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L’avenir politique au Mali : LA SAISON DES PRÉOCCUPATIONS

Trois dossiers majeurs mettent sous tension cette fin de mois d’octobre. Et soumettent le gouvernement à un exercice particulier de persuasion 

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Cette alternance là retient moins l’attention que celle purement politique. Pourtant, elle représente depuis 1991 une trait particulier de notre vie publique et fait se succéder, selon un rythme aléatoire, les périodes de brusque emballement et les temps morts prolongés. Les seconds sont, à la différence des premières, assez largement prévisibles. Ils sont amenés moins par la morosité socio-économique que par les incertitudes de la vie politique. Ils se sont instaurés quasiment en coutumes lors de chaque après-présidentielle et à la faveur de la plus insignifiante rumeur de remaniement gouvernemental. Les effets de cette léthargie qui frappent avant tout l’administration publique avant de se propager en ondes concentriques dans les autres domaines d’activité se font malheureusement sentir de manière de plus en plus accentuée depuis le début de la crise de 2012 et à la suite des ravages que celle-ci a causés sur la vie institutionnelle.

Mais en cette fin de mois d’octobre, c’est au phénomène inverse qu’il faut prêter attention avec les récents développements de la situation au Nord du Mali, l’échauffement du front social et la concrétisation de la menace Ebola dans notre pays. Aucune de ces questions n’interagit avec les deux autres, mais leur survenue simultanée met inévitablement tout l’Exécutif sur le pont et l’oblige, certainement, au plus important exercice d’écoute et de persuasion qu’il ait eu à assumer depuis sa mise en place. Car, il s’agit pour le gouvernement non seulement de trouver les bonnes réponses, mais aussi et surtout de réussir à se faire écouter et à se faire comprendre. Il est en effet facile de constater que sur les deux premiers dossiers, il n’y a pas eu formellement un déficit d’échanges entre les différents protagonistes. Par contre, il s’est relevé une qualité insatisfaisante de dialogue qui ne peut être réparée que par l’établissement d’un seuil de réelle confiance entre les parties en présence et par une évaluation partagée des priorités à gérer en urgence.

Sur le problème du Nord, deux interrogations se posent aujourd’hui avec acuité et continueront à revêtir une importance majeure même après la conclusion souhaitée d’un accord de paix. Le premier des questionnements concerne la réponse à donner aux attaques terroristes qui en toute probabilité devraient se concentrer de plus en plus dans la région de Kidal et cibler encore plus fréquemment la MINUSMA. Celle-ci est perçue par les djihadistes moins comme un réel obstacle à leur retour que comme un importun impressionnable qu’ils doivent dissuader de les gêner dans leur volonté de s’établir et de s’afficher ouvertement sur le terrain. Pour le moment, les officiels de l’ONU se sont limités à une double réplique dont le contenu se situe bien en dessous du défi lancé par les terroristes. Ils ont tout d’abord réaffirmé la robustesse du mandat de la Mission et affirment s’employer à doter celle-ci de l’équipement qui lui permettrait de mieux assurer son auto-défense et d’être plus active dans la protection des populations. Ils ont ensuite sommé de la manière la plus pressante les groupes armés – en l’occurrence le MNLA et le HCUA – de s’impliquer totalement dans la sécurisation de la zone qu’ils sont supposés contrôler.

 

UNE INCAPACITÉ MILITAIRE. Mais aucune de ces deux réactions des responsables onusiens n’apporte en fait de réponse adéquate à la situation qui est en train de se créer. Les règles d’engagement des troupes de l’ONU sont si restrictives qu’un équipement conséquent n’amènera pas forcément une réaction adaptée, surtout si les djihadistes optaient pour l’escalade. Le vrai problème de la MINUSMA, c’est qu’en choisissant de s’ « autoconfiner » dans son camp de Kidal, elle s’est coupée des réalités de la zone et s’est dépouillée de toute capacité de réaction. Le meilleur révélateur de cet état de fait a été l’opération de police menée par les forces de Barkhane. Les Français pour procéder à la neutralisation des inspirateurs du bombardement du camp onusien ont réussi la collecte de renseignements à laquelle se sont montrés incapables de procéder les Casques bleus. Ceux-ci, à force de se préoccuper uniquement à donner des gages de neutralité, renvoient désormais à la population kidaloise une image de pusillanimité et de vulnérabilité. C’est d’ailleurs cette même impression d’impuissance que dégage le contingent de la MINUSCO au Congo. Contingent qui pourtant ne souffre pas de problèmes d’effectifs, encore moins d’équipements et de mandat, mais dont la passivité a été très durement critiquée par les populations de l’Est de la RDC, la semaine dernière.

