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L’analyse du Dr Hamed Sow sur les grands dossiers du moment : DNI, ATT, présence française au Mali… ” 2020 : l’année de l’unité retrouvée? “

Le Dr. Hamed Sow fait partie des rares leaders qui font l’unanimité au Mali sur leur compétence. Nanti d’un diplôme de l’Institut National des Sciences et Techniques Nucléaires (INSTN) de Saclay (France) et d’un Doctorat en Économie de la Production de la célèbre Université de Paris IX – Dauphine, Dr. Hamed Sow a connu une riche carrière professionnelle. D’abord au niveau international pour avoir fait ses débuts dans de grands cabinets de conseil en France. Ensuite, il fut expert détaché auprès de la Commission européenne à Bruxelles et assistant technique principal du “Projet Énergie II” de la Banque Mondiale au Niger. Il finira sa carrière internationale comme Directeur Général du CDE à Bruxelles, une institution commune du Groupe des 77 pays ACP et des 25 membres de l’UE. Principal auteur du PDES, le projet de société du président ATT à l’élection présidentielle de 2007, il rentra par la suite au Mali où il fut nommé Ministre des mines, de l’énergie et de l’eau. A sa sortie du Gouvernement, il devint aussitôt PDG du Groupe ARAMA/AMIC-Invest, une société d’intermédiation financière, basée à Dubaï. En mai 2011, le Dr. Hamed Sow fut nommé Conseiller Spécial du Président de la République du Mali, en charge des infrastructures, des équipements et de l’investissement et cela jusqu’en mai 2013, date à laquelle, il lança son mouvement politique, le Rassemblement Travailliste pour le Développement (RTD).  Aujourd’hui, l’économiste malien dirige une FinTech, dont le siège continental est à Lomé, qui diffuse des moyens de paiement très innovants et adaptés aux besoins des populations africaines.

Fidèle à sa doctrine “ne parler qu’en connaissance de causes et lorsque cela est utile”, l’homme s’était enfermé dans un silence total depuis la dernière élection présidentielle. Jusqu’à ce 13 décembre 2019, où nous avions publié sa Tribune intitulée “Le Mali à la croisée des chemins : l’Union ou le Chaos”.  Celle-ci suscita des milliers de réactions. Fait très rare, nous n’avons enregistré aucun commentaire négatif sur cette Tribune. Mais beaucoup de questionnements sur la faisabilité de certaines solutions préconisées par l’auteur.  En ce début d’année 2020, nous vous livrons les éclairages de ce brillant économiste sur la suite de sa tribune et sur la présence de la France au Mali et au Sahel. Dans nos prochaines livraisons nous reviendrons sur les analyses du Dr. Hamed Sow sur la future monnaie l’ECO et sur ce qu’il appelle le nécessaire réveil des élites africaines.

Aujourd’hui-Mali : Monsieur le Ministre, votre Tribune dans notre dernière livraison de l’année 2019 a fait le buzz. Nous avons enregistré des milliers de réactions positives. De ce fait, votre analyse constitue un des faits marquants de la fin 2019. Vous attendiez-vous à un tel succès ?

 

Dr. Hamed Sow : Non, je ne pense pas que cette Tribune ait été un fait majeur de la fin 2019. C’est tout simplement l’expression de la pensée d’un citoyen qui a dit tout haut ce que peut-être beaucoup de Maliens souhaitent en silence. Certains de ces derniers ont profité de l’occasion pour exprimer leurs sentiments sur la nécessaire Union nationale.

De mon point de vue, les faits marquants de la fin de l’année 2019 sont de 2 ordres : (i) le retour définitif du Président ATT dans son pays, après 7 ans d’exil au Sénégal ; (ii) les résultats du Dialogue National Inclusif (DNI).

– A peine ses valises posées, le Président ATT s’est mis à la tâche à la demande des autorités. Participation à la clôture du DNI, mission à Mopti en prélude à une implication poussée dans la recherche de la paix entre les communautés de sa région d’origine. Un engagement spontané, naturel et avec humilité, laquelle dernière est la caractéristique dominante de ce grand homme d’Etat. Permettez-moi une petite anecdote pour illustrer ma pensée : un après-midi dans son salon à Dakar, lors de l’une de nos multiples rencontres, je le demandais quelles étaient les principales qualités qu’un leader politique devrait avoir. Le Président ATT me répondit : “Hamed, je suis tenté de te répondre qu’il faudrait chercher à n’avoir aucun défaut, ce qui est humainement impossible. Mais, il faut absolument avoir deux attitudes fondamentales : aimer son pays/son peuple et se battre contre son  égo”. Ainsi est ATT : un soldat toujours prêt à servir le Mali. Puisse le Bon Dieu le donner longue vie, afin qu’il puisse voir la paix, tant recherchée, revenir dans son pays et nous voir semer les graines dans les sillions qu’il a d’antan tracés.

