Au cœur des problématiques, tant nationales, sous-régionales, qu’internationales, la lutte contre le terrorisme constitue aujourd’hui le fondement même de la sécurité de tout Etat et de son peuple, et de la préservation de ses intérêts suprêmes. La sauvegarde d’une stabilité représente le garant du maintien des institutions politico-économiques, des capacités de défense, des perspectives de croissance ou de développement des Nations. Consciente de ces enjeux sensibles, la Mauritanie a pris dès le début de front ce combat, mené en première ligne dans le Sahel, et fait aujourd’hui figure de modèle. A la tête de la Direction de la Sûreté de l’Etat (DSE), en charge des Renseignements généraux et de la lutte contre le terrorisme, le Commissaire divisionnaire Sidi Ould Baba Al Hacen revient sur ce qui fait du modèle mauritanien un exemple de réussite. Interview
En quoi la Mauritanie serait-elle exemplaire en matière de lutte contre le terrorisme ?
Ce positionnement n’est pas un affichage politique ou diplomatique, mais bien un constat basé sur des faits précis. De prime abord, la Mauritanie est le premier pays de la région sahélienne à avoir refusé le diktat du terrorisme et à s’y être confronté. C’est dès 2009 qu’a été élaborée une Stratégie nationale de lutte contre le terrorisme, puis mis en place plusieurs instruments dont un pôle judiciaire, un service antiterroriste, des unités spéciales mobiles de l’armée, une sécurisation biométrique des frontières, une lutte idéologique fondée sur la modération islamique et la tolérance, un plan de développement en faveur de la jeunesse, des femmes et de la liberté d’expression, etc. : ce qui traduit une grande réactivité, un engagement fort contre ce phénomène et un indéniable volontarisme.
Cette stratégie a en outre immédiatement été initiée de manière multidimensionnelle. C’est-à-dire qu’elle repose sur des piliers prenant à la fois en compte les aspects militaro-sécuritaires, mais aussi idéologiques et religieux, législatifs, ou encore socio-économiques. A environ 10 ans de mise en œuvre, le bilan est positif, puisque la Mauritanie peut concrètement se targuer de maîtriser ses frontières, son territoire et sa population. L’ensemble des cellules dormantes ont été démantelées, plus de 650 arrestations ont été effectuées pour être prises en charge par la justice, avec des actions de réinsertion vers les repentis, et plus aucun attentat n’a été perpétré depuis la tentative d’attaque à la voiture piégée à Nouakchott, en 2011 (ndlr, ayant visée la présidence mauritanienne et revendiquée par Al-Qaeda). Quel pays peut revendiquer un tel résultat ?
Comment appréhendez-vous les accusations selon lesquelles la Mauritanie aurait signé une entente avec AQMI ?
C’est une question qu’il est important d’aborder, pour justement mettre définitivement fin à ces propos injustifiés et outrageants, qui ne reposent sur aucun fondement, ni présomption, et que certains trouvent intérêt à relayer. Factuellement, la Mauritanie n’a jamais relâché aucun prisonnier salafiste, ni participé à aucun payement de rançon en vue de libérer un otage, ni négocié directement ou indirectement avec des terroristes, contrairement aux accusations qui lui ont été portées. A aucun moment la Mauritanie n’a été un domaine d’entraînement pour les terroristes non plus et il n’y existe plus aucune cellule dormante. Sa posture est restée fidèle. Elle a fait montre d’un réel dynamisme et de nombre d’initiatives pour éradiquer le terrorisme sur son territoire et même au-delà, ce qui est connu des groupes terroristes qui n’ont aucun intérêt à tenter de franchir des frontières sécurisées comme les nôtres. Alors que la bande frontalière mauritanienne s’étend sur une surface immense, environ 2 300 km rien qu’avec le Mali, ont été installés des postes de contrôle dotés de matériels d’identification biométriques sur tout son long et un maillage a été déployé sur l’ensemble du territoire, pour une maîtrise resserrée des mouvements de personnes. Les frontières mauritaniennes ne peuvent donc être franchies.
La Mauritanie n’agit pas seule. Elle est partie aux conventions internationales, s’est conformée aux résolutions onusiennes afférentes à la lutte contre le terrorisme et a ratifié des partenariats bilatéraux et multilatéraux avec d’autres Etats concernés de la sous-région, tout particulièrement avec les pays membres G5 Sahel, mais aussi d’autres partenaires étrangers. Que ce soit en termes d’actions sécuritaires directes, de partage de renseignements et d’entraide judiciaire internationaux, de lutte contre le financement du terrorisme via le blanchiment d’argent, ou de lutte contre la radicalisation, la Mauritanie joue pleinement son rôle de pays leader dans la lutte contre le terrorisme au Sahel.