En ce qui concerne la mise en demeure lancée aux groupes armés de Kidal par Hervé Ladsous, chef des missions de maintien de la paix de l’ONU, elle n’a suscité aucune réaction officielle des intéressés. Pour la simple et bonne raison que ces derniers n’ont nullement l’intention de la prendre en considération. Officieusement, les rebelles lient leur implication dans la lutte anti-terroriste à la signature d’un traité de paix. Mais les raisons objectives de leur passivité sont faciles à établir. Elles sont liées d’une part, à l’incapacité militaire de s’opposer aux djihadistes ; et d’autre part, aux relations ambigües que certaines composantes de la Coordination (HCUA, MNLA et MAA tendance radicale) ont noué avec les éléments de l’Ançar Dine de Iyad Ag Ghali et qui les amènent à ménager ces derniers.

Si la MINUSMA feint de ne pas saisir l’importance décisive de ces facteurs objectifs, ceux ci ne sont pas ignorés de certains de nos partenaires, notamment nigériens et tchadiens, qui ont déjà combattu le type d’ennemis auxquels nous faisons face aujourd’hui, qui sont familiers des spécificités du théâtre d’opération saharien et qui mesurent très précisément les risques d’une dégradation rapide de la situation sécuritaire si une riposte idoine ne s’organise pas. En outre, ces partenaires acceptent de plus en plus mal les restrictions imposées par les règles d’engagement de la MINUSMA, règles qui les exposent à un harcèlement continu sans qu’ils puissent réellement riposter.

Ce n’est donc pas un hasard si le Niger se propose d’organiser sous peu une réunion des pays contributeurs de troupes. La France qui est arrivée aux mêmes conclusions que les Nigériens et les Tchadiens, a déjà réagi, ainsi que l’a indiqué son ministre de la Défense de passage à Dakar et à Bamako. Le dispositif Barkhane a procédé aux aménagements indispensables pour contrecarrer le retour des djihadistes. Mais Yves Le Drian n’a pas hésité à pointer clairement la passivité de la MINUSMA et a fait tout aussi clairement comprendre que les forces de son pays étaient aujourd’hui obligées de combattre ce que le dispositif onusien n’avait pas essayé de contenir.

 

L’HYPOTHÈQUE DE TAILLE. Les réactions nigérienne et française relèvent de l’indispensable. Car, répétons-le une fois de plus, les éventuelles erreurs et lenteurs dans le traitement de la question sécuritaire au Mali auront des répercussions extrêmement négatives sur les aires aussi bien ouest-africaine que sahélo-saharienne, aires dont la fragilité est soulignée chaque jour davantage. C’est là une réalité que devront prendre en compte les signataires du futur accord de paix. Ces signataires ne peuvent pas non plus ignorer l’inquiétude manifeste et persistante des populations maliennes quant à la préservation de notre intégrité territoriale et de notre unité nationale. Cette inquiétude ne baisse pas en dépit de toutes les assurances prodiguées par le gouvernement qui insiste sur le fait que la médiation elle-même se porte garante du respect des fameuses lignes rouges et a rejeté le scénario du fédéralisme.

La prévention populaire contre un excès de compromis reste donc palpable. Elle laisse augurer de l’énorme effort pédagogique qu’il y aura à déployer pour assurer une juste compréhension des solutions qui seront dégagées et dont le caractère équitable devra être mis en avant. Il n’y a rien d’inattendu dans la difficulté à expliquer un accord de paix concernant le Nord du pays : depuis 1992 toutes les entreprises en faveur de la paix et de la réconciliation ont recueilli au mieux l’acceptation résignée de l’opinion.

