informations dignes de foi en provenance des couloirs de Koulouba (montagne sur laquelle est juchée la Présidence malienne) le clash est rampant entre Bamako et Dakar. L’embryon d’une discorde pourrait progressivement prendre l’envergure d’une mésentente, si le dossier Amadou Toumani Touré alias ATT n’est pas évacué dans des conditions respectueuses de la souverainté du Mali. La petite phrase de Macky Sall sur le plateau de TV5 Monde ayant provoqué, à cet égard, un vent frisquet sur les relations déjà tièdes – nonobstant les accolades et les poignées de main rituellement diplomatiques – entre les deux pays.
Site phare de la presse en ligne et réceptacle d’une multitude d’opinions, bamada.net a restitué le point de vue télévisé du chef de l’Etat sénégalais sur l’inculpation officiellement envisagée de l’ex-Président ATT. Je cite le site : « Macky Sall respecte cette décision du Président Ibrahim Boubacar Keita mais conseille la prudence. Car il s’inquiète que cette affaire ne soit la source d’une nouvelle crise au Mali et de méfiance entre les Maliens ». Restitution fidèle, approximative ou orientée des propos tenus sur le Mali, face à la journaliste Denise Epoté Durand ? L’unique certitude est l’ébullition – sous forme de bouffée de colère – qui convulse le microcosme politique de Bamako.
Au commencement, il y a le communiqué publié, le 27 décembre 2013, dans lequel le gouvernement de Bamako annonce de prochaines poursuites contre ATT, en y dévoilant une série de charges retenues contre le fuyard, l’exfiltré et l’hôte du Sénégal. Parmi les chefs d’accusation, on peut rappeler deux. Premièrement : avoir en sa qualité de Président de la république et de chef des armées, et en violation du serment prêté, facilité la pénétration et l’installation de forces étrangères sur le sol national. Ici, je signale que la justice malienne fait allusion au retour au bercail du Colonel Mohamed Ag Najim (d’origine malienne mais de carrière libyenne) venu occuper les alentours de Kidal en 2011, après l’implosion de la Libye. Deuxièmement : avoir participé à l’entreprise de démoralisation de l’armée caractérisée par les nominations de complaisance d’officiers, au patriotisme douteux. Allusion à la myriade de Généraux scotchés dans les bureaux de l’Etat-major à Bamako ; et à la flopée de Colonels touaregs (au patriotisme fluctuant) imposés par les Accords d’Alger de 2006. A l’exception du valeureux Colonel Aj Gamou promu Général par IBK.
Les orfèvres du Droit et les observateurs politiques sont libres d’apprécier diversement la démarche et les arguments de la justice malienne ; mais force est d’admettre que les Maliens – conjoncturellement malheureux et éternellement fiers – ne sont pas moins souverains que leurs voisins. Et, à ce titre, ils peuvent revendiquer la possibilité de juger ceux qui ont eu, hier, l’insigne honneur de les gouverner. Tout comme le Sénégal emprisonne, aujourd’hui, certains responsables du régime défunt de Wade, en proclamant haut et fort, qu’il s’agit d’une demande populaire. Remarque cinglante d’un internaute de Ségou : « Voilà un Président (Macky Sall) qui arrête ses voleurs et veut faire échapper les nôtres ».
Manifestement, la présence d’ATT au Sénégal est un boulet de plus en plus lourd à trainer. Et pourtant, le Sénégal pouvait bien – au regard de la jurisprudence Paul Biya – s’éviter l’actuel merdier et futur cimetière des bonnes relations avec le Mali. Voisin direct du Tchad et de la Centrafrique (deux pays gros pourvoyeurs de Présidents renversés), le Cameroun a toujours et systématiquement refusé d’accorder un asile prolongé aux infortunés et errants chefs d’Etat ayant franchi ses frontières : Hissène Habré, Félix Patassé et François Bozizé. La raison est bien sûr motivée par le souci de ne pas apparaitre – à tort ou à raison – comme le sanctuaire à partir duquel on entretient des rêves et peaufine des plans de reconquête.
L’ex-Président Abdou Diouf a été, lui, à l’école de Paul Biya. Voilà pourquoi il a accueilli durablement Hissène Habré et – a contrario – brièvement hébergé Daouda Diawara, en juillet 1994, à la résidence de Médina. Explication : le Tchad n’a pas de frontière avec le Sénégal ; tandis que la Gambie se niche dans l’estomac du Sénégal. En 2012, Macky Sall aurait pu diriger son ex-collègue Amadou Toumani Touré sur le Bénin dont le Président, Thomas Yayi Boni, était également le Président en exercice de l’Union Africaine (UA).