– Les résultats du DNI (14-22 décembre 2019) sont au-dessus de nos espoirs. Je fais partie de ceux qui ne croyaient trop pas à ce “massala cher au Président IBK”. Qu’il soit bon de se tromper lorsque que c’est l’intérêt du pays qui gagne. Plusieurs médias nationaux ont souvent mis l’accent sur ce qu’ils considèrent comme les 4 résolutions fortes du DNI :

l’organisation des élections législatives afin que la prochaine législature des députés commence au plus tard le 2 mai 2020

l’organisation d’un référendum en vue de la révision de la Constitution du 25 février 1992

le redéploiement immédiat sur l’ensemble du territoire national des forces de Défense et de Sécurité reconstituées.

la relecture de certaines dispositions de l’Accord pour la Paix et la Réconciliation au Mali, issu du processus d’Alger, selon les mécanismes prévus à l’article 65 dudit Accord. En réalité, les résultats du DNI sont beaucoup plus féconds. Les actions prioritaires portent sur 6 thématiques qui sont réparties dans trois horizons temporels : immédiat, moyen terme (3 à 5 ans) et le long terme (5 à 10 ans et plus). Les 6 thématiques couvrent l’ensemble des domaines de la vie nationale : (i) Paix, sécurité et cohésion sociale; (ii) Politique et institutionnel; (iii) Gouvernance; (iv) Social;  (v) Economie et finance; (vi) Culture, jeunesse et sport. Les résolutions constituent des réponses pertinentes aux problèmes majeurs du pays : aussi bien au niveau sécuritaire que socioéconomique. Il est toutefois regrettable qu’en matière de gouvernance, les principales résolutions de mesures de lutte contre la corruption soient refoulées à moyen terme, c’est-à-dire dans un horizon de 3 à 5 ans. Globalement de bonnes résolutions ont donc été prises, reste à espérer que notre sempiternelle hérédité sociale ne les tapisse pas dans les tréfonds des bâtisses publiques. Au-delà, c’est l’esprit d’ouverture et la volonté affichée de la CMA (Coordination des Mouvements de l’Azawad) en faveur de la paix qui furent impressionnants. Respect de l’intégrité territoriale du Mali, appartenance à une même nation malienne, bienvenue immédiate et sans condition aux services administratifs nationaux et aux forces de défense & de sécurité à Kidal, acceptation du principe de réaménagement de certains dispositifs de l’Accord pour la Paix et la Réconciliation selon les mécanismes prévus dans son article 65. Et de joindre les actes symboliques à la parole : prières communes avec les membres de la Plateforme et du Gouvernement, signature sur la tente de la paix etc…

L’aube, avec la levée des rayons ATT au Centre et de la CMA au Nord, inaugure peut-être un jour 2020 de paix retrouvée pour le Mali.

Monsieur le Ministre, pour revenir à votre Tribune, beaucoup de lecteurs, tout en trouvant vos propositions pertinentes, pensent que certaines d’entre-elles ont peu de chance de pouvoir être appliquées, telles que la nomination de Soumaïla Cissé comme Premier ministre de IBK ?

C’est possible. Je continue néanmoins de penser, qu’avec les deux faits marquants ci-dessus évoqués, un Gouvernement, resserré, d’union nationale, avec IBK Président de la République et Soumaïla Cissé Premier ministre, soit la meilleure chose qui puisse arriver pour le Mali, en ces temps infernaux. Ce genre d’alliance ne se fait pas du jour au lendemain. Il faut laisser le temps au temps, comme disait jadis François Mitterrand. Soumi m’a confié, lors de la tentative avortée de février/mars 2019, qu’il était prêt à tout donner pour aider notre pays à se relever. Je ne pense pas qu’il ait changé d’avis. Le tout dépend donc d’IBK. S’il le fait maintenant, ce serait son mérite, sans contrainte aucune. S’il ne le fait pas, au passif de son bilan sera écrit qu’il a voulu maintenir un pouvoir solitaire en dépit du désarroi des Maliens. Au-delà des problèmes sécuritaires, la caractéristique dominante de notre pays aujourd’hui est l’avancée de la frontière de la pauvreté, qui commence à toucher même “les classes moyennes”. Cette situation, due par la mauvaise gouvernance, est accentuée par les départs de plus en plus d’opérateurs économiques notamment vers la Côte d’Ivoire et le Sénégal, et aussi par la désaffection de beaucoup d’investisseurs étrangers.  La déliquescence de l’administration publique n’arrange rien, l’absence de l’Etat sur des pans entiers du territoire national non plus. Et vient s’ajouter à tout ce cortège de problèmes, le développement de la déliquescence dans les villes et dans les campagnes, traduisant le désespoir des centaines de milliers de jeunes laissés pour compte… Face à toutes ces difficultés, qui risquent de s’empirer, le Président de la République, à mon humble avis, devrait saisir la dynamique créée par le DNI pour former un Gouvernement d’union nationale.

Mais en quoi un Gouvernement d’union nationale peut-il mieux faire qu’un Gouvernement de majorité présidentielle ?

Il y a quelques années de cela, j’ai invité au Mali un grand homme d’affaires israélien, dont la famille est souvent citée par le magazine Forbes comme étant parmi les 100 plus grosses fortunes du Monde. Lors d’un de nos échanges, il m’a confié que lorsqu’il vient en voyage exploratoire dans un pays, il fait attention à cinq données : (i) le nombre d’avions sur le tarmac,  – (ii) le journal de la télévision d’Etat. Si l’info ne porte que sur les audiences du Président de la République, des membres du Gouvernement et des séminaires, il en conclu que soit le pays n’est pas suffisamment démocratique, soit qu’il ne s’y passe pas grand-chose. – (iv) la taille du Gouvernement. Si elle dépasse 30 dans des pays à très faible PNB/PIB, c’est que les postes ne sont pas distribués pour travailler, mais pour récompenser certains. – (v) la capacité d’écoute et la pertinence des pensées du n°1. “Et ça je garde pour moi”, me disait Idan Ofer.

