L’organisation djihadiste dirigée par notre compatriote Iyad Ag Ghaly, appelée en arabe « Jama’a Nusrat ul-Islam wa al-Muslimin » (JNIM) ou Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) et à laquelle appartient aussi le chef de la Katiba Macina, Amadou Diallo alias Amadou Kouffa, a manifesté ce dimanche dans un communiqué son ouverture au dialogue avec l’État malien. État malien, qui, on se rappelle, avait par la voix la plus haute autorité, le 10 février dernier, annoncé la décision d’explorer la voix du dialogue avec les djihadistes afin de parvenir à l’apaisement au regard du nombre exponentiel des victimes. Si le Président IBK affirme qu’il « faut qu’on parle aujourd’hui avec raison, si possible, avancer, ne rien exclure », il reste évident que l’ouverture au dialogue prônée n’est pas sans lignes rouges qui, pour le Mali, restent intangibles : l’unité nationale, l’intégrité du territoire et la forme laïque et républicaine de l’Etat.
Réponse à cette offre officielle de dialogue avec les djihadistes annoncée par le Président IBK le 10 février 2020 ou comme le laissent croire ses partisans est-ce que le Communiqué de la GISM ferait-il suite à l’appel lancé à ces derniers par l’Imam Mahmoud DICKO lors de son meeting controversé du 29 février au Palais de la Culture ?
L’absence de toute référence dans le communiqué rendu public à Cheickh Mahmoud DICKO et à toute trêve, pourtant sollicitée par ce dernier, permet d’écarter l’hypothèse d’une réponse à l’appel de l’Imam et de considérer les fanfaronnades des partisans de ce dernier comme une imprudente récupération politicienne dépourvue de toute crédibilité.
Par contre une simple traduction automatique permet de comprendre clairement, pour les non-arabisants, qu’il s’agit bel et bien de la réponse à l’offre officielle de dialogue formulée par le Président IBK sur les antennes de France 24. Dans le communiqué le Groupe djihadiste parle explicitement des autorités maliennes et de leur demande de dialogue qu’il juge non sincère et à laquelle il réserve une fin de non-recevoir polie.
À offre conditionnelle…
S’exprimant sur les antennes de France 24, le 10 février 2020, le Président IBK a annoncé le choix du Mali d’ouvrir les négociations avec les djihadistes. «Il faut qu’on parle aujourd’hui avec raison, si possible, avancer, ne rien exclure ». Donc tout est sur la table et négociable y compris la charia ? Le Président IBK ne le dit, au contraire.
Conscient, « qu’avec la mobilisation qui est faite au plan africain et mondial, les chances de prospérer dans cette voie deviennent assez difficiles », le Président IBK estime qu’il a «devoir et mission à tous les espaces possibles et à tout faire pour que, par un biais ou un autre, on puisse parvenir à un quelconque apaisement, que ça soit possible. Parce que le nombre de morts au Sahel devient exponentiel. Je crois qu’il est temps que certaines voies soient explorées. » Mais, dit-il, «je ne suis pas naïf du tout. Ceux qui ordonnent que l’on vienne dans une mosquée, se faire exploser au milieu des fidèles n’ont pas beaucoup mon estime. Et chacun le sait ».
Donc, contraint et forcé à négocier, le couteau sous la gorge par les recommandations du Dialogue national inclusif ? En tout cas, en annonçant cette possibilité à explorer, le Président de tous les Maliens ne se faisait aucune illusion. Plus que tout autre, le Président IBK, sait : «ce ne sont pas de grands candides qui pensent que, tout de suite que telles paroles sont libres, aller s’asseoir en face de Kouffa pour lui dire, bon écoute cher ami, on revient à de meilleurs sentiments, dépose les armes».
Si le Président IBK estime que ce n’est pas antinomique de mener dans le même temps la lutte antiterroriste et le dialogue avec les insurgés, jusqu’où le gouvernement du Mali est-il prêt à aller dans cette solution exploratoire avec Iyad et Kouffa ? Les lignes rouges, jusqu’ici intangibles, vont-elles bouger ? En effet, comment et sur quelle base négocier avec ces derniers qui exigent l’application de la charia sans remettre en question les fondements de l’État malien ?
L’entourage de Koulouba, dans les colonnes de notre confrère Le Monde, le 1er février 2020 (Au Mali, Ibrahim Boubacar Keïta assume un dialogue avec les djihadistes), tempère : « si discuter avec Iyad et Koufa est une voie de sortie de crise, pourquoi pas ! Il faut cependant être prudent, car, si l’on ouvre la porte à une application de la charia, cela deviendra difficilement contrôlable. Tout le monde veut aller à l’apaisement, y compris Koufa, mais selon quels termes ? » Comme on le voit, même en haut lieu, l’équation reste entière, donc les lignes rouges restent encore intangibles : le Mali n’est pas encore disposé à concéder la Charia, ni son unité nationale encore moins n’est disposé à voir au terme de ces négociations son intégrité territoriale éclater entre petites Katibas. Or, comme le Président IBK l’a dit lui-même, Iyad et Kouffa ne sont pas de grands candides pour ne pas faire la condition sous-jacente qui transparaît dans l’offre malienne à dialoguer. Et c’est en réponse à cette condition sous-jacente que le GISM a répondu dans son communiqué de ce dimanche.