Cette fois-ci, l’agrément populaire intégrera surtout l’espoir de sortir enfin d’un engrenage angoissant pour se consacrer prioritairement à l’amélioration de la situation socio-économique générale. Mais même dans ce domaine, il faut lever l’hypothèque de taille que représente le préavis de grève déposé par l’Union nationale des travailleurs du Mali et qui faisait hier après-midi l’objet d’une ultime séance de conciliation. Le respect des délais d’impression ne nous ayant pas laissé la possibilité d’en connaître le résultat final, nous nous limiterons à constater l’extrême difficulté qu’il y a eu pour les deux parties à trouver un terrain d’entente. Un fait complètement inusité est d’ailleurs venu illustrer le fossé qui subsistait entre les doléances de la centrale syndicale et la marge de manœuvre des négociateurs gouvernementaux.

Il y a quelques semaines, le chef de l’équipe de conciliation, Lamine Diarra, avait obtenu une audience auprès du président de la République et avait sollicité ce dernier afin qu’il encourage le gouvernement à plus d’attention à la situation précaire d’une majorité des travailleurs et à plus de souplesse dans les négociations. La démarche était proprement inédite puisque traditionnellement la fonction d’ultime recours échoit au Premier ministre. Le chef de gouvernement intervient le plus souvent pour dénouer (avec l’assentiment du chef de l’Etat) un point particulièrement délicat. Mais le très expérimenté conciliateur en chef avait dérogé aux usages parce qu’il avait perçu la profondeur des divergences entre les équipes de négociation et les raidissements qui, de part et d’autre, avaient réduit les possibilités de concession.

 

DE MANIÈRE IMMUABLE. Lamine Diarra, en tant qu’ancien leader syndical, n’ignorait rien non plus de la nocivité de deux grèves consécutives. Ce genre d’escalade, outre le préjudice économique pour le pays, suscite inévitablement une difficulté à dépassionner la reprise des discussions, une moindre écoute mutuelle et une réduction de la disponibilité aux compromis. Sans oublier que dans la conjoncture présente, l’absence d’un accord gouvernement-UNTM peut encourager la multiplication d’escarmouches sociales de moindre dimension, de radicalité variable, mais dont l’impact se révélerait inévitablement négatif aussi bien pour la marche de l’Administration publique que pour l’image du pays. Nous devons d’autant plus nous passer de cette conflictualité latente que depuis la fin de la semaine dernière, la mort d’une fillette causée par le virus Ebola nous propulse à l’avant-scène de l’actualité.

Le traitement médiatique de l’épidémie s’exerce de manière immuable depuis plusieurs semaines : toute apparition de nouveau cas en dehors des trois pays gravement frappés se dramatise à l’extrême, au risque de provoquer très souvent des phénomènes de panique et une psychose disproportionnée par rapport à la réalité des périls encourus. Le Mali ne fera donc pas l’économie d’une anxiété légitime. Le plus délicat pour nos autorités sanitaires dans la gestion de la communication est de maintenir le juste équilibre qu’elles ont pour le moment trouvé entre la communication sans fard sur les risques existant et la confiance à inspirer dans le dispositif mis en place et sur les précautions indispensables à observer. On a, en effet, vu en Guinée et au Libéria les dommages causés par une information rassurante à l’excès et qu’il a été difficile de rectifier ensuite sans désorienter gravement les populations.

Cette fin octobre 2014 concentre donc dans notre pays trois graves préoccupations dont personne ne peut présumer des développements futurs. Elle fait aussi ressortir une particularité alarmante sur laquelle nous reviendrons dans une prochaine chronique. La gravité de la situation sécuritaire et socio-économique aurait pu amener la mise en veilleuse provisoire de certaines divergences. Mais elle semble au contraire aiguiser les contradictions sociales et politiques. Ce phénomène est certainement favorisé par les effets conjugués de la méfiance persistante sur les négociations d’Alger et de l’émotion soulevée par les révélations du Vérificateur général et de la Section des comptes de la Cour suprême. Ces deux poisons lents travaillent le grand corps malien et les antidotes prévus n’opéreront malheureusement pas de manière fulgurante.

G. DRABO

source : essor

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