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La réforme du FCFA : une transition vers plus de souveraineté monétaire

Le samedi 21 décembre 2019, SEM. Alassane OUATTARA, Président de la République de Côte d’Ivoire et Président en exercice de la Conférence des Chefs d’État et de Gouvernement de l’UEMOA, et son homologue français, SEM. Emmanuel MACRON, ont annoncé une grande réforme du FCFA. La réforme annoncée anticipe le projet de monnaie unique régionale de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).

 

En effet, l’idée de création d’une monnaie unique de la CEDEAO remonte au 28 mai 1975. Le processus a eu des dates butoirs qui ont été régulièrement fixées et reportées. Lors de sa 55ème session ordinaire tenue à Abuja le 29 juin 2019, la Conférence des Chefs d’État et de Gouvernement de la CEDEAO a réaffirmé l’approche graduelle pour la création de la monnaie unique en privilégiant le démarrage avec les États membres qui respectent les critères de convergence.

Une telle orientation traduit la ferme volonté des plus hautes autorités de réaliser la coopération monétaire qui renforcerait davantage l’Union douanière et l’intégration économique.

La Conférence a adopté le régime de change flexible assorti d’un cadre de politique monétaire axé sur le ciblage de l’inflation et le système fédéral pour la Banque Centrale Communautaire. Elle a retenu le terme  » ECO  » pour le nom de la monnaie unique CEDEAO [1].

S’agissant de la Conférence des Chefs d’État et de Gouvernement de l’UEMOA, elle a donné mandat à son SEM. Alassane Ouattara, Président en exercice de l’UEMOA, lors de sa 21ème session ordinaire, de poursuivre le processus devant conduire les pays de l’UMOA à l’adoption de la monnaie unique [2].

C’est dans ce contexte que l’annonce de la réforme du FCFA dans la zone UEMOA est intervenue en vue d’embrayer sur une phase de transition à l’issue de laquelle les pays de l’UEMOA intégreront la nouvelle zone ECO de la CEDEAO.

Sur la forme de l’annonce, une bonne partie de l’opinion aurait voulu la présence effective des autres Chefs d’État de l’UEMOA pour rendre le moment et la décision encore plus historiques. Mais il faut comprendre que le Président ivoirien était dans rôle en tant Président en exercice de l’UEMOA, et mandaté par ses pairs comme évoqué supra. C’est pourquoi dans l’annonce il a bien pris le soin d’agir au nom de ses pairs.

Concrètement, l’annonce a visé trois changements majeurs. Ceux-ci sont présentés et commentés dans le développement qui suit.

La première réforme porte sur le changement du nom de la monnaie FCFA en ECO, lorsque les pays de l’UEMOA intégreront la nouvelle zone ECO de la CEDEAO. Ce nom, tirant sa source des trois premières lettres de l’appellation anglaise du sigle CEDEAO (ECOWAS), devrait apaiser une bonne partie de l’opinion car il ne fait plus référence à aucun lien colonial avec l’Hexagone.

Même si l’année 2020 marquera l’acte de naissance de cette monnaie, le FCFA ne va pas disparaître tout de suite dans les mains des populations. À l’instar de ce qui a été fait au moment du passage à l’EURO en Europe, ce dernier continuera à être utilisé jusqu’à la mise en circulation de l’ECO, cette fois à l’échelle des 15 États membres de la CEDEAO. L’intégration des pays de l’UEMOA à la monnaie unique CEDEAO (ECO) se fera selon le calendrier établi par la CEDEAO.

La seconde réforme marque immédiatement la fin de la centralisation des réserves de change avec comme corollaire la fermeture des comptes d’opérations au niveau du Trésor français et le transfert à la BCEAO des ressources disponibles dans le compte. Donc, l’obligation imposée à la BCEAO d’y déposer 50 % de ses réserves de changes est supprimée. Pour éviter un coût de portage des réserves de change excédentaires, la BCEAO pourrait par conséquent les placer partout dans le monde conformément aux Directives du FMI en la matière [3]. Elle pourrait notamment les placer à la Banque des Règlements Internationaux (BRI), dans des bons et obligations du Trésor d’États étrangers, ou autrement les confier à des gérants de réserves officielles avec des critères de sécurité et de rentabilité.