Vous conviendrez avec moi, qu’un Gouvernement d’union nationale est plus à même de répondre à de tels critères. Ne serait-ce que l’objectivité de l’information de l’ORTM, pour prendre un exemple. En outre, dans un Gouvernement composé de membres de la majorité, de l’opposition et de la société civile, chaque ministre fait plus attention. Il se sait observer par ceux du camp d’en face. De Madiba Mandela, nous avons appris que le Chef politique s’entoure et travaille avec des hommes acquis à sa cause. C’est la loyauté des collaborateurs qui est le 1er critère de son choix. L’Homme d’Etat cherche les compétences, partout où elles se trouvent, pour les mettre aux affaires du pays. Ce qui compte pour lui porte sur l’efficacité et l’engagement. Le plus important pour le Mali d’aujourd’hui est de réunir les compétences de tout bord et d’engager un travail titanesque pour relever ensemble le pays. Puisse le Bon Dieu bien inspirer IBK.

La France au Mali et au Sahel

Monsieur le Ministre, abordons maintenant le second volet de cette interview. Quelle est votre lecture de la présence française aujourd’hui dans notre pays. Avez-vous une idée de ce que la France veut et fait dans notre pays.

La France n’est pas venue d’elle-même au Mali. Ce sont les Autorités de la transition qui ont été demandé au Président Hollande de venir nous aider, face au péril djihadiste en 2013. En janvier de cette année, Iyad Ag Ghali, à tête des troupes d’ANSAR DINE, appuyées par celles du MUJAO, d’AQMI et d’autres groupuscules djihadistes, après avoir sauté le verrou de Kona, s’apprêtait à foncer sur Bamako.

Cette offensive a été stoppée par les militaires de l’opération SERVAL. En deux mots, cette intervention de l’armée française a mobilisé 1800 intervenants de tout rang et corps, d’impressionnants moyens aériens et terriens. Elle a duré 18 mois et 21 jours. Elle a permis, avec le concours des FAMAs, la libération des localités détenues par les djihadistes. L’opération a couté 647 millions d’euros (soit 424,3 milliards de F CFA)  selon la Cour des Comptes de la France. Elle a aussi engendré la mort de 9 militaires français et plus de 300 blessés. Sans oublier les nombreux morts et blessés de nos propres forces de défense et de sécurité.

Nous savons que durant toutes ces opérations les FAMAs étaient présentes et souvent que le commandement des militaires français a laissé leurs homologues maliens rentrés les 1ers dans certaines villes libérées. Alors pourquoi pas à Kidal ? Kidal cristallise aujourd’hui les ressentiments de beaucoup de Maliens à l’encontre de l’armée française.

Je pense que c’était une faute d’appréciation des dirigeants français de l’époque. Sûrement que leur décision était fondée sur les informations du commandement des troupes en opération et des services de renseignement. L’armée française, sachant que son intervention au Mali et dans le reste du Sahel pourrait durer assez longtemps, avait besoin des guides sur les théâtres très difficiles des opérations au Sahel et de collecteurs de renseignements sur les anciens amis et ennemis d’alors du MNLA. Les conditions posées par le MNLA et ses alliés de la Rébellion étaient de maintenir Kidal sous leur contrôle. Les dirigeants français auraient pu laisser l’armée malienne rentrer à Kidal et faire une alliance avec les hommes de Général Ag Gamou, qui connaissent également très bien le terrain. Ils ont préféré composer avec les mouvements à dominance Ifoghas plutôt que les tribus majoritaires des Imghads, qui pourtant avaient combattu à leur côté dans la reprise de certaines villes du Nord du Mali.

Ce problème est derrière nous aujourd’hui, avec les avancées de la CMA évoquées précédemment. Demain, si l’armée malienne est prête, elle pourrait retourner à Kidal. Ce qui sape les thèses complotistes, sans fondement.  Il convient aussi de préciser que le MNLA de 2013 n’a rien à voir celui d’aujourd’hui. Le Mouvement a élargi sa base à toutes les ethnies, renforcer sa démocratie interne – et en tant qu’un des groupes dominants de la CMA, le MNLA est aujourd’hui un des partisans affirmés de la paix et de la concorde nationale.

Monsieur le Ministre,  comme vous le savez Barkhane a pris la suite des opérations Epervier et Serval, le 1er août 2014. C’est une opération composée de 4500 militaires français. Quand on y ajoute les troupes de la MINUSMA et du G5,  les forces étrangères sur notre sol dépassent les 20.000 hommes, dotés d’arsenaux de matériels lourds et de technologie avancée. Et malgré tout ça, l’insécurité progresse de jour en jour au Sahel. Ce qui amène certains à se demander de l’intérêt et du sens de ces énormes moyens déployés, sans résultat probant.

