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L’Afrique à l’épreuve de la crise des investissement directs étrangers

– Acteurs économiques et experts se prononcent sur les alternatives pour le développement du continent quand les IDE sont au ralenti.

Contrairement à ce qu’on pouvait espérer après la baisse aggravée des investissements directs étrangers (IDE) sur le continent africain en 2020, les chiffres ont plutôt atteint un niveau record de 83 milliards de dollars, selon le rapport 2022 sur l’investissement dans le monde. Soit un rebond de 113 %.

Ce rapport a été publié par la Conférence des Nations unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED) en juin dernier.

Aussi faut-il le préciser, depuis les années 2010 les investissements directs étrangers sont en chute libre dans le monde entier et particulièrement sur le continent africain, avec de petits pics en dents de scie par moment. Mais cette nouvelle tendance des chiffres suffit-elle pour croire en une fin de crise des IDE sur le continent enclenchée depuis 2010 ?

Pas du tout. En tout cas, les premiers à jouer la prudence sur ces chiffres, sont les auteurs même de ce rapport, la CENUD. Parce qu’en réalité, précise ‘Le Point’, les flux d’investissement vers l’Afrique n’ont représenté que 5,2 % des IDE mondiaux en 2021, contre 4,1 % en 2020. Autrement dit, environ 45 % du total des investissements directs étrangers sur le continent en 2021 n’est lié qu’à une seule transaction financière intra-entreprises. Et cela a eu lieu en Afrique du Sud.

D’après James Zhan, le directeur de la division de l’investissement et des entreprises de la CNUCED, cité par la même source, si l’on exclut cette transaction, « l’augmentation des flux d’IDE vers l’Afrique, tout en restant positive, serait plus conforme à ce que nous avons observé dans d’autres régions en développement ».

Kossigan Assogbavi, expert togolais en management du risque financier joue dans la même prudence.

Pour lui, rien qu’à voir les crises diverses qui frappent le monde actuellement, notamment le « conflit russo-ukrainien » avec ses conséquences sur la sécurité alimentaire, il ne faut pas exclure que la crise des investissements direct étrangers s’exacerbe sur le continent en 2022 et que le niveau « de ces investissements en 2022 est en baisse comparé à celui de 2021 ».

Un point de vue sans doute en phase avec celui de la CNUCED qui prévoit dans son rapport 2022 que « la dynamique de croissance de 2021 ne pourra pas être maintenue et que les flux mondiaux d’IDE en 2022 vont probablement suivre une trajectoire descendante, au mieux rester stables ». La CNUCED met toutefois un bémol et soutient que « les flux devaient rester relativement stables en valeur » et que « les nouveaux projets devraient davantage souffrir de l’incertitude des investisseurs ».

– L’instabilité politique et le terrorisme peuvent jouer en faveur de la chute

D’après Kossigan Assogbavi, il faudra tenir compte également de l’instabilité politique et démocratique dans de nombreux pays du continent (surtout dans sa région ouest avec le Mali, le Burkina Faso, la Guinée), et surtout du terrorisme qui frappe de plein fouet en s’étendant malheureusement vers les pays du golfe de Guinée.

Pour l’expert togolais, ces situations qui prennent l’ascendant depuis le début de la reprise économique après la période dure de la pandémie liée au Covid-19, « n’encouragent pas l’investissement et ne feront pas venir tout de suite des investissements directs étrangers ».

« La plupart des investisseurs aussi bien privés que publics étrangers joueront à la prudence. Et comme les IDEs ont pour finalité première de booster la croissance dans les pays où ils sont effectués, en faisant tourner l’activité économique, le premier désavantage direct pour les Etats africains, c’est que la création d’emplois ne sera pas au rendez-vous », affirme-t-il.

Mais, rassure Assogbavi, « si les Etats africains ont de bonnes politiques, ils devraient pouvoir désormais mobiliser en interne des capitaux nécessaires à la relance ».

En tout cas, affirme déjà en 2014 l’économiste et homme politique béninois Lionel Zinsou dans un article dénommé « L’investissement en Afrique, Mythes et réalités », publié dans la revue économique « Après-demain », « on ne fait pas progresser les investissements directs étrangers sans qu’aient été remplies un certain nombre de conditions comme : meilleure gouvernance, l’anticipation d’une croissance soutenable, la meilleure qualité des facteurs de production, rendement plus élevé du capital, faculté de rapatrier ses profits ».

– Se passer des IDE ?

