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L’avenir politique au Mali : LES ATTENTES ET LES INQUIÉTUDES

Le temps est aux réponses que nécessitent des questions préoccupantes et à l’apaisement d’une opinion nationale en quête de certitudes

ibrahim boubacar keita ibk president malien visite kouremaleParler d’abattement serait certainement excessif. Mais il y a incontestablement une forte déprime au sein de l’opinion malienne. Pourtant celle-ci n’a guère été accoutumée à la facilité au cours de ces 54 années écoulées. Elle se révèle en effet traditionnellement dure au mal, sachant plier le dos devant l’inévitable, s’avouant rarement désarmée devant l’adversité et se montrant rapide à se remonter le moral à la moindre amorce d’embellie. Mais les bonnes nouvelles se sont malheureusement faites rares ces derniers temps. L’humeur populaire est minée par l’angoisse née de l’irruption d’un mal inconnu, taraudée par une inquiétude déjà ancienne et chagrinée par une incertitude inattendue. Le mal est, bien sûr, la fièvre Ebola qui en l’espace de 48 heures est passée du stade de menace diffuse à celui de péril réel. L’inquiétude reste liée au déroulement du processus de paix d’Alger, nos compatriotes restant obnubilés par la possible acceptation de concessions excessives, malgré les efforts d’éclaircissement déployés par le gouvernement. L’incertitude vient de la difficulté qu’il y aura à se qualifier à la prochaine Coupe d’Afrique des nations, les Aigles ayant aligné deux faux-pas qui mettent désormais leur avenir en pointillé.

Mais cette dernière préoccupation paraît bien mineure par rapport à l’urgence pour les autorités de réduire par les actes et par la parole le trouble qu’a jeté la menace Ebola dans notre pays. Nous parlons de « réduire », et non de « calmer », car il subsistera toujours une part incontrôlable de comportements subjectifs et de réactions fortement émotionnelles que suscite ce genre de maladies réputées inguérissables. Sans déjà chercher de boucs émissaires, il est quand même indispensable de faire remarquer que l’alerte survenue dans notre pays n’aurait pas atteint les proportions actuelles si certaines négligences avaient été évitées dans l’accueil et dans le traitement du patient défunt venu de Guinée. Il y a au moins eu une double faille dans le dispositif de veille mis en place. La première à la frontière avec notre voisin où les sentinelles ont succombé au danger qui frappe les veilleurs restés très longtemps sur le terrain. C’est-à-dire à un relâchement de la vigilance amené par la conviction que la période la plus critique était déjà passée.

La seconde défaillance nous paraît moins prévisible, et par certains côtés, inexcusable. Il nous semble que l’établissement hospitalier qui a accueilli le défunt imam aurait dû au moins signaler le décès d’un malade venu de Guinée au lieu de se limiter à évacuer en toute diligence le corps. Il y avait donc un réel malaise à entendre la semaine dernière un responsable de la polyclinique s’étendre sur la difficulté qu’il a désormais à résoudre les problèmes d’intendance des personnes mises en observation plutôt que de reconnaître les légèretés (c’est le mot le plus faible qui pourrait être utilisé) qui ont jalonné la prise en charge du patient guinéen et la contamination de deux membres du personnel soignant.

 

INCITER AUX BONS COMPORTEMENTS. Mais laissons aux spécialistes la mission d’investiguer pour évaluer la gravité des lacunes constatées. Le plus important aujourd’hui est de réaliser à sa véritable envergure le combat qu’engage notre pays qui est passé de la veille à la lutte effective. Deux points seront particulièrement importants à observer. Tout d’abord l’implication effective de tous les spécialistes du terrain, dont certains semblaient avoir été légèrement en retrait tant que la principale activité du Centre opérationnel d’urgence s’était concentrée sur la détection. Ensuite, l’attention à accorder au respect de la consigne donnée par le président de la République à propos d’une information précise et vérifiée donnée au jour le jour à nos compatriotes.

