Ce que la CEDEAO est en train de faire avec le Mali est un cas d’école dans l’histoire des relations internationales. De mémoire, jamais cette institution sous-régionale ne s’est autant interférée dans les affaires intérieures d’un Etat membre comme on l’observe avec le Mali.
Depuis le coup d’État du 18 août 2020, la CEDEAO nous a spontanément assaillis, en nous dictant d’office le contenu de notre charte de transition (avant même la tenue des concertations nationales) et la façon dont nous devons dorénavant vivre, commercer, circuler et même gouverner notre pays. L’épisode de ce 15 septembre à Accra a fini de prouver aux Maliens et aux peuples de l’espace CEDEAO que l’institution s’est érigée désormais en instance de décision pour les affaires intérieures et souveraines de ses Etats membres. C’est parti pour durer peut-être.
A Accra, à travers le CNSP, c’est tout le Mali qui a été humilié, minimisé et déconsidéré. Certains Chefs d’État parvenaient à peine à dissimuler leurs sourires moqueurs. La délégation du CNSP, arrivée en tenue militaire (erreur de communication, en mode civil était mieux, histoire de rassurer ses homologues de ses intentions de dialoguer en créant un climat de confiance, sinon militaire paraît agressif), n’a pas reçu le traitement digne de son rang, encore moins du Mali qu’elle représente. Sa gène était palpable sur la photo de famille prise à la fin de la conférence, sur laquelle les responsables du CNSP occupaient d’ailleurs les places de derrière, tout un symbole.
Pour ne rien arranger, dans le communiqué final, les Chefs d’État de la CEDEAO ont fait fi des clauses des concertations nationales du Mali, en imposant une nouvelle charte au Colonel Goïta, plaçant le sort du Mai de facto sous le diktat des Présidents étrangers, dont certains ont une envie personnelle de voir le destin du Mali soumis au bon vouloir de la CEDEAO.
Évidemment, les incartades du CNSP ne nous empêchent pas d’être indignés face à autant d’acharnements à notre encontre. Les plus touchés d’entre nous prônent un retrait pur et simple de la CEDEAO. C’est vrai que le Mali peut le faire. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire, car techniquement, ce serait très coûteux pour notre pays.
Une éventuelle sortie du Mali devrait être préparée et enclenchée à temps, c’est-à-dire au minimum un an selon l’article 91 du traité de fondation de la CEDEAO, révisé en 1993 à Cotonou (Bénin). Même là, selon le même article, l’État membre désireux de se retirer doit continuer de se conformer aux textes de la CEDEAO pendant toute l’année que dure le processus de retrait. Ce qui signifie, qu’à l’heure actuelle, il nous est plus facile de chercher un terrain d’entente avec l’institution sous-régionale que de chercher à en sortir à l’improviste.
Si nous mettions moins de passion dans notre appréciation des faits, nous verrions que la CEDEAO nous est beaucoup avantageuse. Au-delà de son aspect politique qui nous saute ostensiblement aux yeux ces jours, son Traité régule nos relations internationales avec les autres Etats membres en matière de circulation des biens et des personnes, de sciences, d’éducation, de fiscalité, de services bancaires, d’énergie, etc.
Notre problème actuel avec la CEDEAO se trouve au niveau de l’interprétation que ses Chefs d’État membres contemporains sont en train de faire de l’article 77 (sur les sanctions) du Traité. Comme cet article ne définit pas substantiellement la conduite à tenir face à une situation similaire à la nôtre, alors ces derniers se basent sur l’alinéa 4 dudit article pour faire irruption dans notre politique intérieure.
Ce qui est contre les textes de la CEDEAO, donc condamnable. Ce serait même dangereux de taire ces dérives outrancières de l’institution ouest-africaine, d’autant plus que cette tendance aura pour conséquence à court terme l’instrumentalisation pernicieuse de cette organisation à des fins inavouées, qui ne vont pas toujours dans le sens de l’intérêt des Peuples des Etats membres.
Dr Aboubacar Abdoulwahidou MAIGA
Enseignant-chercheur à L’ULSHB