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L’avenir politique au Mali : L’ACCOMPAGNEMENT ET LA VEILLE

Rester en éveil devrait être la principale préoccupation de la très forte majorité présidentielle. A condition de tirer leçons des faiblesses passées du Parlement

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Sur cette question, les analystes n’auront pas trop de difficultés sur la conclusion à tirer. L’Assemblée nationale qui va être bientôt installée ne dérogera  pas à la particularité qui fait que depuis 1992, aucun parlement n’est vraiment similaire aux autres. Chacun a reflété à sa manière le visage souvent changeant de la démocratie malienne et les brutales variations dans les rapports de force partisans. Chacun a été soumis à la rude loi de rotation des candidats instaurée par les partis eux-mêmes et qui de législature en législature confie la mémoire de l’institution à une maigre poignée de « survivants ». Chacun a laborieusement cherché la voie étroite pour tenter d’affirmer son identité face à un président de la République, maître absolu du jeu et face à un gouvernement avec lequel un bras de fer est à éviter autant que possible. Chacun a eu aussi sa méthode pour essayer de s’adjuger l’estime d’une opinion publique extrêmement réservée à son égard et pour conserver la faveur d’un électorat exigeant quant aux avantages attendus de ses représentants.

Il est absolument inutile de supputer sur la manière dont se comportera la nouvelle Assemblée tant est important le quota de nouveaux députés qui devront y trouver leurs marques. Un léger flottement est possible, car au terme des dernières législatives, le Parlement a vu s’en aller des personnalités qui représentaient une bonne partie de sa mémoire et il aura aussi à se passer de certains des plus brillants « agitateurs de dossiers » de la précédente législature. L’A.N. devra donc se donner ses nouveaux hommes forts et trouver ses nouveaux experts sur les dossiers les plus pointus. La nécessité de faire émerger des leaders neufs se ressent moins à l’opposition où devrait s’imposer logiquement Soumaïla Cissé qu’à la majorité présidentielle dont on ne sait pas encore de manière certaine qui sera le futur «  Numéro Un »  et probable président de l’institution.

Quelque soit la personnalité qui sera choisie pour jouer ce rôle, elle aura comme première urgence d’asseoir son autorité et d’installer son influence. Car un fait est là. Parmi les élus du RPM dont le nom est évoqué pour remplir cette haute fonction, aucun ne peut se prévaloir d’une prééminence de légitimité absolue et indiscutable. C’est cette particularité assez inhabituelle qui alimente la foule de rumeurs sur les éventuels favoris. Mais l’incertitude sur l’élection de la troisième personnalité de la République n’est en fait que virtuelle, car elle est suspendue uniquement à l’approbation implicite du président Ibrahim Boubacar Keïta. Une fois cet adoubement délivré, il restera surtout au futur chef de l’institution parlementaire à mener sa barque avec doigté et intelligence pour que l’AN ne soit pas un simple guichet d’enregistrement des  projets gouvernementaux ou la caisse de résonnance du parti majoritaire.

 

DES GRINCEMENTS DE DENTS. Le déroulement des législatures précédentes a confirmé ce qui constitue une lapalissade politique : il est beaucoup plus compliqué d’obtenir une réelle qualité dans le fonctionnement de l’Assemblée avec une majorité présidentielle écrasante qu’avec un camp présidentiel ayant besoin du renfort conséquent d’autres partis. Le PASJ avait expérimenté cet embarras lorsqu’il disposait à lui seul d’une majorité absolue de 76 députés sur 117 en 1992 et de 126 députés sur 147 en 1997. Dans les années initiales de la première législature, on assista même à un phénomène rarissime. Le président de l’Assemblée de l’époque et secrétaire politique du PASJ n’hésitait pas lors de ses allocutions d’ouverture des sessions parlementaires à se faire le procureur de l’action gouvernementale. Sans s’opposer frontalement au président de la République, il ne se privait pas de pointer les lenteurs dans le travail de l’Exécutif ou de prendre ses distances avec des dossiers dont il estimait le traitement discutable. Le professeur Ali Nouhoum Diallo, dont la démarche provoquait bien des grincements de dents au sein de son propre camp, se faisait un point d’honneur d’être la conscience de gauche du PASJ et de rappeler l’importance de certains idéaux de combat du Mouvement démocratique.