L’observation de l’instruction présidentielle est d’autant plus importante qu’il faut se souvenir à quel point la parole officielle a été dévalorisée, voire rejetée pendant trop longtemps dans les pays les plus atteints. Cela parce que la communication gouvernementale était restée assise entre deux chaises, se refusant au pari de la sincérité et s’efforçant de minorer la progression de la maladie. Nous ne sommes pas à un stade de gravité similaire. Mais il faut se garder de rogner sur la vérité d’aujourd’hui pour ne pas courir le risque de ne plus faire écouter celle de demain. Ceci admis, le combat pour la bonne information, celle susceptible d’endiguer la psychose, d’inciter aux bons comportements et de juguler la stigmatisation prématurée, ne sera pas toujours aisée à mener. Car dans la présente situation, il existe un décalage relativement important entre le temps médical et le temps médiatique. C’est-à-dire entre la nécessité pour les spécialistes d’établir (ou non) la réalité de la contamination au niveau des cas suspects et la précipitation des particuliers à jouer aux donneurs d’alerte. Dans la propagation de la rumeur, la presse est moins à redouter que les réseaux sociaux ou les simples SMS. C’est pourquoi la seule riposte possible à cet inévitablement bouillonnement d’annonces non vérifiées ne peut être que l’information la plus détaillée et la plus précise possible à chaque étape du combat engagé.

L’avantage relatif dont nous disposons dans notre épreuve est que la menace arrive au Mali à un moment où la lutte contre le virus Ebola (souche ouest-africaine) a rôdé ses méthodes, a renforcé le noyau des spécialistes et a surtout dépassé le stade au cours duquel la dangerosité du mal avait été largement sous-estimée autant par les gouvernements que par les partenaires extérieurs, malgré les mises en garde répétées de l’organisation Médecins sans frontières. Aujourd’hui, les appuis internationaux se manifestent par un renforcement considérable en équipements des structures prenant en charge les malades, par l’envoi de contingents importants de personnel médical spécialisé et par une attention toute spéciale à la formation du personnel local. Tout cela sans préjudice de la sensibilisation des habitants dont la plupart, fort heureusement, n’ont plus besoin d’être convaincus de la nécessité des précautions élémentaires à prendre.

Sur un tout autre plan, l’autre effort de communication auquel s’est attelé le gouvernement concerne l’explication des enjeux de la phase III du processus d’Alger. Effort rendu compliqué par un imprévu assez inattendu. En effet, le contenu intégral du document élaboré par la Médiation intitulé « Eléments pour un accord pour la paix et la réconciliation au Mali » a fuité aussi bien sur le Net que chez de nombreux confrères. La fuite a produit un effet indiscutablement embarrassant pour les négociateurs, celui de susciter une appréciation très critique de la part de nombreux acteurs politiques et de la société civile. Cette réaction est compréhensible, car tous ceux qui se sont trouvés en possession du document l’ont appréhendé comme un pré-accord, alors qu’il représente seulement une liste de propositions dont chacune peut être acceptée, amendée ou rejetée par les parties en négociation.

 

UN FOND DE SCEPTICISME. Les « Eléments » sont, en effet, constitués tout à la fois des propositions formulées par les groupes armés, de celles émises par l’équipe gouvernementale et de celles provenant en propre de la Médiation elle-même. Ainsi que l’avait fait remarquer le ministre chargé des Affaires Etrangères, le document constitue une base de travail intéressante pour notre pays, car plusieurs pistes de solutions élaborées pour le gouvernement y figurent,  notamment les idées forces sur la régionalisation. Par contre, le traitement de certaines questions institutionnelles par le biais d’une réforme constitutionnelle, l’introduction de quotas ethniques dans la composition des institutions ou la possible création d’une entité territoriale qui aurait les contours d’une Azawad fantasmée par certains groupes s’avèrent inacceptables par les négociateurs maliens. Comme on peut s’en apercevoir, l’explication était plutôt ardue à prodiguer à des auditoires qui ne sont pas forcément familiers des méandres d’une négociation internationale. Ce qui explique la persistance d’un fond de scepticisme et de jugements a priori malgré l’exercice pédagogique. Il y a cependant une évidence que doivent prendre en compte nos compatriotes au moment où se profile Alger III.