Effectivement, si vous additionnez les 12.647 militaires et les 1753 policiers de la MINUSMA, les 4.500 militaires de Barkhane (plus 220 supplémentaires dans quelque temps), et les 620 militaires/formateurs de l’EUTM (Mission Européenne de Formation de l’armée du Mali), il n’y a pas loin de 20.000 éléments étrangers des forces de défense et de sécurité sur notre territoire national, sans oublier nos propres troupes.

Et qu’est-ce que vous voulez en conclure ? Les expériences en Afghanistan, en Somalie, en Irak, en Libye et en Syrie montrent que la lutte contre le terrorisme est toujours de longue haleine.

– L’Afghanistan a connu sa 1ère guerre de 1979 à 1989 contre les troupes soviétiques. Ce pays connaitra une autre guerre, commencée le 7 octobre 2001, à la suite des attentats du 11 septembre à New York et Washington par Al-Qaïda. Malgré la perte du pouvoir par les Talibans, la mort d’Oussama ben Laden, l’exil et la mort du mollah Omar, la “fin officielle de la guerre” le 31 décembre 2014, le pays n’a jamais été totalement pacifié. Il est au contraire devenu le théâtre de fréquents attentats, souvent très meurtriers – et de surcroit les Etats-Unis sont aujourd’hui obligés d’engager des négociations, à l’issue incertaine, avec les Talibans.

–  La guerre civile de Somalie a débuté le 26 janvier 1991, avec la chute du dictateur Siad Barre. 29 ans après, et suite au départ des forces américaines d’interposition, le pays a été disloqué en 6 territoires contrôlés par le Gouvernement “central”, par le Gouvernement de l’Etat auto-proclamé du Somaliland, par les terribles milices extrémistes Al-Shabaab et par d’autres groupes armés. Du fait de cette instabilité chronique, les famines répétitives ont tué de 500.000 à 600.000 somaliens. Et ceux qui parlent facilement de somalisation du Mali ne mesurent toujours pas la portée de leurs propos.

– Et 13 ans, après la mort de Saddam Hussein, l’Irak vit toujours dans la terreur et est actuellement confronté à une insurrection généralisée. Regardez toutes les tensions actuelles dans et autour de ce pays. D’où pourrait partir une déflagration généralisée dans tout le Moyen-Orient,  avec les coups de boutoir “trumpistes”.

– La guerre en Syrie a commencé le 15 mars 2011. Le chiffre de 500.000 morts est ici aussi avancé par les spécialistes et des millions de déplacés. Un tiers du pays est détruit et ce n’est pas fini.

– Daesh non plus n’a pas disparu avec la mort d’Abu Bakr al-Baghdadi. L’Etat Islamique, malgré la chute de ses derniers bastions, conserve encore une capacité de nuisance, comme le prouve la régularité des attaques au Levant. L’organisation djihadiste a remplacé ses opérations militaires classiques par des interventions asymétriques : attentats, assassinats et autres embuscades. Selon un rapport publié par le Pentagone, le 6 août 2019, la stratégie de l’Etat islamique est claire : s’adapter, survivre et se renforcer au Levant pour préparer une éventuelle résurgence du califat.

Deux phénomènes inquiétants risquent de complexifier davantage les problèmes : – d’une part, les mouvements des djihadistes défaits en Syrie et en Irak et d’autres en provenance du Soudan et de la Somalie qui cherchent à se replier vers la Libye, donc aux portes du Sahel. – d’autre part, le départ annoncé (ou la réduction)  des troupes américaines qui risque d’isoler davantage la France au Sahel. Espérons que ce cela ne soit qu’un effet d’annonce du locataire actuel de la Maison Blanche ou que le Président Macron puisse arriver à l’en dissuader.

Tout ceci pour dire que le Monde est loin d’en finir avec le djihadisme. Malheureusement, le Sahel aussi. Le danger est devant nous, non pas derrière. Raison pour laquelle, nous devons renforcer nos alliances.

Et tout l’arsenal militaire alors, notamment les drones…

Les drones déployés dans le cadre de Barkhane sont de type MALE (Moyenne Altitude, Longue Endurance – un de ces engins a effectué plus de 30.000 kms de vol, un record). Ce sont des Reaper de fabrication américaine, qui coûte de l’ordre de 5 millions de dollars/unité. Jusqu’à une époque récente, ces drones servaient à la recherche et à l’observation des troupes ennemies. Mais depuis décembre 2019, l’armée française a effectué des tirs d’essais avec ses drones. Selon la Ministre de la Défense, les tests ont été concluants.

Dorénavant, la France est rentrée dans l’ère des drones armés. Pour autant, cette nouvelle donne va-t-elle changer le visage de la guerre au Sahel ? Certainement que les drones, les rafales,  les mirages, les tigres… vont contrer les attaques des colonnes (régulières) djihadistes, dotées d’armes lourdes, contre les militaires du G5. Cependant, la guerre asymétrique restera ce qu’elle est. C’est une guerre sans visage.

Les djihadistes connaissent bien l’existence des drones et les capacités de frappe de l’aviation française. Ils se sont adaptés. Ils opèrent sur des motos, transportés d’abord sous forme de pièces détachées dans des véhicules “banalisés”. Eux-mêmes voyagent par petits groupes (2 ou 3) pour atteindre leurs points de ralliement, souvent des cellules dormantes. Ils remontent les motos, déterrent les armes cachées par leurs complices et attaquent les camps militaires souvent les plus isolés et mal lotis, ou les localités dans lesquelles vivent les pauvres populations sans défense.