La différence d’approche n’est cependant jamais allée jusqu’à une divergence ouverte  sur la conduite des affaires de l’Etat. Lors de leur décennie d’hégémonie, les parlementaires du PASJ n’ont montré en fait qu’à une seule reprise une volonté assez nette de s’inscrire contre un projet présidentiel. Cela se situa en 1996 lorsque Alpha Oumar Konaré voulut procéder à une relecture de la Loi électorale, relecture qui aurait permis à travers l’institution d’un scrutin mixte une plus large représentation des partis politiques à l’Assemblée nationale.

Le projet de texte proposait, outre la création d’une Commission électorale nationale indépendante, l’instauration d’un mode de scrutin proportionnel dans les circonscriptions à forte représentation (quatre députés et plus) et d’un scrutin majoritaire à un tour dans celles comportant de un à trois députés. Les parlementaires rouges et blancs exprimèrent une forte réticence à accompagner l’initiative présidentielle qui, selon eux, les affaiblirait dans certains de leurs fiefs traditionnels et contrarierait leurs projets de conquête de bastions de l’opposition (particulièrement Ségou et Sikasso) lors des législatives de 1997. Le chef de l’Etat finit tout de même par enlever l’adhésion des siens, mais ne remporta qu’une victoire à la Pyrrhus puisque la Cour constitutionnelle, tout en avalisant la création de la CENI, retoqua le texte présidentiel sur la seconde innovation. Les Sages firent prévaloir que l’instauration de deux modes de scrutin créerait une inégalité des citoyens devant la loi, le même résultat chiffré générant des conséquences différentes selon les circonscriptions.

Une seconde grogne parlementaire aurait pu être possible aux alentours de 2001 quand des conseillers du président Konaré désireux de mettre en route une série de projets d’amendements à la Constitution envisagèrent un moment qu’une deuxième chambre soit créée au niveau du Parlement malien. L’idée ne fut pas retenue devant la levée de boucliers des députés qui percevaient la nouvelle création comme une institution concurrente. En outre, devant les critiques répétées de l’opposition qui l’accusait de vouloir aménager son impunité en supprimant la Haute cour de justice et surtout face à l’accueil hostile de l’opinion publique qui jugeait l’initiative tardive et inopportune, le président Konaré préféra abandonner son projet d’organiser un référendum constitutionnel.

 

UN ÉPARPILLEMENT SANS PRÉCÉDENT. Ainsi qu’on le voit, une large majorité présidentielle laisse assez logiquement présager d’un accompagnement paisible du chef de l’Etat, sauf si les projets de ce dernier perturbent le confort parlementaire. Tout est réuni aujourd’hui pour que cette tradition soit respectée par l’actuel Parlement. En tout premier lieu, le fait que le RPM dispose d’un poids proprement écrasant à l’Hémicycle. Les Tisserands ne bouclent pas la boucle de la majorité absolue (74 élus), mais avec leurs 70 députés ils se trouvent à l’abri de toute contestation, tant l’appoint qui leur est nécessaire s’avère dérisoire et facile à réaliser. Ensuite, la démarche choisie pour consolider le camp présidentiel (la signature d’un contrat de législature) exploite habilement la dispersion et la modeste envergure individuelle des forces politiques représentées à l’AN. 19 partis se retrouvent à l’Hémicycle, ce qui en fait beaucoup pour une disponibilité de 147 sièges. Ce nombre représente pratiquement le double des partis présents à l’Assemblée nationale en 1992 (10 formations) et le triple de ceux siégeant en 1997 (6).