…réponse conditionnelle
En l’absence d’une version française du communiqué encore disponible, nous avons procédé à une traduction automatique, de l’arabe au français. Il est donc évident qu’elle est imparfaite et peut être contredite par ceux qui maîtrisent la subtilité de la langue du Prophète (PSL).
Le Communiqué de Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GISM) est, à l’analyse, au-delà de l’invective à l’égard des autorités maliennes, une dangereuse opération de charme envers la partie de l’opinion qui, naïvement, avait manifesté et continue de réclamer le départ des forces internationales, avec à leur tête Barkhane.
S’adressant directement à ses frères du Mali, le Groupe djihadiste caresse dans le sens du poil ceux qu’on appelle les «anti-français » et qu’il désigne par « le peuple de Bamako », les flatte, les bénit et rend hommage à leur sortie qui a abouti à cette demande officielle de dialogue avec les moudjahidin.
En réponse à leur combat courageux et honorable, poursuit le communiqué, « Jama’a Nusrat ul-Islam wa al-Muslimin » (JNIM) dit au « peuple de Bamako » que son combat l’oblige et leur promet de poursuivre le combat « pour défendre sa religion, sa liberté, sa dignité, son droit à l’autodétermination, et le choix de ceux qui l’ont gouverné ». L’Émir du GISM dans son communiqué poursuit : « nous prêchons à notre fier peuple que nous sommes prêts à entrer dans la voie des négociations avec le Mali, dont le président a annoncé son désir de négocier avec les partisans de l’Islam et des musulmans afin de discuter des moyens de mettre fin au conflit sanglant qui est entré dans sa septième année, en raison de l’invasion des Croisés français ».
Très virulent comme d’habitude comme la France, le Groupe djihadiste laisse entendre dans son communiqué : « il n’y a aucune condition préalable pour entamer ces négociations à l’exception de la demande principale qui a été envisagée et préparée pour elle et a fait appel au gouvernement » : le départ des forces internationales que GISM brandit comme le préalable de la fin de l’occupation et la dignité de vivre libre à l’instar du reste du monde.
Pour le Groupe terroriste, il est en effet dégoûtant de parler de négociations à l’ombre de l’occupation. Donc, avant d’entrer en négociation, le Groupe djihadiste pose comme condition au Mali « d’abhorrer toutes les forces françaises et leurs dépendances » à cause de tous les ravages financiers, leur ingérence apparente et cachée dans nos affaires.
Pour « Jama’a Nusrat ul-Islam wa al-Muslimin » (JNIM) « la présence de l’occupant français, ancien et moderne, sous cette forme la plus pure est la raison de la maladie, la cause de l’affliction et la semence de l’inimitié entre les peuples et les tribus ».
Donc, conclut le communiqué, «si le gouvernement de Bamako est sérieux, pardonnez aux serviteurs du peuple du Mali, laissez-le exprimer explicitement ses demandes exprimées dans ses nombreuses prises de position aux colonisateurs de François, et annoncer qu’il se tient aux côtés de son peuple dans son désir de se libérer de l’occupation directe, et retire son invitation aux forces internationales à être présentes sur le sol malien, et annoncer, en toute ouverture, la fin de l’existence des «forces Berkhan» sur notre terre ».
Au gouvernement, « Jama’a Nusrat ul-Islam wa al-Muslimin » (JNIM) explique que le peuple tient à sa sécurité, sa stabilité, à offrir et à améliorer ses conditions de vie dans tous les domaines de vie possible, tels que l’assainissement, le logement, et les opportunités de travail. Si le gouvernement réunit ces conditions, le Groupe se dit alors « nous répondrons à toute invitation aux négociations ». Et le Groupe suppose que le gouvernement de Bamako est pour le bien du pays et du peuple.
Donc en clair, Iyad et Kouffa disent à IBK : tu veux négocier, d’accord. Mais, à la demande de ton peuple, débarrasse-toi d’abord des forces françaises et internationales qui sont, à nos yeux et aux yeux de ceux qui marchent à Bamako, des forces d’occupation.
Quelle suite le gouvernement réservera à la condition posée par les chefs djihadistes maliens ? Si le gouvernement y accède, c’est la charia. S’il rejette, c’est la poursuite de la guerre.
PAR BERTIN DAKOUO
INFO-MATIN