Les drones, les hélicos, les avions de combats… sans oublier les troupes au sol de l’armée française ont beau être performants, ils ne peuvent pas tout circonscrire dans les 5 097 338 km2 de l’espace G5 Sahel. Il faut donc adapter les stratégies aux pratiques de l’ennemi : constituer des unités (conjointes franco-sahéliennes) mobiles, bien entraînées et équipées et passer à l’offensive, c’est-à-dire attaquer plutôt que de subir. C’est du reste ce que nos Chefs d’Etat ont décidé à Pau.  Et puis, mais enfin ! Il ne faut pas non plus tout mettre sur le dos ou attendre de la France. Ce n’est pas la guerre de la France, mais la nôtre d’abord. Les Français ne sont pas partie prenante du conflit au Centre du Mali, qui est actuellement la zone la plus meurtrière. Là-bas, ce sont souvent les Maliens qui tuent d’autres Maliens. Les premiers charniers ont été reconnus par quelle force organisée ? Qui a armé les milices “d’auto-défense”? Commençons par balayer devant notre propre porte.

Donc vous dédouanez la France ?

Je vous réponds par une analyse objective. Barkhane vise à combattre, dans la bande sahélo-saharienne, les groupes armés salafistes djihadistes, à savoir Ansa Dine (et ses nouveaux démembrements), Aqmi, Al-Mourabitoune, Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, Etat islamique dans le Grand Sahara et Ansarul Islam, pour citer les principaux. L’opération est menée en partenariat avec les commandements du G5 Sahel, notamment “en matière d’échange d’informations, de consultations régulières sur les problèmes sécuritaires, de formation, de conseils, d’entrainement et d’équipements”. Le matériel déployé, déjà au début de l’opération est impressionnante. 200 véhicules logistiques, 200 blindés, 6 drones, 6 avions de combats, une dizaine d’avions de transport et une vingtaine d’hélicoptères.

Le coût de l’opération Barkhane est évalué entre 600 et 700 millions par an. Autrement dit, depuis le début de l’opération, en août 2014, la France a dépensé au moins 3,25 milliards d’euros, soit plus de 2.131 milliards de FCFA. En termes plus parlants, la France dépense 1,2 milliard de FCFA par jour au Mali dans la lutte contre le terrorisme. Depuis leur intervention au Mali en janvier 2013, 41 militaires français ont été tués, sans oublier les centaines de blessés.

Si vous-voulez absolument établir des responsabilités françaises, il faut remonter à la crise libyenne. Rappelez-vous, pour la coalition, composée principalement des forces aériennes et navales de la France, de la Grande-Bretagne, avec le soutien des Etats-Unis, et de 17 autres Etats – dont 3 pays arables (Qatar, Emirats arabes unis, Jordanie)  et la Turquie, cette guerre “chirurgicale” fut considérée comme un modèle pour l’avenir : un engagement à distance, avec des avions de chasse, couplé à un soutien aux alliés locaux. Après avoir détourné le mandat des Nations-Unies, se limitant à protéger une zone d’inclusion aérienne aux avions libyens, les coalisés atteignirent leurs objectifs militaires en un peu plus de 8 mois, les troupes loyalistes de la Jamahiriya furent décimées, le Guide Kadhafi fut assassiné et le pouvoir laissé entre les mains des insurgés (le CNP) et quelques milices incontrôlées. En l’absence de troupes organisées au sol pour sécuriser les arsenaux de l’armée libyenne, ceux-ci ont été pillés par les islamistes et des trafiquants d’armes de tout acabit.

Pour le Mali et pour le Sahel s’ouvraient les heures sombres de la poussée terroriste. Une partie des troupes défaites de Libye, mélangées à des islamistes venus de l’Iraq, du Soudan… déferlèrent sur notre région. Ce sera le début de la rébellion du 17 janvier 2012, conduite par le groupe séparatiste MLNA (à l’époque), coalisé aux djihadistes ANSARDINE, AQMI et MUJAO. Avec le Coup d’Etat du 21 mars 2012, entrainant la rupture de la chaîne de commandement de l’armée malienne, les groupes séparatistes et djihadistes arrivent à prendre les principales villes du Nord du Mali, dont les capitales régionales Kidal, Tombouctou et Gao. Ces djihadistes se retourneront ensuite contre le MNLA et chasseront ses troupes des principales villes du Nord du Mali.

Les malheurs actuels du Mali prennent leur origine première dans la croisade de Nicolas Sarkozy (et d’un homme des médias/philosophe, prêt à tout pour être sous le feu des projecteurs : Bernard Henry Levi) contre Muammar Mohamed Abu Minyar Gaddafi, plus connu sous le nom de Kadhafi.

Le Gouvernement actuel de la France n’a pas de responsabilité dans le dynamitage du cordon sécuritaire de la Libye, dont la conséquence directe sera la déstabilisation du Sahel. Il a hérité de cette situation et il me semble qu’il cherche plutôt à la réparer.

Quels sont vos arguments de défense?

Je ne pense pas que nous soyons devant la CPI où je serai l’avocat de la France. Je ne fais que vous livrez ma pensée. Comprendre les relations internationales passe par l’analyse des intérêts des pays ou des groupes.