Une étude datant de 2013 de la BAD sur la gestion des réserves de change excédentaires montre qu’entre 2000 et 2011 les pays africains détenaient en moyenne des réserves de change excédentaires de l’ordre de 165,5 à 193,6 milliards USD, ce qui est supérieur au déficit de financement des infrastructures évalué 93 milliards USD. Le coût social de la détention de ces réserves excédentaires allait jusqu’à 1,67% du PIB en moyenne. En 2018, sur le continent africain le financement des infrastructures a atteint 101milliards USD, soit un taux d’accroissement annuel moyen de 7,5% sur les cinq dernières années. Cette forte augmentation traduit un niveau de financement moyen supérieur à 83 milliards USD sur la période 2016-2018.

À cet égard, il serait opportun de mener une réflexion innovante sur la possibilité d’utiliser les réserves de change excédentaires de la BCEAO comme source possible de financement des infrastructures durables et de meilleure qualité en zone UEMOA [4].

En guise de rappel, il convient de rappeler que les réserves déposées sur les comptes d’opérations (soit environ 3% du PIB français) étaient rémunérées au taux de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne (BCE) (0,25% à fin octobre 2019 contre 1,5 % le 11 juillet 2012) pour la quotité obligatoire des dépôts (50%), et au taux minimum des opérations principales de refinancement de la BCE (0% à fin septembre 2019 contre 0,75 % le 11 juillet 2012 et) pour les réserves déposées au-delà de la quotité obligatoire (> 50%) si les banques centrales africaines (BCEAO, BEAC, BCC) souhaitent centraliser leurs avoirs extérieurs auprès du Trésor français au-delà de ce qui est prévu par les textes [5].

À l’analyse des taux de rendement susvisés dans un contexte de taux d’intérêt négatif, le dispositif des comptes d’opération générait à la fois des coûts pour les pays de la zone Franc et le Trésor Français. Au vu de cette évolution, il va s’en dire que la suppression était devenue nécessaire et souhaitable pour les deux parties, ce qui a été entérinée par l’annonce du 21 décembre 2019.

La troisième évolution significative avec effet immédiat est le retrait des représentants de la France de tous les organes de gestion monétaire au sein de l’UEMOA (BCEAO, Commission Bancaire et Comité de Politique Monétaire). Ces derniers bénéficiaient d’un droit de veto.

Avec ce retrait couplé de la suppression des comptes d’opérations, la réforme est allée en profondeur des accords de coopération monétaire entre l’UMOA et la France. Elle consacre de facto plus de responsabilité aux Autorités monétaires en particulier dans la gestion des réserves de change sachant que la politique monétaire serait toujours contrainte par l’arrimage à l’euro même sans la présence de la France dans les instances de décision. Au-delà de l’aspect monétaire, cette nouvelle responsabilité demande plus de rigueur dans la gestion des finances publiques pour maintenir et consolider la crédibilité de la monnaie. Face aux besoins pressants et légitimes des populations (notamment les jeunes), des efforts devraient être consentis de part et d’autre entre gouvernants, opérateurs économiques et populations.

En revanche, dans le but de consolider la dynamique de croissance économique et de maintenir la stabilité monétaire de la zone UEMOA, il a été décidé que l’ECO conservera pour le moment une parité fixe avec l’euro et la garantie de la convertibilité illimitée sera assurée par la Banque de France (en lieu et place du Trésor français). Ces deux points ne sont pas en accord avec les dispositions retenues par la CEDEAO dans le cadre de son projet de monnaie unique ECO. Ils devraient à priori faire l’objet de révision par les Autorités de la Zone UEMOA au moment du basculement de la zone dans la monnaie ECO flexible de la CEDEAO. À ce stade, il est important de ne pas perdre de vue qu’il s’agit d’une période transitoire ayant pour objectif de préparer les économies de l’UEMOA à l’avènement de l’ECO.