Dans cette affaire ATT, la pénurie de bons arguments est patente, du côté de Dakar. C’est même l’étiage, dès qu’on fait l‘inévitable parallèle avec l’affaire Hissène Habré, d’une part ; et dès qu’on opère un rapprochement entre la démarche judiciaire de Bamako, et la traque des biens mal acquis, d’autre part. Certes, comparaison n’est pas raison, mais l’inconséquence également ne peut pas être soutenue. Encager Hissène Habré sans états d’âme puis cajoler impudemment ATT, ça fait bougrement désordre. Du coup, le Président Sall dont le gouvernement traque fermement les présumés pilleurs libéraux du Sénégal – en étant sourd à tout appel à la clémence, au nom de la juste séparation des pouvoirs – doit éviter, à l’avenir, toute évocation publique du cas ATT, jusqu’à son dénouement.
Au demeurant, s’il y a un pays africain qui, sur le terrain des relations souveraines avec les autres, doit marcher sur des œufs, c’est bien le Sénégal. En trente ans de guerre en Casamance, aucun chef d’Etat ouest-africain (en dehors de ceux de la Guinée-Bissau et de la Gambie officiellement impliqués par le Sénégal à travers les Accords de Cacheu, en 1991 et les pourparlers de Banjul, en 1998-99) ne s’est prononcé publiquement sur la rébellion dans le sud du Sénégal. Par respect scrupuleux de la souveraineté sénégalaise. Même silence sur la traque des biens mal acquis et son lot de prisonniers parmi lesquels le fils d’un Président électoralement battu. Pourtant certains chefs d’Etat sont aussi muets qu’inquiets. Car le syndrome Karim Wade les affecte, au point que certains analystes ne sont pas loin de penser que le sort du fils de Wade n’est pas étranger aux révisions en cascade des Constitutions, envisagées au Bénin, au Burkina, en RDC et au Cameroun.
Dans un contexte de guerre dans la guerre (guerre interminable contre la Libye du Colonel Kadhafi et opérations militaires contre la dissidence armée de Déby épaulée par Paris et Tripoli) le Président Hissène Habré et sa DDS avaient gravement dérapé : massacres et violations massives des droits de l’homme etc. Aujourd’hui, il attend dans sa cellule, un procès qui lui est équitablement garanti, au cours duquel il aura le loisir de prouver son innocence. De façon symétrique, ATT aura aussi la latitude de s’expliquer devant les autorités judiciaires d’un Mali nouveau qui a enterré l’Etat d’exception et les pratiques expéditives du capitane Sanogo, puis élu un Président légitime. De même que Hissène Habré, chef de l’Etat n’arrêtait ni ne torturait personnellement les Tchadiens, ATT également ne commandait ni le théâtre des opérations à Gao ni la compagnie du capitaine Traoré alias BAD entièrement décimée à Aguelhok. Faute de munitions.
Son prédécesseur, le Général Moussa Traoré, – fier Bambara et brave militaire – n’avait pas fui le Mali, en mars 1991. Bien au contraire. Il déclina toutes les offres et écarta toutes les opportunités de se soustraire à l’arrestation par l’exil doré. C’est ainsi que Moussa Traoré refusa d’embarquer dans les avions proposés successivement par les Présidents Houphouët Boigny et Ali Kafi de Côte d’Ivoire et d’Algérie ; alors que l’aéroport de Bamako-Sénou était encore sous le contrôle de son fidèle ami, le Général Sékou Ly. Cueilli par les parachutistes d’ATT et jugé par les magistrats d’Alpha Oumar Konaré, Moussa Traoré force présentement le respect des Maliens pour sa dignité et son patriotisme à toute épreuve.
En attendant le déclenchement des poursuites contre ATT, c’est le temps des retours de manivelle ou de flammes, c’est-à-dire la gifle diplomatique administrée au Sénégal. Après un premier périple de remerciement dans les pays voisins et émetteurs de troupes pour le Minusma (sans étape à Dakar dont le contingent a payé un lourd tribut à Kidal) le Président Ibrahim Boubacar Keita alias IBK vient de boucler une visite de trois jours en Mauritanie, pays voisin mais non émetteur de troupes. Et parrain patenté du MNLA. Dimanche IBK était à Alger. Après les festivités commémoratives du 53ème anniversaire de l’armée malienne, IBK ira au Qatar, argentier des djihadistes et des islamistes du monde entier. En dépit de tout cela, on persiste à dire officiellement que l’axe Dakar-Bamako est au beau fixe. Vivement que les pessimistes se trompent ; et que les optimistes aient raison !
PS : En dehors d’ATT, l’autre vecteur de tensions sur l’axe Bamako-Dakar est représenté par Seydou Kane, richissime citoyen malien (originaire de Nioro du Sahel) établi au Gabon. Le sieur Kane très proche de ATT et – par ricochet – du candidat malheureux Soumeyla Cissé, voyagerait (admirez le conditionnel) avec un passeport diplomatique sénégalais. Camarade et ami d’IBK dans l’Internationale socialiste, Ousmane Tanor Dieng portera sûrement les habits du précieux démineur entre les deux pays.
source : dakaractu.com