“Il n’y a pas d’amitiés entre les Etats, il y a des jeux d’intérêts”. Alors quels pourraient les intérêts de la France pour le Nord du Mali ?

Est-ce d’abord pour la vente des armes ? En 2018, avec 7 % du marché mondial, la France fut le 3e plus gros exportateur d’armes au monde, derrière les Etats-Unis (36 %) et la Russie (21 %) et tout juste devant l’Allemagne (6 %). Contrairement aux idées reçues, le 1er débouché des armes françaises n’est pas l’Afrique, mais l’Asie, l’Océanie et de plus en plus le Moyen-Orient. Bien qu’elles aient progressé de 43 % sur le marché mondial au cours de 5 dernières années, la France a enregistré un recul assez net sur le continent africain.  Et aucun des pays du G5 Sahel ne figure parmi les principaux importateurs d’armes françaises. Les gros clients de la France en Afrique sont le Nigeria, l’Angola, le Soudan, le Cameroun et le Sénégal. Le Mali ne représente même pas 0,01% des 9,1 milliards d’euros engrangés par la France en 2018, grâce à ses ventes d’armes.

Est-ce ce sont pour nos mines ? Ce qui est frappant en matière d’analyse objective sur les potentiels du sous-sol malien tient en l’absence de données récentes et fiables. Ce qui fait le lit de toutes les spéculations, voire des affabulations. Dans ce genre de situation, il faut faire la part entre l’existant (le réel), le probable et laisser l’imaginaire en perspective.

– La réalité est que les ressources minières en exploitation au Mali se situent principalement dans les régions de Sikasso et de Kayes. Dans les régions septentrionales du pays, seule une petite partie du Phosphate de Tilemsi a fait l’objet d’une exploitation semi-industrielle et le manganèse de la mine de Tassiga (Ansongo), exploitée, semble-t ‘il, sans les autorisations requises. J’ai personnellement travaillé avec une société canadienne (Great Quest) qui a mis en évidence sur le site de Tilemsi des ressources de 50 millions de tonnes de phosphate à 24 % P205. Les projets de construction d’une unité de production de phosphate Medium et Hight Grade à Bourem et d’une usine de production des formulations d’engrais à Dogofry (Région de Ségou) étaient assez avancés. Les promoteurs ont levé le pied avec les problèmes engendrés par la rébellion de 2012. L’investisseur déteste l’insécurité, sauf s’il investit dans la sécurité.

– Les autres potentiels miniers connus du Nord du Mali concernent l’uranium à Kidal  (zone géologique cristalline) et Gao, de la pegmatite et des minéraux en métamorphose dans l’Adrar des Ifoghas, des dépôts de roches calcaires au nord de Goundam, du cuivre à Ouatagouna, du gypse à Taoudéni, du kaolin à Gao, du plomb et du zinc à Tessalit, des schistes bitumeux à Agamor et Almoustrat, du lignite à Bourem, du sel gemme à Taoudéni, du diatomite à Douna Behri. Et certaines rumeurs parlent de l’or. Rien à voir en réalité avec le grand Eldorado décrit par certains sensationnistes.

De surcroît, il faut savoir que la France n’a pas d’industrie minière. Avez-vous entendu parler d’une entreprise française, exploitant de l’or au Mali ? Des entreprises canadiennes, australiennes, sud-africaines… sûrement, mais aucune française.

– Est-ce c’est pour le pétrole et le gaz ? Il y a des indices prometteurs dans le bassin de Taoudéni, notamment dans les blocs 2 et 4 fusionnés. Mais à ce que je sache, il n’y a jamais eu de forage au Mali. Et sans forage, il est impossible de déterminer avec précision la quantité et la qualité économiquement rentable d’un gisement pétrolier. S’il y’ a des hydrocarbures au Nord du Mali, ils devraient être évacués par le port d’Alger, ou celui de Nouadhibou (si son nouveau port en eau profonde est disponible), soit respectivement 1704 km et 1360 km. Construire des pipelines sur de telles distances suppose de disposer de très grandes qualités de pétrole et/ou de gaz qui puissent justifier des investissements énormes. En outre, la construction des sites d’exploitation d’hydrocarbures ne se fait pas du jour au lendemain. Celui du bassin de Taoudéni pourrait prendre 10 ans. Si on y ajoute à tous ces obstacles, les problèmes d’insécurité dans la région, il est aisé de comprendre que ce n’est pas demain la veille que nous verrons le boum pétrolier dans le Nord du Mali. La plus grande richesse du Nord du Mali est le barrage de Taoussa, dont les travaux doivent reprendre très rapidement.

Il convient aussi de noter qu’au cours de ces 20 dernières années, aucune compagnie française n’a entrepris de recherche pétrolière au Mali.  Ce n’est pas Total qui a réalisé les sondages sismiques en 2008 dans le versant malien du bassin de Taoudéni, mais ENI (la grande compagnie italienne), en partenariat avec SIPEX, une filiale du géant algérien, la SONATRACH.

Enfin, une simple question de bon sens : la France a-t-elle besoin d’aller faire une guerre pour mettre la main sur les ressources minières ou pétrolières/gazières d’un pays comme le Mali ? Regardez ce qui s’est passé chez un de nos voisins. En définitive, il me parait clair que ce ne sont pas pour les ressources du sous-sol qui expliquent non plus la présence de l’armée française au Mali.