S’agissant du maintien de la parité fixe, elle immunise les pays de l’Union contre le risque de change dans un contexte où les États (notamment la Côte d’Ivoire et le Sénégal) et d’autre institutions financière de la sous-région mobilisent des ressources en devises sur le marché financier international. Après le lancement de l’ECO, il est attendu une fluctuation de la monnaie qui pourrait positivement ou négativement impacter les économies des États. Dans le cas d’une dépréciation de la monnaie, les dettes des États en devises deviendront plus chères aux remboursements, de même que les importations des biens et équipements. En revanche, elle favoriserait la compétitivité-prix des exportations de matières premières de la zone. Quant à l’appréciation de la monnaie, elle pourrait permettre de payer moins chères les importations et les dettes en devises tout en décourageant la compétitivité-prix des exportations. Il convient de rappeler que le dispositif de surveillance multilatérale de la CEDEAO prévoit d’encadrer la volatilité du taux de change nominal de l’ECO entre +/-10%. Dès lors, il serait souhaitable que la CEDEAO mette en place des mécanismes de protection des petites économies eu égard aux éventuelles asymétries entre le cycle économique du Nigeria (exportateur net de pétrole) et ceux des pays de l’UEMOA (importateur net de pétrole) [6].

Quant à la convertibilité illimitée, elle se matérialise par une très grande confiance en la monnaie. C’est la meilleure propriété recherchée pour une bonne monnaie c’est-à-dire d’être librement interchangeable à tout moment contre de l’or ou des devises étrangères (dollar US, livre sterling, yen japonais, etc.). Elle est sensée couvrir le risque du manque de devises. En clair, si la BCEAO venait à manquer de devises et que les États n’arriveraient plus à honorer (via la banque centrale) leurs factures d’importation alors la France (notamment la Banque de France) s’engage à fournir des devises en euros à la BCEAO pour éviter tout défaut de paiement. Par cet acte, la France se comportera comme un prêteur en dernier ressort. Ce qui, de jure, pourrait laisser planer, un risque d’aléa moral poussant les États à abuser du dispositif. Toutefois, ce type de risque est généralement mitigé par des mesures préventives (dispositif de sauvegarde) assimilables aux contreparties de la garantie. Parmi ces contreparties, on pourrait citer le stock d’or en dépôt à la Banque de France d’une valeur de 754 milliards FCFA à fin 2018, soit 85% du stock d’or de la BCEAO [7].  La convertibilité illimitée est également fondamentale pour attirer les investissements directs étrangers (IDE) vers la zone car elle donne l’assurance de disponibilité de devises aux investisseurs et sociétés étrangères pour d’éventuels rapatriements de capitaux.

Au regard des deux éléments susvisés (parité fixe et convertibilité illimitée), le statut quo monétaire est maintenu par rapport au système FCFA. En vertu de leur caractère stabilisateur, ces deux points clés sont positivement appréciés par les agences de notation internationale dans les ratings des États de l’Union.

En outre, selon les propos du Gouverneur de la BCEAO, les décisions du 21 décembre 2019 n’affectent en rien l’usage quotidien du Franc CFA par les populations et les entreprises de l’UEMOA [8]. En vue de permettre une information complète et appropriée des opérateurs économiques ainsi que des populations de l’Union, une stratégie de communication a été adoptée par le Conseil des Ministres Extraordinaire du 27 décembre 2019 [9].

Relativement au lancement de l’ECO en 2020, les pays de la CEDEAO éprouvent des difficultés à respecter dans la durée les critères de convergence macroéconomique notamment le critère clé, le solde budgétaire global dons compris rapporté au PIB. Aucun pays de l’UEMOA n’a respecté ce critère successivement les trois dernières années (2016-2018). La Guinée Bissau, le Mali et le Sénégal l’ont respecté en 2017 et le Togo en 2017 et 2018. Or le respect de ce critère demeure l’une des conditions sine qua none pour démarrer l’utilisation de la monnaie unique en 2020. Il y a donc des risques importants à aller de l’avant avec l’union monétaire CEDEAO si tous les pays ne satisfont pas aux critères. Cela pourrait réduire la crédibilité de la zone monétaire et, dès le départ, et compromettre les mécanismes qui visent à assurer la cohérence des politiques économiques des pays membres.

Pour terminer, certains analystes estiment que la création d’une monnaie unique à partir de 2020 apparaît comme prématurée et aurait des conséquences incertaines. D’importants défis subsistent encore – à la fois techniques et en termes de gouvernance – dans la création d’une zone monétaire unifiée pour la CEDEAO. Il s’agit notamment de la faible diversification de la base productive des économies, de la disparité dans la taille, des niveaux de développement économique, ainsi que des structures des économies.

Spécialiste en économie monétaire et financière

tidianisidibe@yahoo.fr

Source: l’Indépendant

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