Keltoum Wallet Esmastagh, peintre, plasticienne et chanteuse, est originaire de la région de Kidal. Tout au long de sa carrière, Keltoum a produit trois albums de musique: Tinariwen (1993), Chatma (1994) et Yana (2017). Ce dernier, riche en sonorités typiques du blues saharien, a acquis une grande popularité en France et l’a établi comme une référence musicale au Mali. En outre, elle a publié deux recueils de poèmes – Anthologie de la poésie malienne (2012) et Les femmes Blues (2014). Elle est l’auteur de plus de quarante peintures (depuis 1989). Dans un entretien accordé à L’Indépendant Week-end, elle nous parle de la diversité de la culture malienne, de son apport dans le développement. Enfin, elle nous parle d’amour, de paix et exhorte les Maliens à plus de cohésion.
‘Indépendant Week-end: Présentez-vous à nos lecteurs : Qui est Keltoum Wallet ?
Keltoum Wallet: Je me nomme Keltoum Wallet Esmastagh. Une artiste pluridisciplinaire, c’est-à-dire, je suis peintre, plasticienne, « designer » et chanteuse.
L’Indé-Week : Le public malien vous a connue comme musicienne. Qu’en est-il de votre carrière musicale et comment se comporte le nouvel album sorti en 2017 ?
K.W: Dieu merci tout se passe bien. L’album de 2017 n’est pas mon premier single. Mon premier album, je l’ai réalisé avec le Groupe Tinariwen, dont j’étais la productrice, en 1994, en France. Dans cet opus, j’ai fait un duo avec le groupe mais je n’étais pas totalement dans la musique mais plutôt dans la poésie et dans la peinture.
A cette époque, j’ai jugé utile de m’exprimer dans la musique pour faire comprendre la situation que vivait notre pays, à cette époque. Ensuite, il y a eu des problèmes fratricides au nord, je me suis donc dit, qu’à travers la musique, on est beaucoup plus écouté, on a plus de possibilité de se faire entendre et comprendre. Pour ce faire, j’ai réalisé un album avec une sœur de Kidal qui s’intitulait « Chatma« , qui veut dire « les Sœurs ».Dans cet album, nous avons lancé un appel aux frères qui avaient des difficultés à s’entendre et à coordonner leur synergie pour une meilleure vision.
Le troisième album que j’ai réalisé, en solo, en 2017, s’appelle« Yana » qui veut dire « Ô Mère ». Je m’adresse, cette fois-ci, à la jeunesse en tant que mère, sœur et femme. C’est toujours dans la dynamique de m’exprimer sur les réalités d’aujourd’hui, les difficultés de cohabiter ensemble et voir comment nous unir pour construire un Mali prospère et une nation responsable.
L’Indé-Week: l’album comporte combien de titres et quels sont les différents thèmes abordés ?
K.W:Il comporte dix titres. D’une manière générale, cet album parle de la vie et tout ce qui se passe dans le monde, au Mali, mais plus particulièrement dans les régions du nord. Je voudrais, en tant qu’artiste, dénoncer, parler de tout ce qui se passe aujourd’hui. Nous avons beaucoup de difficultés à faire face aux défis qui nous attendent. Je pense que la meilleure façon de fuir les défis, c’est de dire qu’on n’est pas responsable. C’est de dire que c’est la faute des autres. Je pense que c’est la meilleure façon de fuir ses responsabilités. Je trouve que nous sommes responsables de ce qui nous arrive aujourd’hui. Et si nous voulons relever le défi, il faudrait qu’on se remette en question et qu’on revoie ensemble comment trouver la solution de vivre ensemble en tant qu’êtres humains.
L’Indé-Week: La majorité de vos textes sont chantés dans votre langue. Cela ne pose-t-il pas de problème concernant la compréhension de vos messages ?
K.W: La musique est universelle, elle n’a pas de langue. J’ai chanté un titre en français « La Voix » qui s’adresse à ceux qui nous dirigent. J’ai aussi un autre titre où je m’exprime en Songhaï, en Peulh et le reste en Tamashek. La compréhension de mes chansons ne pose pas de problème pour moi. Je vois à Kidal des jeunes danser sur les notes d’autres artistes alors qu’ils ne comprennent pas le sens des chansons.
C’est tout ce qui fait la diversité culturelle chez nous. Je respecte cette diversité culturelle. Au Mali, nous sommes un peuple qui est très riche à travers sa culture. Chaque peuple a son histoire et a sa culture. Nous avons le devoir de promouvoir cela dans un esprit scientifique.
Très souvent, nous sommes envahis par les négations qui font que nous ne voyons pas les points positifs de notre riche culture, qui doivent nous permettre d’avancer. Ce qui fait que notre culture est abandonnée. Je connais des pays développés qui vivent aujourd’hui de leur culture et qui l’ont utilisée dans un sens beaucoup plus responsable.
L’Indé-Week: Avez-vous un public particulier qui assiste à vos spectacles?
K.W: Ma musique est très aimée au Mali, en Algérie, en Lybie et en Mauritanie. Les fans ne cessent de m’encourager sur ce que je fais. J’ai fait un concert en Colombie, au cours duquel j’ai rencontré plusieurs autochtones. J’ai voulu cela pour comprendre afin de pouvoir écrire ce que je pense du monde dans lequel je vis. Je n’ai pas de préférence immuable.
Tout le monde assiste à mon spectacle et mon souhait est de rencontrer toujours des gens afin de me retrouver, car, quelque part, je me sens perdue. En Colombie, après mon concert à l’Université de Bogota, beaucoup de jeunes étaient contents de m’écouter à cause des messages que je véhiculais à l’entame de chaque titre. Ces jeunes m’ont beaucoup encouragée en me disant qu’ils ont besoin des gens qui parlent des problèmes du monde.
L’Indé-Week: Quelle appréciation faites-vous de la culture malienne?
K.W:Je pense que la culture peut influer et changer beaucoup de choses dans l’état d’esprit des Maliens. La culture ramène la paix et apaise les tensions avec les plaisanteries à cousinage. La culture est la réserve dans laquelle on puise les projets pour avancer. On ne peut pas avancer sans cette réserve. Elle est impérative au développement, à la cohésion et à notre épanouissement. La culture, c’est l’âme de l’être humain.
L’Indé-Week: Comment arrivez-vous à gérer votre carrière d’artiste, de peintre, de » designer « , de poète et de plasticienne ?
K.W:Dieu merci, je n’ai pas de problème car je suis bien organisée. Pour le moment, j’ai privilégié la musique. Je suis beaucoup plus impliquée dans la musique qui va d’ailleurs avec la poésie. Pour moi, tout va ensemble.
L’Indé-Week: Avez-vous des projets?
K.W:Des projets bien sûr que oui, j’en ai. Chaque matin, quand on se réveille, on rêve d’avoir de grands projets. Je fais souvent des soirées caritatives avec mon ONG « Gardienne de la Culture ». Nous essayons de protéger et de défendre la culture car elle est l’âme de l’Homme, sans laquelle nous sommes perdus.
Entretien réalisé par Bandiougou DIABATE
Source: l’Indépendant
Tags: Kidal