« CARNET DE SANTÉ ». A l’occasion de la Journée mondiale, zoom sur une affection méconnue qui touche tous les ans 300 000 nouveau-nés en Afrique.
Trois cent mille. C’est le nombre d’enfants africains qui naissent chaque année atteints de drépanocytose, une affection encore largement méconnue et pourtant mortelle à grande échelle. Une journée mondiale lui est consacrée le 19 juin, l’occasion de faire le point sur cette maladie génétique négligée.
La drépanocytose déclenche une déformation des globules rouges en croissant qui viennent obstruer les petits vaisseaux sanguins, provoquant des crises vaso-occlusives, responsables de douleurs parfois insupportables. Outre la douleur, la maladie entraîne une anémie et une sensibilité plus importante aux infections. « Au Mali, le pourcentage des décès dans la population d’enfants de moins de 5 ans sans suivi médical se situerait entre 50 % et 80 %, explique le professeur Dapa Diallo, professeur d’hématologie et directeur du Centre de recherche et de lutte contre la drépanocytose (CRLD) de Bamako, alors qu’au CRLD ce pourcentage est inférieur à 1 %. »
Preuve que, si on ne sait pas encore la guérir, il est possible de prévenir au mieux ses infections graves en vaccinant les enfants et en leur administrant un antibiotique.
Traitement de fond
« Le dépistage néonatal est donc une priorité. C’est pourquoi la Fondation Pierre Fabre, très impliquée dans la lutte contre la drépanocytose, conduit une étude au Togo, au Mali et en RDC, pour mesurer les performances d’un test de dépistage rapide et peu coûteux », explique le professeur Marc Gentilini, membre du comité scientifique de la Fondation.
Un dépistage d’autant plus important qu’il existe un traitement de fond permettant de diminuer les crises, qui a montré son efficacité chez les enfants africains. Une molécule, l’hydroxyurée, fait en effet chuter de 70 % la mortalité d’enfants atteints vivant en Afrique, comme l’a démontré une étude publiée dans le New England Journal of Medecine en 2018. Autre avantage, l’hydroxyurée diminue fortement les douleurs – ce qui résout le problème d’accès quasi impossible à la morphine. Toutes les familles ne peuvent pas s’offrir le médicament bien que, tombé dans le domaine public, il soit relativement peu coûteux.
« A titre d’exemple, la prise en charge d’un enfant drépanocytaire au CRLD coûte annuellement entre 270 000 francs CFA et 575 000 francs CFA [412 euros à 876 euros] dans un contexte où le revenu annuel brut par habitant est inférieur à 460 000 francs CFA [700 euros] »,illustre le professeur Dapa Diallo. Les patients pris en charge par le Centre ne font pas d’avance de frais avant les soins et bénéficient d’un forfait annuel de prise en charge qu’ils payent pour partie en fonction de leurs revenus.
L’aide internationale en question
Mais, pour soigner plus largement la population infectée, l’association Drep Afrique a évalué qu’il « faudrait 500 millions de dollars par an » pour produire cette molécule, souligne le professeur le professeur Jean-Benoit Arlet, responsable du Centre national de référence de la drépanocytose de l’hôpital européen Georges-Pompidou à Paris et coordonnateur du comité scientifique de l’association Drep Afrique. Pour lui, la solution passe forcément par un système d’aide internationale pour que les populations bénéficient d’un accès gratuit à l’hydroxyurée. Mais, pour l’heure, la drépanocytose n’attire pas les financeurs. « En 2018, alors que 20 milliards de dollars étaient consacrés à lutter contre le VIH, moins de 20 millions sont allés à la drépanocytose. Nous sommes dans un rapport de 1 à 1 000 sans commune mesure avec le nombre de malades que l’on estime à 15 millions pour la drépanocytose et de 26 millions pour les patients touchés par le VIH », regrette Jean-Benoit Arle.
Or le nombre de victimes pourrait augmenter dans les années à venir car, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), entre 10 % et 40 % de la population d’Afrique subsaharienne est porteuse d’un gène drépanocytaire et pour qu’un bébé soit porteur, il suffit que chacun des parents lui transmette le gène muté. Ce qui signifie que des parents porteurs sains du gène ont 25 % de risques d’avoir un enfant atteint.
La drépanocytose a beau être considérée depuis dix ans comme une priorité de santé publique par toutes les instances de décision en santé au monde, elle a été laissée de côté parce qu’estimée chère et incurable. Le professeur Dapa Diallo juge qu’« on a privilégié le financement de la lutte contre les maladies infectieuses pourvoyeuses de grandes mortalités, mais curables comme le paludisme ».
De plus, la drépanocytose manque singulièrement de relais dans la communauté internationale. « Les personnes concernées dans les pays industrialisés qui auraient pu faire bouger les choses, sont issues de milieux sociaux peu favorisés, sans réseaux médiatiques et éloignés des milieux de décision », avance aussi Jean-Benoit Arlet. Enfin, le poids économique et social de ce fléau reste à évaluer pour convaincre les bailleurs de fonds. Trois facteurs qui expliquent en partie cet oubli meurtrier.
Source: Le Monde.FR