Kidal est devenue une obsession nationale au Mali. Le nom de cette ville du Nord, fief de l’irrédentisme touareg, est sur toutes les lèvres à Bamako. Ni l’armée malienne, ni l’administration n’y ont repris pied. Une solution négociée est recherchée pour que l’Etat central puisse y organiser les élections, prévues pour juillet.
C’est de cette ville de 50 000 habitants, proche des frontières algérienne et nigérienne, que sont parties toutes les rébellions touarègues en 1963, 1990 et 2006. « Sauf la dernière, lancée par le Mouvement national de libération de l’Azawad, formé fin 2011 à Tombouctou et surtout composé de Touaregs de Gao », précise Mohamed ag Ossade, responsable de Tumast, un centre culturel touareg à Bamako.
Le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) a déclaré la sécession du nord du Mali le 6 avril 2012, avant de se faire chasser de toutes les villes du Nord par ses alliés de circonstance, les islamistes d’al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et d’Ansar Dine (voir encadré). Kidal, à 1500 km au nord de Bamako, a ainsi été contrôlée du 30 mars 2012 au 28 janvier 2013 par les Touaregs islamistes d’Ansar Dine. Elle est repassée sous le contrôle du MNLA juste avant d’être « libérée » le 30 janvier par les forces françaises, suivies par un important détachement de soldats tchadiens.
Kidal, une exception au Mali
Le MNLA s’est dit prêt à collaborer avec l’armée française pour donner la chasse aux islamistes dans leurs bases du massif montagneux de l’Adrar des Ifoghas. L’armée française de son côté pouvait difficilement se passer de ces fins connaisseurs d’un terrain difficile où se trouvaient peut-être les cinq otages français toujours retenus par Aqmi dans le nord du Mali. Du coup, les soldats maliens ne sont pas revenus à Kidal, où le MNLA ne veut pas d’eux, par peur d’exactions contre les populations touarègues et arabes, soupçonnées d’avoir collaboré avec les rebelles et les islamistes. Une situation mal vécue à Bamako, où l’on considère le MNLA comme le principal fauteur de trouble, puisque c’est lui qui a rallumé la guerre en janvier 2012.
Kidal, ville excentrée mais stratégique, n’est joignable que par avion, ou après 300 km de piste à partir de Gao, la dernière ville du nord du Mali a être desservie par une route bitumée. Elle est depuis longtemps une exception au Mali : ce serait la seule ville majoritairement peuplée de « Touaregs et Maures », catégorie officielle du recensement de 2009 qui inclut la communauté arabo-berbère du nord du Mali (*). La ville abrite aussi d’importantes communautés songhaï et peule, les deux ethnies noires majoritaires, sur le plan démographique, dans le nord du Mali.
Ville-garnison depuis l’indépendance, Kidal abrite un bagne militaire, le désert rendant toute évasion impossible. A cause de cette prison, la ville a été interdite à tout visiteur jusqu’en 1992, année de la décentralisation, conclue dans un « pacte national » après la rébellion touarègue de 1990. « Ces crises ont été très mal gérées, explique Akory Ag Ikhnane, président du Collectif des ressortissants de Kidal à Bamako. On a intégré des Touaregs dans l’armée et on a fait de gens illettrés des officiers, sans leur faire confiance. Ces Touaregs sont aussi coupables : ils ont tous demandé à repartir à Kidal, au lieu d’oeuvrer à l’intégration.»
Un ressentiment réciproque
Egalement considérée comme un fief des islamistes et le lieu de passage de tous les trafics, y compris de drogue, Kidal cristallise les problèmes du nord du Mali. « Même les Songhaï ne connaissent pas la culture touarègue, affirme Mohamed ag Ossade. Ils répandent des clichés négatifs sur nous. Pour le Malien lambda, le Touareg est un rebelle, un mécréant qui se fiche de l’islam et pratique la razzia ».
