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La guerre est déclarée pour prendre la tête de la Francophonie

La Francophonie est entrée en campagne pour choisir la personnalité qui va la diriger durant les quatre prochaines années.

La France et le Canada, les deux puissances dominantes de l’organisation francophone, ont chacune choisi leur championne et s’apprêtent à aller jusqu’au clash pour faire gagner leur candidate.

A trois mois du prochain sommet (11 et 12 octobre prochain) de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) à Erevan, en Arménie, où les chefs d’Etat et de gouvernement éliront le prochain patron de la Francophonie, la campagne bat son plein avec deux candidates déclarées. D’un côté, l’actuelle secrétaire générale de l’OIF, la Canadienne Michaëlle Jean qui est candidate à sa propre succession et, de l’autre, la ministre rwandaise des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo.

Les deux candidates en lice se livrent un subtil combat à fleuret moucheté, avec pour armes rumeurs, tweets vengeurs et articles plus ou moins partisans dans la presse. Une information a circulé récemment sur la Toile annonçant l’entrée en scène d’un troisième candidat, qui, si cela devait s’avérer, serait susceptible de bouleverser la donne, actuellement à l’avantage de la candidate de Kigali, soutenue par l’Afrique et… la France.

Avantage Mushikiwabo

Si on ne doit compter que le nombre de soutiens dont dispose chacune des deux impétrantes, la partie semble gagnée pour la candidate rwandaise. Lors de son récent sommet à Nouakchott, l’Union africaine – dirigée par le Rwanda cette année – a appelé solennellement les 29 pays du continent qui font aussi partie de l’organisation francophone à voter pour la candidate africaine. On se souvient de la mobilisation réussie des pays africians pour faire élire en mai 2017 l’Ethiopien Tedros Adhanom Ghebreyesus au poste de directeur général de l’Organisation mondiale de la santé. La candidate du Rwanda pour diriger la Francophonie compte sur le soutien de ses pairs africains pour emporter la mise. Le président du Rwanda Paul Kagame a écrit aux chefs d’Etat concernés pour les appeler à soutenir la candidature de sa ministre. En face, la Canadienne Michaëlle Jean ne bénéficie pour l’instant que des soutiens du Canada, du Québec et de Haïti, son pays d’origine.

Avec l’Afrique représentant le bloc majoritaire au sein de l’OIF forte de 58 pays – sans compter la vingtaine de pays observateurs sans droit de vote -, il est en effet inimaginable qu’une future secrétaire générale puisse être nommée sans qu’elle soit adoubée par la majorité des Etats africains. C’est d’autant moins imaginable que l’essentiel des actions menées par l’OIF ont pour terrain l’Afrique qui, selon les statistiques de l’organisation francophone elle-même, représentera d’ici à 2050, 85% des francophones.

C’est aussi l’argument avancé par la France pour justifier son soutien ostensible à la candidature rwandaise à la direction de la Francophonie. Rappelant que le centre de gravité de la Francophonie se situait désormais en Afrique, quelque part du côté du bassin du Congo, le président français Emmanuel Macron a déclaré en mai dernier, en recevant à l’Elysée son homologue rwandais Paul Kagame, que dans le contexte actuel «  une candidature africaine au poste de secrétaire générale de la Francophonie (…) aurait beaucoup de sens » et qu’il soutiendrait la candidature de Louise Mushikiwabo qui a, a-t-il affirmé, «  toutes les compétences pour exercer cette fonction ».

Pour nombre d’observateurs, le soutien français à la candidature rwandaise ne va pas de soi et cache des calculs géopolitiques et économiques qui ne disent pas leur nom. Selon l’entourage de l’actuelle secrétaire générale, candidate à sa propre succession, loin d’être une démarche spontanée, la candidature rwandaise aurait été suscitée par la France, qui serait prête à « passer par pertes et profits la Francophonie pour se réconcilier avec le Rwanda ». Les autorités rwandaises accusent le gouvernement français d’avoir pour le moins fermé les yeux pendant le génocide rwandais, laissant les Hutu perpétrer leurs violences macabres sur les populations tutsi. Ces soupçons empoisonnent les relations entre les deux pays depuis vingt-quatre ans.