Pas de vente d’armes ou très peu, pas à cause des ressources minières. Alors pour quelles raisons?

Pour des raisons sécuritaires et géostratégiques.

Imaginez les Etats sahéliens défaits et/ou déstabilisés par les groupes djihadistes, que le Bon Dieu nous en préserve. L’immense bande sahélo-saharienne deviendrait alors le sanctuaire (voire un califat) de toutes les menaces. Il constituerait une menace directe pour certains pays tels que la Côte d’Ivoire et le Sénégal où les intérêts français sont très importants. En effet, la France combat au Sahel pour défendre implicitement les intérêts de ses grandes entreprises en Côte d’Ivoire et au Sénégal.  Le “djihad”, à partir du Sahel, pourrait se porter également contre le Maroc, la Tunisie (deux autres pays proches de la France) et l’Algérie. Cette menace serait alors aux portes de l’Europe.

L’instabilité du Sahel est aussi synonyme d’immigration de masse (alors, on ne parlerait plus de milliers, mais de vagues de dizaines de milliers) qui irait alors à l’assaut de l’Europe. L’Histoire nous montre qu’aucun mur ne peut résister aux grands mouvements de populations. L’explosion démographique de l’Afrique, avec ses 2,4 milliards d’habitants en 2050 (dont la moitié aura moins de 25 ans), est un risque majeur pour la stabilité mondiale. Non seulement beaucoup de ces jeunes désœuvrés pourraient aller grossir les rangs djihadistes, mais d’autres plus nombreux prendraient les routes de l’immigration. Sans compter les dégâts autodestructifs dans leurs propres pays : alcool, drogues, prostitution, petites délinquances et grand banditisme.

En outre, la zone de non-droit issue de la déstabilisation des Etats du Sahel constituerait un boulevard pour les narco-trafiquants pour inonder les marchés européens de drogues de toutes sortes.

Je pense que c’est au vu de toutes ces menaces que la France s’est engagée au Sahel. C’est une politique visionnaire et courageuse.

Enfin, il y a le poids de l’Histoire. La France tire une partie de son influence dans le concert de grandes nations à travers ses relations avec certains pays africains. Quels intérêts aurait alors la France de voir les pays qui font sa force devenir des sanctuaires terroristes?

Que pensez-vous de la “convocation” des chefs d’Etat du G5 par le président Emmanuel Macron à Pau?

Je parlerai plutôt d’invitation, mal inspirée, médiatisée, destinée en grande partie à l’opinion publique française. Le Président Macron scrute l’horizon 2022 de la présidentielle en France. Il reste aujourd’hui le seul véritable rempart contre la candidate du Rassemblement National (RN) : Marine Le Pen. En brûlant le drapeau français, nous donnons des points au leader du RN à la prochaine élection française. Arrêtons de mettre la faute toujours sur les autres. Nous avons entendu dans notre pays des énormités accusant ATT en “Chef des rebelles”. Heureusement que l’histoire a rapidement réhabilité ce dernier. Les jeunes qui crient contre la France, devraient d’abord hurler contre leurs propres dirigeants. Il y a quand même quelque chose de surréaliste dans ce débat. Il y a 7 ans, nous avons failli nous retrouver avec la charia comme Constitution, des femmes voilées, plus de musique, à fortiori d’alcool, plutôt des coups de fouets, des mains coupées… Nous avons demandé et obtenu l’aide des Français. Alors que nous avons encore une armée loin d’être reconstituée (même si quelques efforts notables ont été récemment enregistrés), sachant que les Nations-Unies (MONUSCO par ci, MINUSMA par là…) n’ont jamais réglé un conflit, voilà que certains intellectuels se mettent à demander le départ de l’armée française. Je peux comprendre que des jeunes désœuvrés, manquant de toutes les données “crient au complot français”, mais pas certaines élites.

Est-ce que celles-ci ont entendu les interventions du Général Ibrahima Dahirou Dembélé, Ministre de la Défense et des Anciens Combattants devant les députés de l’Assemblée nationale, le 21 novembre 2019 ?  Et d’aucuns de demander l’aide des Russes, qui dans leur volonté de reconquête de leur influence mondiale d’antan, aiment bien déstabiliser les positions occidentales. Pour autant, je ne suis pas sûr que Vladimir Poutine ait de raisons suffisantes pour envoyer ses soldats mourir au Mali. La Russie est un Etat-continent, qui a presque tout dans son sous-sol (à la différence de la Chine), mais qui subit de plein fouet les conséquences économiques des sanctions européennes. La Russie est intervenue en Syrie pour une simple raison : la ville portuaire de Tartous est le seul point de ravitaillement et de réparation de la Marine russe en mer Méditerranée. Ce qui permet aux navires de guerre russes d’éviter de passer par les Détroits turcs pour regagner leurs bases de la mer Noire. Poutine l’a fait clairement savoir aux Occidentaux : la Crimée et Tartous sont intouchables. Ces centres d’intérêts de la Russie sont au diapason de ceux concernant le Mali.