Les massacres et exécutions sommaires de civils perpétrés par l’armée malienne après les rébellions successives n’ont pas été oubliés. Un ressentiment réciproque fait que Kidal reste l’écharde plantée dans le pied du Mali d’après-guerre. Comment organiser, sans cette ville réfractaire, des élections voulues pour juillet ? Les rumeurs d’assaut se multiplient depuis la fin avril, sans que rien ne se passe. « L’armée malienne doit tout écraser à Kidal, il faut mettre les bandits en prison et les juger pour leurs crimes », déclare Mohamed ag Hamani, originaire de Tombouctou, le seul Touareg à avoir assumé les fonctions de Premier ministre au Mali entre 2002 et 2004.
Quand Kidal s’autogère
En attendant, Kidal s’autogère. Ses notables, réunis dans un Haut conseil de l’Azawad (HCA), se sont choisis le 27 mars dernier un gouverneur temporaire, sans demander l’avis de Bamako. L’Etat a répliqué en nommant à son tour, le 2 mai 2013, un autre gouverneur venu du Sud. Le colonel d’aviation Adama Kamissoko, ancien préfet, se dit « en route pour Kidal », un poste qu’il n’a pas encore rejoint. Cette décision a été contestée par le MNLA, mais appuyée par les Touaregs non rebelles – une majorité « modérée » dont la voix ne porte guère, malgré la présence de deux Touaregs, Assarid ag Imbarcawane et Nock Ag Attia, aux postes respectifs de vice-présidents de l’Assemblée nationale et du Haut conseil des collectivités territoriales (HCCT, l’équivalent du Sénat au Mali).
Pour sortir de l’impasse, Kidal commence à bouger. Intalla Ag Attaher, son « amenokal », le plus haut chef traditionnel du clan d’aristocrates que sont les Ifoghas, a officiellement quitté le MNLA, ce 18 mai, pour rejoindre le HCA désormais « unifié » (HCUA). Un interlocuteur qui se veut plus crédible, ayant renoncé à l’indépendance et à la lutte armée. Un premier pas, sans doute, vers une solution négociée, pour que la « bataille de Kidal » n’ait pas lieu.
(*) Les Touaregs et les Maures forment 10 % des 15 millions de Maliens, selon le recensement de 2009.
Iyad Ag Ghali, chef d’une guerre interne pour le pouvoir ?
Si Iyad Ag Ghali, soixante ans, un Touareg de Kidal, a fondé le mouvement armé touareg et islamiste Ansar Dine en janvier 2012, c’est pour mieux contester le pouvoir du MNLA, mais aussi l’emprise d’Intalla Ag Attaher sur la ville. Première à être entrée en contact avec le colonisateur français, la famille Intalla reste incontournable dans les rapports de la région avec l’administration. L’un des trois fils d’Intalla Ag Attaher, Al Ghabass Ag Intalla, a été le numéro deux d’Ansar Dine avant de fonder, le 26 janvier, comprenant que la partie était finie, le Mouvement islamique de l’Azawad (MIA). Une dissidence d’Ansar Dine aujourd’hui fondue dans le HCAU. Les sigles ne veulent pas dire grand-chose dans le désert : leur évolution traduit surtout des rapports changeants de pouvoir, avec des revirements d’alliance constants. Iyad Ag Ghali, ancien chef de la rébellion de 1990, nommé en 2007 consul du Mali en Arabie Saoudite, d’où il a été expulsé en 2010 en raison de ses liens présumés avec al-Qaïda, va peut-être payer pour ses convictions salafistes. Il est loin de l’islam soufi et tolérant pratiqué par les Touaregs, dont Intalla Ag Attaher est aussi l’un des chefs religieux les plus respectés. On lui prête d’avoir organisé l’exfiltration vers le Niger de 600 soldats maliens du Sud au moment de la chute du Nord, des gens qu’il aurait abrités et nourris dans ses propres maisons. |
RFI/ 23 mai 2013 à 15:27