Mais ces IDE sont-ils vraiment favorables au développement de l’Afrique ? Pas tout à fait, affirme Kossigan Assogbavi. Parce que la plupart des investisseurs étrangers ne font que rapatrier leurs profits, estime l’expert togolais qui pense que l’Afrique doit « commencer par ne plus trop se fier à ces capitaux mais chercher à mobiliser plus des moyens internes à l’investissement ».

« Les investissements directs étrangers sont une aubaine pour le continent. Mais si les bénéfices ne sont pas réinvestis pour faire tourner l’économie, mais rapatriés, il n’y a aucune chance pour le développement », a-t-il soutenu.

Dans l’absolu, on ne peut pas se passer des investissements directs étrangers en Afrique, soutient de son côté, Jean Marie Ackah, le Président de la Confédération Générale des Entrepreneurs de la Côte d’Ivoire.

« On a toujours besoin au plan économique d’investissements d’horizons divers, y compris des investissements directs étrangers » affirme-t-il dans un premier temps.

Mais, soutient-il ensuite, cette crise des IDE en Afrique offre bien une opportunité de remise en cause dans la manière même de développer l’économie du continent.

« Il faut dire que chaque crise apporte une certaine remise en cause et ouvre de nouvelles opportunités. Nous pensons donc au regard de cette crise, et au vu de la situation qui en découle que cela offre aux pays africains l’opportunité de comprendre que le développement de l’Afrique se fera d’abord par les Africains et par des entreprises africaines » a indiqué Jean Marie Ackah

Aussi bien les secteurs privés que les secteurs publics en Afrique, poursuit-il, doivent comprendre que désormais « ils doivent eux même être les principaux créateurs de richesses, les principaux investisseurs, de sorte que les investissements directs étrangers ne soient qu’un complément ».

– Le dilemme

Laurent Tamegnon, homme d’affaires et président du Patronat togolais affirme, pour sa part, que les pays africains à faible économie comme le Togo, dominée par des PME (Petites et Moyennes Entreprises) et des PMI (Petites et Moyennes Industries), ont toujours besoin d’investissements directs étrangers pour rendre soutenable leur économie.

« Il y a bien des avantages quand on fait la promotion des investissements directs étrangers. Le plus important de mon point de vue c’est la création de l’emploi. Au Togo par exemple c’est un facteur important. Parce que l’un des objectifs du Programme National de Développement (PND) du gouvernement togolais est de créer en 5 ans au moins 500 000 emplois avec une contribution du secteur privé à hauteur de 60 %. Voyez donc, comment dans le cadre du Togo, ces objectifs peuvent-ils être atteints si on doit se tourner uniquement vers le peu d’investisseurs locaux que nous avons ? », s’interroge Tamegnon pour expliquer en fait, combien une économie africaine, à l’exemple de celle togolaise, peut avoir besoin, forcément, d’investisseurs étrangers.

Si d’après les statistiques de l’UEMOA, l’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine, « ce sont ces PME-PMI qui portent l’économie togolaise », Tamegnon fait, tout de même, remarquer que « les grandes entreprises du pays (Togo) sont des multinationales ».

« Le dilemme c’est qu’il est clair que ces dernières (les multinationales) ne font que rapatrier leurs revenus, et que promouvoir des investissements directs étrangers présente parfois des risques d’affaiblissement des petites économies africaines comme celle togolaise, mais pour l’instant, j’ai bien peur que ces pays n’ont pas le choix », a-t-il indiqué.

– L’Afrique doit continuer à innover

Que faire dans ce cas, face à la crise des investissements directs étrangers, si une bonne partie de l’économie africaine est fortement dépendante des investisseurs étrangers ?

Laurent Tamégnon pense qu’il faut « chercher à innover et à percer là où c’est possible », afin d’éviter à tout prix que la crise des IDE, « ne constitue un frein pour le développement de l’économie africaine ».

Mais encore, comment ? « Il nous appartient d’élaborer des projets pertinents, d’instaurer des gestions optimales pour y arriver », suggère son collègue ivoirien Jean Marie Ackeh.

« De toutes les façons, l’Afrique ne fera pas son développement différemment de ce qui se fait ailleurs ou dans d’autres régions du monde. Je pense au développement observé en Asie du sud-est et à celui observé dans certains pays d’Amérique latine. Et autant les capitaux au niveau mondial existent et peuvent circuler, autant la mise en œuvre de ces capitaux à l’échelle de nos pays doit être d’abord le fait de nos entreprises, doivent d’abord être le fait des investissements propres, des investissements intérieurs véritablement, avant d’attendre des investissements étrangers qui ne viendraient que sous forme d’apports », a-t-il conclu

SOURCE: https://www.aa.com.tr/fr/

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