Par rapport au premier round d’Alger II qui s’était étendu du 1er au 23 septembre dernier et d’où ont été extraits de nombreux « Eléments », on enregistre une modification substantielle (pour user d’un adjectif qui a beaucoup servi dans ce processus) de la conjoncture. Il y a deux mois, le Mali ne se trouvait pas dans la meilleure posture possible de négociation. Les événements de Kidal l’avaient affaibli sur le plan militaire, la communauté internationale lui reprochait d’aller aux discussions en traînant les pieds et même ses mises en garde sur les premiers signes de la dégradation de la situation sécuritaire dans notre Septentrion et sur le désarroi grandissant des populations paraissaient complètement inopportunes aux yeux de partenaires désireux d’aboutir rapidement à un accord de paix avec la troïka MNLA-HCUA-MAA tendance radicale. Les faits ont malheureusement confirmé, depuis, les inquiétudes exprimées par les autorités maliennes. Le retrait des FAMa de positions qu’elles sécurisaient auparavant a déclenché une multiplication d’actes de banditisme, les groupes armés de la Coordination se sont révélés incapables de sécuriser la part de territoire qu’ils affirmaient contrôler et les djihadistes ont marqué de manière meurtrière leur retour en terre du Mali.

 

VERS DES POSITIONS RAISONNABLES. Les forces de Barkhane ont donc été obligées de réengager vigoureusement le combat contre la « réinfestation » djihadiste, le retour – même limité – de l’Armée malienne sur le terrain produit déjà ses premiers effets positifs, surtout dans le zone du Gourma. Les pays contributeurs de troupes – Tchad, Niger et Sénégal en tête – ont énergiquement interpellé l’ONU pour que les contingents les plus ciblés de la MINUSMA aient au moins les moyens de leur légitime défense. Le HCUA, traversé par des luttes intestines de leadership, a imprudemment appelé les siens au combat contre les forces internationales. Le MNLA pour s’être pris de querelle avec le GATIA, a perdu certaines de ses positions. Et fait majeur, la chute de Blaise Compaoré prive désormais les responsables de la Coordination de leur principal appui politique et diplomatique, de la personnalité qui non seulement leur garantissait un appréciable accompagnement logistique, mais qui était aussi le seul médiateur à admettre explicitement la légitimité de la création d’une entité Azawad.

Le vent a donc sensiblement tourné et il faut savoir le prendre dans les voiles de la négociation pour la paix. Lors de la phase II du processus d’Alger, le Mali avait montré une réelle disposition à la conciliation et surtout fait des propositions allant dans le sens d’une meilleure maîtrise de leur développement par les populations. Il reste à souhaiter que les interlocuteurs qui s’étaient figés sur le scénario du fédéralisme (pourtant déclaré « inenvisageable » par la Médiation elle-même) reviennent vers des positions raisonnables.

Nul n’est besoin de se dissimuler la difficulté du moment actuel. Les attentes et les inquiétudes recensées plus haut viennent alourdir une atmosphère perturbée par les difficultés de vivre au quotidien, la sourde exaspération créée par les révélations du rapport du Vérificateur général et l’instabilité qu’amènent les rumeurs récurrentes de remaniement gouvernemental. Espérons que cette passe délicate soit franchie en privilégiant ce qui tient le plus à cœur à nos compatriotes, la préservation de notre devenir commun dans l’équité et dans l’effort partagé. Ces deux dernières notions sont importantes pour affronter les heures compliquées que traverse la nation malienne. C’est parce qu’elles ont conscience des fragilités de notre pays que les populations refusent l’affichage de certains radicalismes. Et c’est parce qu’elles croient toujours en la solidité de notre vivre ensemble que les mêmes populations s’abstiennent encore de désespérer de l’avenir.

G. DRABO

source : essor

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