Pour Jocelyn Coulon, rattaché au Centre de recherches et d’études en politique internationale de l’université de Montréal, en se rapprochant de Kigali, la France espère revenir dans la région anglophone des Grands Lacs où le Rwanda pèse de plus en plus. Sur les antennes de Radio-Canada, l’universitaire a attiré l’attention sur l’habileté avec laquelle l’Elysée a réussi à cacher les visées françaises derrière son souci de favoriser « l’ambition africaine de récupérer la direction d’une grande organisation internationale qui leur a échappée en 2014 faute de consensus ». « La France a une stratégie très huilée », a-t-il ajouté.

Forces et faiblesses de la candidature canadienne

La sophistication de la stratégie élyséenne n’a pas échappé au camp d’en face. « La première manche semble avoir été gagnée par Louise Mushikiwabo et ses alliés, mais nous n’avons pas dit notre dernier mot », prévient Bertin Leblanc, porte-parole de la secrétaire générale de la Francophonie, Michaëlle Jean.

Or à trois mois de l’échéance électorale, il est difficile d’imaginer comment celle-ci pourrait passer outre les obstacles quasi insurmontables sur son chemin que sont la mobilisation des Africains pour une candidature africaine et le soutien à cette candidature de la France, premier bailleur de fonds de la Francophonie. Selon une règle non écrite, le poste de secrétaire général de l’organisation francophone revient depuis sa création en 1997 aux pays du bloc Sud de l’OIF. En 2014, lors du sommet de Dakar, c’est le prédécesseur de l’actuel locataire du palais de l’Elysée, François Hollande, qui avait imposé la candidature canadienne à ses pairs, faute d’un consensus parmi les pays d’Afrique sur le choix d’un secrétaire général issu de leurs rangs.

Changement de donne avec l’arrivée d’un nouveau président français en mai 2017. Malgré un premier rendez-vous réussi en juillet avec échange d’amabilités et de numéros de portables, apparemment le courant ne passe pas entre le président Macron et Michaëlle Jean.Ils professent surtout deux visions très différentes de la Francophonie. Plutôt sceptique sur l’efficacité de l’action de l’organisation francophone, le nouveau locataire de l’Elysée estime que celle-ci a chargé la barque en politisant son mandat pour s’occuper des questions de démocratie, d’Etat de droit et de défense des droits de la personne. Emmanuel Macron a appelé à un resserrement des missions de l’OIF sur ses objectifs fondamentaux de langue, éducation et culture. Le soutien affiché par le dirigeant français à la ministre rwandaise, après avoir un temps promu la candidature de l’un de ses proches, Lionel Zinsou, l’ancien Premier ministre du Bénin, s’inscrit dans cette volonté de la France de reformater la Francophonie.

Or ni les critiques françaises de son action ni d’ailleurs la virulence de la presse québécoise qui lui reproche sa mauvaise gestion financière de l’organisation francophone et les « dépenses somptuaires » de la Francophonie pour lui assurer « un train de vie de petite reine », n’empêchent Michaëlle Jean de postuler à la reconduction de son mandat de secrétaire générale. Qualifiant les critiques des médias de « partisanes » qui veulent cibler à travers la personne de cette ex-gouverneur générale du Canada le fédéralisme canadien dont elle est l’un des symboles les plus vibrants, l’entourage de Michaël Jean met en avant le bilan de ses actions depuis quatre ans, à la tête de la Francophonie. C’est un bilan qui est jugé globalement positif, notamment s’agissant des questions de l’égalité femmes-hommes, l’éducation et l’entrepreneuriat chez les jeunes.

Dans une lettre ouverte publiée au Canada et intitulée « Pourquoi je veux continuer de diriger la Francophonie », Michaëlle Jean est revenue sur l’ardeur avec laquelle l’OIF a défendu sous sa direction les valeurs universelles de « multilinguisme », « diversité des expressions culturelles des peuples » et « l’humanisme intégral », dans les tribunes de l’ONU, de l’Unesco et de l’OCDE. De l’aveu des diplomates qui siègent dans ces enceintes, une des principales victoires de la secrétaire générale de l’OIF a été d’avoir imposé le français dans ces tribunes où l’unilinguisme anglophone était devenu la règle. « Un second mandat serait normal pour pérenniser les chantiers ouverts au cours des dernières années et pour les faire aboutir », a-t-elle déclaré lors de récent passage au Canada.

