus en plus l’Unesco exige pour inscrire un site il faut un plan de gestion et de conservation qui est réalisé avec l’accord des parties prenantes c’est-à-dire il faut réunir tout le monde surtout à la base pour que les gens comprennent que l’inscription est leur volonté et ils sont prêts à accepter.

Malheureusement,  pour le cas de Djenné où la taxe touristique apportait  60% des revenus à la commune. Mais la commune en retour n’investissait pas dans la restauration même dans l’assainissement. Alors qu’un site s’entretient pour être préservé et conservé durablement. Je pense que la décentralisation doit être favorable pour une appropriation des communes et les collectivités de la gestion endogènes des sites inscrits. Cela est très important. S’ils ne s’impliquent pas c’est plus facile de détruire que de construire. C’est pourquoi Je dis que la conservation c’est d’abord le comportement positif des gens qui vivent autour des sites. C’est pourquoi à Djenné on connait d’énormément de problèmes. Les gens changent des constructions alors que cela est interdit dans la Charte de Venise et même les textes législatifs et réglementaires disent qu’ “Un site classé ne doit pas être touché sans l’avis du ministre compétent dans le domaine, le ministre de la Culture”. On met du temps à maitriser tout cela. Il y a aussi un manque criard de ressources mises à la disposition du département pour suivre ses sites classés. Il serait bien de créer un fonds de gestion du patrimoine au Mali. Tous les sites classés au niveau national que l’Etat puisse périodiquement intervenir dans leur entretien.

Les collectivités et les communautés (détenteurs des patrimoines) doivent aussi contribuer à la sauvegarde des sites. Sinon, cela n’a pas sens si c’est l’Etat seul qui doit le faire. Je crois que les conservations ne vont pas durer. Il arriverait un moment où l’Etat aura des difficultés comme c’est le moment actuellement.

 

Entretien réalisé par  Bandiougou DIABATE

Source : L’Inspecteur

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