En définitive, je pense comme le Président Issoufou Mahamadou du Niger, qu’il faut plutôt un renforcement de la présence française au Sahel, avec le soutien d’autres pays, pour nous aider à nous débarrasser de la gangrène terroriste. Et à cet effet, il faut se féliciter des avancées du Sommet de Pau de ce 13 janvier 2020. En effet, le nouveau cadre opérationnel, baptisé “Coalition pour le Sahel”, composé par les pays du G5 Sahel, la France, les pays et organisations déjà engagés et ouvert à tous ceux qui voudront y contribuer, portera sur 4 piliers majeurs. Qui peuvent être résumés comme suit : (i) renforcement de la lutte contre le terrorisme, meilleure coordination des actions sur le terrain, notamment à travers un commandement conjoint G5 Sahel/France, (ii) lancement par la France et l’Allemagne du P3S (Partenariat pour la Stabilité et la Sécurité au Sahel) en vue du renforcement des capacités militaires des pays de la Région grâce à une accélération et une amplification des efforts de formation, d’aguerrissement et d’équipements des armées du G5 Sahel, (iii) accélération du retour de l’administration et des services publics sur l’ensembles des territoires nationaux – et  cela prioritairement à Kidal, (iv) renforcement de l’aide au développement, notamment la mobilisation des financements pour la mise en œuvre du Programme d’Investissement Prioritaire (PIP) du G5 Sahel.

Le jour où nos armées seront prêtes, croyez-moi, la France ne se fera pas prier pour plier bagage, tant le fardeau de Barkhane est lourd pour ses seules épaules.

Et le reste du Monde ?

Nous vivons et risquons de vivre de plus en plus dans un monde incertain. Dans ses guerres commerciales contre la Chine, la Russie, l’Europe, dans sa haine de l’Iran… le Président américain a brisé la cohésion de la communauté internationale dont le poids se limite dorénavant à de molles protestations du Secrétaire Général des Nations-Unies et du Président de la Commission européenne face aux faits de non-droit. Une des conséquences majeures de l’affaiblissement de la communauté internationale sera le recul de plus en plus marqué de la démocratie. ;Les tentatives des 3èmes mandats et les radicalisations des pouvoirs en place en Afrique tiennent justement en cette absence de pression concertée de la communauté internationale.

La poussée des dictatures sera plus forte, si d’aventure le camp des populistes, des extrémistes de droite, des ultra-conservateurs, des climato-sceptiques devait gagner la présidentielle de novembre prochain aux Etats-Unis. Ce scénario apocalyptique pourrait faire des émules en Europe, avec l’arrivée des Marine Le Pen en France, Matteo Salvini en Italie, sans compter les tenants des droites dures déjà aux commandes en Grande-Bretagne avec Boris Johnson, Sebastien Kurz en Autriche, Ludovic Orban en Roumanie…

Le monde des “fils de Satan” est celui qui est également spolié par les puissances de l’argent, c’est-à-dire les grandes banques confortées dans leurs avidités spéculatives dans l’impunité assurée, des grands fonds d’investissement tels que BlackRock (avec ses 6 000 milliards d’euros d’actifs) qui manipulent même les comportements des consommateurs, tout en se passant une couche de vert (“verdir son portefeuille  de projets”), des agences de notation pour les classements desquels les Etats définissent leur politique économique. Un monde de protectionnisme pour les marchés internes des dominants, de libéralisme pour les marchés des faibles, de manipulation des peuples par la peur de l’autre, de publicités (y compris subliminales) et de conditionnements des citoyens pour le “consommer plus”, de production à tout va (y compris de l’inutile : 80% des médicaments produits par l’industrie pharmaceutique est consommé inutilement), de surexploitation des ressources naturelles, de surchauffe du climat… Un monde de l’argent roi, où le capital asservi l’homme, où 80 % de la richesse mondiale va au 1 % les plus riches.

Et dans un tel monde, imaginez les pays du G5 Sahel, avec leurs 140 millions d’habitants (dont les populations pourraient atteindre les 330 millions en 2050), confrontés aux conséquences du dérèglement climatique (cycle long de sécheresses, ponctué de pluies diluviennes dévastatrices) à la raréfaction des ressources naturelles, à l’exposition des villes, au chômage des dizaines de millions jeunes… et en plus faire seul face à la déferlante djihadiste à partir du bourbier libyen. Moins d’émotion, plus de réflexion s’impose à nous tous !

Mais, malgré tout, je reste optimiste. Je sens un frémissement d’une partie des élites (des chefs d’entreprises, des acteurs de professions libérales, des responsables associatifs…),de la région, qui commencent à venir peu à peu sur les terrains de la politique. Après avoir laissé le champ aux professionnels de la politique, ils n’entendent pas voir leurs pays basculés entre les mains des religieux.

Il nous importe de nous organiser pour mettre aux commandes des leaders qui pourraient transformer notre potentiel démographique, géoenvironnemental (solaire, éolien, biomasse…)  et géologique en atouts économiques pour l’avenir de notre région. Si nous avons perdu la bataille du capitalisme industriel, surplanté aujourd’hui par la finance internationale, nous pouvons être les précurseurs et les développeurs de l’économie alternative, au centre de laquelle se trouve le bien-être humain. We can change.

Interview réalisée par El Hadj Alou Badara HAIDARA

Source: Aujourd’hui-Mali

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