 

« En conformité avec la tradition de l’OIF, langue et valeur ont été les deux grands axes de l’action de Mme Jean », insiste son porte-parole Bertin Leblanc, suggérant avec une étincelle de malice au coin de l’oeil que tel ne sera peut-être pas le cas si la candidate rwandaise s’imposait à Erevan. Lors de l’adoubement par la France de la candidature de Louise Mushikiwabo à la tête de l’OIF, les médias s’étaient en effet étonnés de ce choix, rappelant que le Rwanda où celle-ci officie depuis dix ans en tant que ministre influente des Affaires étrangères, le français a été banni des écoles et des tribunaux aux profits de l’anglais et du kinyarwanda. D’ailleurs, les dernières communications officielles adressées par le Rwanda à l’OIF dont Kigali est l’un des pays fondateurs, ont été écrites en anglais.

La candidature rwandaise pose aussi un problème de démocratie. Récemment, l’organisation Reporters sans frontières (RSF) a publié un communiqué rappelant que le régime rwandais n’était pas particulièrement tendre avec les médias. Il pratique « censure, menaces, arrestations, violences, assassinats » contre les journalistes qui osent dénoncer l’autoritarisme de ses dirigeants, notamment celui de son chef Paul Kagame, aux commandes du pays depuis 2003 et qui a manipulé la Constitution se donnant la possibilité de rester potentiellement au pouvoir jusqu’en 2034. « Comment l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) va-t-elle pouvoir favoriser le pluralisme des médias et la liberté de la presse conformément à ses objectifs en matière de droits de l’Homme, si elle est dirigée par l’une des principales dirigeantes d’un Etat qui piétine le droit à l’information et réprime les journalistes depuis 18 ans », s’interroge le communiqué de RSF.

Enjeux géopolitiques

La perspective de voir une proche de l’inamovible Paul Kagamé diriger l’OIF vouée à la fois à « la promotion de la démocratie et la langue française » depuis l’adoption par ses membres de la Déclaration de Bamako en 2000, n’enchante pas non plus les autorités canadiennes. Celles-ci soutiennent la candidature de Michaëlle Jean, au risque d’aller au clash avec la France sur ce sujet. « Cher Emmanuel, nous sommes amis, mais sur cette affaire, on ne s’entendra pas », aurait déclaré Justin Trudeau au chef de l’Etat français, selon les confidences faites par l’un des membres de l’entourage de la candidate canadienne. Le Premier ministre canadien a officialisé son soutien à la reconduction de Michaëlle Jean dans une longue lettre adressée au président malgache qui est aussi le président en exercice du Sommet de la Francophonie.

Même la décision de l’Union africaine de soutenir la candidature de la ministre rwandaise n’a pas changé la position du gouvernement canadien, qui continue d’appeler au renouvellement du mandat de sa ressortissante. Interrogée sur les antennes de TV5 Monde, Marie-Claude Bibeau, ministre du Développement international et de la Francophonie à Ottawa (1), s’est montrée plutôt confiante et a exprimé des doutes sur la véritable efficacité de la décision africaine d’un soutien collectif. « L’Union africaine est le lieu où l’on peut convenir d’une candidature africaine, mais est-ce que ça veut dire qu’ils seront solidaires envers la candidate africaine, s’est-elle demandé. Ou, au contraire, pencheront-ils pour Michaëlle Jean, qui a déjà bien réalisé son mandat et qui incarne bien les valeurs de la Francophonie. Entre autres, la promotion de la langue française, mais aussi les valeurs de la défense de la personne et de l’égalité entre hommes et femmes. »

« C’est un vrai enjeu pour le Canada d’avoir une Canadienne à la tête de l’OIF, car il n’y a pas beaucoup de Canadiens à la direction des grandes organisations », explique pour sa part Bertin Leblanc. Le Canada a aussi des intérêts économiques grandissants en Afrique, notamment dans le domaine minier, rappelle un économiste. Ce qui explique que ce pays s’est autant investi dans la Francophonie dont il est le deuxième bailleur de fonds derrière la France, comptant pour 30% du budget de l’OIF. Cela suffira-t-il pour influencer le vote africain, qui sera sans doute décisif dans la bataille d’Erevan ?  Elle promet d’être sanglante !

RFI

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