J’ajoute que les forces mauritaniennes interviennent au-delà de nos frontières. Elles participent à plusieurs opérations de paix sous égide des Nations Unies de manière « exemplaire », pour reprendre l’expression employée par l’Ambassadeur de France en Mauritanie. Ce dernier a également salué tous les autres efforts que nous faisons pour favoriser la paix dans l’ensemble de la région et notamment dans le cadre du G5 Sahel, dont le siège du Secrétariat permanent se trouve à Nouakchott.
Notre implication dans cette lutte est réelle et s’est manifestée par anticipation comparativement aux autres pays de la région et d’ailleurs : pour la défense de notre territoire, de nos intérêts propres et ceux de nos partenaires, et en particulier pour favoriser le développement du pays. La Mauritanie est un pays leader au niveau régional dans la lutte contre le terrorisme. Je pense que c’est justement cette réussite jalousée qui est à l’origine de tentatives de décrédibilisation de la part d’ennemis, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, pour ternir cette image de marque qui fait phare et bloque des perspectives d’avenir sur le plan politique.
Qu’est-ce qui, selon vous, expliquerait la singularité mauritanienne ?
D’une part, les Mauritaniens ont tout de suite eu conscience de la menace que peut peser le terrorisme et de la nécessité de la juguler, au début avec ses modestes moyens et sans aucun soutien, pour ne pas voir le pays prendre la direction de l’Afghanistan. La Mauritanie jouit d’une histoire et d’une culture bien ancrées, qui ne peut aisément subir des influences extérieures, notamment en matière de religion. Notre tradition islamique, de rite malékite, a toujours rejeté l’extrémisme et éduqué autour de valeurs de modération et de tolérance. C’est cela notre ciment. Le terrorisme n’est pas né au sein du tissu social mauritanien, c’est un phénomène extérieur, que l’on ne saurait laisser importer et se propager ici sans une résistance ferme.
D’autre part, il existe une connexion indéniable entre terrorisme et sous-développement, car la misère et le désespoir constituent le terreau pour le recrutement de jeunes, en situation de fragilité et donc manipulables. C’est bien pourquoi la conception mauritanienne de lutte contre le terrorisme allie sécurité et développement. Une conception globale qui anime d’ailleurs aussi notre partenaire privilégié que constitue l’Union européenne, selon sa stratégie de 2011 pour le Sahel, et qui rayonne dans la sous-région, puisque le G5 Sahel en a fait son mot d’ordre.
Par quoi se traduit la coopération avec l’Union européenne et ses Etats-membres en matière de lutte contre le terrorisme ?
L’Union européenne et ses Etats-membres sont liés avec la Mauritanie de par une coopération de longue date, dans le cadre d’actions multiples. Cette coopération doit avec des interactions dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, notamment pour ce qui est de son volet Sécurité et Développement. Le Projet d’appui à la Sécurité et au Développement est venu à point nommé dans ce sens.
Que pouvez-vous nous dire sur cette future Académie de la paix et de la sécurité mauritanienne ?
Il s’agit à l’origine d’une initiative mauritanienne, désormais soutenue par l’Union européenne et d’autres acteurs, dont l’ambition est d’aboutir à un référentiel mutualisé de formations spécialisées, délivrées par des enseignants experts, à destination de la police, des armées dont son service de santé, de la gendarmerie, de la garde nationale et du groupement de sécurité routière. Pour ce qui est de la police, dont je fais partie, les compétences des unités placées sous mes ordres – et primo-intervenantes en cas de menace terroriste intérieure – seront, par exemple, renforcées grâce à un entraînement spécifiquement dédié au milieu urbain.
De manière plus générale, cette structure inédite, placée sous la tutelle du ministère de l’Intérieur mais de dimension interministérielle, constituera un pôle d’excellence national unique, à vocation potentiellement régionale. Le tout pour une efficacité accrue face au terrorisme, grâce à mise en cohérence opérationnelle et au bénéfice de l’ensemble des populations. A ce stade, une première étape vient d’être franchie avec la signature du décret, en mars 2018, puis la nomination d’un officier de marque pour le démarrage (ndlr, cf. encadré). L’objectif est de délivrer les premières formations, à partir d’octobre prochain, puis de monter progressivement en puissance.
Une ampleur qui ne pourra cependant être prise sans la participation d’autres partenaires techniques et financiers à cette lutte commune et décisive, à l’image du Raid, l’unité d’élite de la police française, qui entretient un lien fort avec notre unité propre, le Service opérationnel de la police (SOP).
Kibaru