L’émiettement de la représentation parlementaire avait commencé en 2002 avec 15 formations présentes à Bagadadji et s’est poursuivi en 2007 (16 partis). Cette législature a en outre enregistré une émergence inhabituellement forte des Indépendants. De 5 précédemment leur nombre est monté à 15, leur permettant d’être la troisième force de l’Assemblée. En outre, lors de la constitution des groupes parlementaires, les Indépendants reçurent le renfort de neuf députés supplémentaires venus du PASJ et de l’URD. Aujourd’hui les Indépendants (4) ont choisi de se rallier au RPM. Mais la représentation des forces partisanes a atteint un degré d’éparpillement sans précédent. Au point que les grands concurrents du RPM se trouvent à un étiage particulièrement bas avec 17 députés pour la formation à la poignée de main et 16 pour les Rouges et blancs. Les groupes que constitueront l’URD et le PASJ ne seront donc pas suffisamment étoffés pour espérer peser de temps à autre sur les débats, ne serait-ce qu’en concluant des rapprochements de circonstance avec d’autres formations. Ces dernières au nombre de 16 ne disposent d’ailleurs que d’une marge de manœuvre extrêmement limitée au regard de la modestie de leurs contingents respectifs (de un à six députés). En outre, le règlement intérieur de l’AN va encore limiter leur possibilité de jouer aux francs-tireurs en portant de cinq à dix députés le nombre minimal pour la formation d’un groupe.

 

LES ÉQUILIBRES RESTENT FRAGILES. La majorité présidentielle, où 13 partis devenus vendredi dernier membres de l’Alliance pour le Mali ont déjà formalisé leur entrée, est donc sans surprise robuste. Sans surprise, lorsqu’on se souvient du fort afflux de soutiens au candidat Ibrahim Boubacar Keïta entre les deux tours de la présidentielle. Sans surprise aussi au regard du trop-plein des alliances proposées au RPM avant les législatives. Sans surprise enfin au vu du prompt basculement des quatre élus indépendants dans la formation du Tisserand qu’ils avaient pourtant affrontée avec succès sur le terrain. La question essentielle qui se pose désormais est de savoir si cette majorité sera capable d’adopter une distance critique par rapport à l’action gouvernementale. Car l’appui à la réalisation du programme du président de la République n’est pas synonyme d’acquiescement automatique à toutes les initiatives de l’Exécutif. Il suppose que le Parlement garde aussi à l’esprit sa fonction d’alerte et surtout n’hésite pas à la jouer véritablement.

Le passé proche est là pour rappeler que dans la crise du Nord, les députés – singulièrement ceux de la coalition présidentielle (l’Alliance pour la démocratie et le progrès) et les Indépendants – ne sont pas allés jusqu’au bout de leur fonction de sentinelle. Certes (et eux-mêmes le rappellent volontiers), ils ne sont pas restés inactifs, envoyant des missions sur le terrain pour interroger les soldats touareg revenus de Libye avec des équipements militaires, auditionnant à huis clos les ministres chargés de la Défense et de l’Administration territoriale, rencontrant en audience le président de la République. Mais au terme de toutes ces démarches, le Parlement s’est limité à exprimer de manière assez neutre sa préoccupation alors qu’il lui était possible d’adopter une attitude plus tranchée.

Aujourd’hui, la conjoncture est différente, mais elle n’exonère pas les députés de leur obligation de veille. Les équilibres obtenus au cours de ces derniers mois restent fragiles et des périls persistent, même s’ils sont différents de ceux affrontés au cours des deux années précédentes. Ils s’inscrivent en creux dans tous les grands challenges engagés.  Dans la sécurisation du territoire à terminer ; dans la réhabilitation du Nord à mener au plus vite ; dans le vivre ensemble à revitaliser ; dans la moralisation de la vie publique à réussir et dans l’économie à relancer. Le président de la République soulignait dans son message de Nouvel an la légitime impatience des populations qui ont « attendu trop longtemps » leur « rendez-vous  avec le progrès ». C’est cette impatience qui mérite que nos élus aussi lui prêtent attention.

G. DRABO  

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