L’indifférence de nombreux concitoyens face à la réalité de la pandémie du coronavirus frise l’inconscience. J’avais envie de m’arracher les cheveux, hier matin, dans la cabine du minibus «Sotrama» qui me transportait vers le centre ville. J’étais silencieux parmi des passagers volubiles. Les commentaires pleuvaient sur l’éventualité de l’irruption du coronavirus sur notre territoire. La chance que des malades ne soient pas encore décelés à Bamako et à l’intérieur du pays suscitait des déclarations ahurissantes. Lisez et gardez votre calme. Le coronavirus serait un conte. «Les Occidentaux nous mènent en bateau», soutient une femme, son seau de marchandises calé sur les genoux. Un vieillard assis en face d’elle affirme sans sourciller que les «politiki moko» ont encore déniché une bonne occasion pour piller le Trésor public. Une jeune femme lance aussitôt à la cantonade que Dieu a démasqué le mensonge. «On refuse de payer l’argent des enseignants et on débloque comme par magie six milliards de Fcfa pour lutter contre un virus qui semble épargner les Maliens. Allah est Grand. Le Créateur reconnaîtra les siens. Personne ne meurt avant le jour fixé par Allah».
Un homme en costume, bien cravaté pose la question suivante : si on nous demande de ne plus sortir comment allons-nous vivre ? Son voisin répond : «Macron a donné la solution. Il a demandé aux Français de rester à la maison. Ils ne manqueront de rien. Tous ceux qui sont présents dans ce minibus prient tous les jours pour retourner avec au moins 1000 francs en poche pour faire bouillir la popote de demain. Grâce à Dieu, je garde toujours mon honorabilité aux yeux de ma femme et de mes deux enfants. Si le Covid-19 existe, je m’en remets au Tout-Puissant…» Après cette tirade le silence régnera longtemps dans le «Sotrama».
J’ai pris conscience que le peuple n’a pas confiance en la mise en garde des autorités. Il ne prend pas au sérieux la menace qui plane sur le Mali. Les hordes de djihadistes semblent inoffensives à côté de cette pandémie mystérieuse. N’a-t-elle pas perturbé la chaîne de travail dans toutes les économies fortes ? «Nous sommes en guerre», a pourtant déclaré le président Ibrahim Boubacar Keïta, dans un premier discours. Dans la nuit du mardi 24 mars, le chef de l’État est réapparu à la télévision nationale. Il s’est lavé les mains au savon et au gel. Il a invité tous les Maliens à adopter ces gestes simples qui protègent contre le coronavirus.
Désormais, je tousserai ou j’éternuerai dans un mouchoir jetable. Je tousserai et j’éternuerai dans le pli du coude. Je laverai mes mains au savon plusieurs fois par jour. J’éviterai les contacts rapprochés. L’heure est grave. Nous faut-il changer d’émetteur pour que l’alerte éveille l’instinct de survie en chacun de nous ? Le comportement de l’individu devra subir un changement brutal pour éviter de contaminer les autres et de mettre la patrie en danger. Malheureusement, le terrain de la communication, de la sensibilisation n’est pas correctement investi par les messages officiels. La force de persuasion de l’alerte n’est-elle pas faible parce les émetteurs sont inappropriés ? Ne devons-nous pas activer et mettre au travail tous les leaders d’opinion de proximité ? Le cerveau puissant, l’écrivain Victor Hugo a écrit que «lorsque l’enfant paraît, le cercle de famille applaudit à grands cris». Mais que ressent le cercle de famille quand l’adolescent de dix ans vient annoncer en pleurs que son ami de jeu, transporté à l’hôpital avant-hier, vient de mourir à cause «de la nouvelle maladie», dont tout le monde parle à la télévision ?
Dans la situation actuelle du Mali en crise, il y a exigence d’activer tous les lanceurs d’alerte de proximité contre l’extraordinaire capacité mortelle du coronavirus. La parole des leaders des familles fondatrices de toutes les villes et tous les villages de notre pays sera le gong sur les consciences. Leur silence ne met-il pas en péril le patrimoine ancestral ? Que les patriarches et les grand-mères toujours crédibles dans nos familles volent au secours de leurs enfants, leurs petits enfants.
Nous sommes en guerre ? La parade est l’appel à adopter les bons gestes que lancera l’armée des personnes âgées. Notre bouclier contre le coronavirus est le respect que nous vouons tous à ces autorités morales incontournables dans toutes les familles. Nous sommes tous convaincus dans nos ethnies que «la poule ne gratte pas la terre pour nourrir ses poussins avec des bestioles mortelles».
Sékou Oumar DOUMBIA
Source: Journal L’Essor-Mali