Malgré les taxes générées par les mines et les dividendes de l’orpaillage, le développement de la localité tarde à prendre son envol. Vie chère, dégradation des mœurs, manque d’eau potable, d’électricité et de routes, les défis sont multiples
Tout ce qui brille n’est pas or. Ce vieil adage colle à la réalité dans le Tambaoura, une zone hautement aurifère où convergent des milliers de personnes en quête de fortune. L’eldorado tant miroité se transforme, bien des fois, en un cauchemar. Le paradoxe est saisissant. Car tous les villages sont assis sur un sous-sol gorgé de métal jaune. Les compagnies multinationales se bousculent à leurs portes, attirées par un sous-sol riche en minerais. Pas moins de cinq grandes mines opèrent dans cette partie de la Région de Kayes.
Autour de Kéniéba, on constate que dame nature est agressée de toutes parts. La terre prend l’apparence d’un corps humain criblé de trous béants. Les grosses machines creusent frénétiquement à la recherche de minerais. Les montagnes de remblais sont tournées et retournées par des chercheurs d’or munis de machines capables de détecter le métal.
Dans chaque mine, les compartiments sont distincts. La zone d’extraction est séparée de l’usine. La base vie est légèrement à l’écart. Ici, toutes les commodités sont réunies : électricité, supermarchés, stades de football et autres terrains de sport, réfectoire, centre de soins … et mêmes des établissements de loisir pour les miniers. Les aliments et les produits de consommation sont livrés par des avions qui font la navette. Certains produits sont commandés de l’extérieur du pays pour garantir une qualité de service irréprochable et un niveau de vie au standard européen. Le confort est presqu’insolent.
Tels des oasis au milieu du désert, ces bases vie contrastent avec les villages environnants qui manquent de tout. Ou presque. Dans ces localités riveraines, les plus aisés utilisent des panneaux solaires alimentant des ampoules qui éclairent à peine leur environnement immédiat. La plupart des concessions sont en banco. Rien de vraiment impressionnant. L’or ne brille pas pour tous dans cette contrée où la poussière est omniprésente.
1,3 MILLIARD- Pourtant, les dirigeants des différentes sociétés minières jurent, la main sur le cœur, que leurs entreprises sont profondément attachées au développement local. Des centaines de millions de nos francs seraient versés aux populations riveraines pour l’amélioration de leur cadre de vie. Cette manne financière serait confiée aux municipalités, sous la bonne garde des maires.
Pour vérifier tout ça, quoi de plus normal que de frapper à la porte de monsieur le maire. Une porte en bois s’ouvrit sur l’élu local. Idrissa Bah, 3e adjoint au maire, est confortablement installé derrière un bureau sur lequel sont posés un ordinateur portable, un calendrier et une pile de cachets. Le drapeau national flotte sur son bureau de travail surplombé de la photo officielle du président de la République.
Entre deux signatures de copies d’extrait d’acte de naissance, il précise que sa commune abrite trois mines d’or à savoir Endeavour, Gounkoto et B2 Gold. «Nous avons deux types de relation avec ces mines : la patente rétrocédée aux collectivités par l’État et le développement communautaire directement piloté par le sous-préfet. Le plan de développement est géré en bonne intelligence avec les villages. Nous sollicitons les sociétés minières sur des urgences de la localité. Nous avons initié les cartes d’orpaillage pour pouvoir les identifier. A ce jour, la mairie ne tire aucun bénéfice de l’orpaillage», développe l’élu.
En 2019, la commune a bénéficié d’une enveloppe de 1,3 milliard de Fcfa au titre de la patente de deux mines industrielles. «Comme toutes les autres communes, nous intégrons ce fonds dans le budget constitué de deux éléments : fonctionnement et investissement. Nous construisons et équipons des salles de classes, des centres de santé communautaires. Nous faisons des évacuations de malades. Nous réalisons des forages, des aménagements de pistes et de périmètres maraîchers … », énumère notre interlocuteur. L’élu local tient à ajouter que sa commune apporte un appui à tous les services de l’Etat.
«Quand la tâche est immense, les citoyens pensent qu’on ne fait rien. L’an passé, nous avons réalisé 38 forages dans les 28 villages de la commune, insiste Idrissa Bah qui se dresse contre l’orpaillage. «J’ai peur pour l’avenir des miens. Les forêts sont détruites à la faveur de l’orpaillage traditionnel. Quand les mines doivent fermer, il faut que les procédures soient respectées», s’inquiète-t-il.
PLUS DE 40 NATIONALITÉS- L’élu local se souvient avoir participé à une formation au cours de laquelle il a été clairement indiqué que les sociétés exploitantes doivent créer un compte approvisionné chaque année pour préparer la fermeture d’une mine. Hélas, cette disposition n’est pas observée». Selon le maire, pas grand chose n’est fait pour l’après-mine. «Cela me désole beaucoup», dit-il, avant de poursuivre : «Keniéba est envahi. Nous avons plus de 40 nationalités ici. Ceux qui gagnent réellement de l’argent parce qu’ils maîtrisent mieux les techniques, ce sont les étrangers. Les autochtones sont en train de se retirer de l’or au profit de l’agriculture et du commerce».
Pour le moment, seuls quelques chanceux tirent leur épingle du jeu. «Globalement, nous sentons un ralentissement des activités dû en partie à la pression démographique», analyse le maire qui prédit une année difficile pour sa localité.
Le préfet du cercle, Idrissa Kané, lui, est plus optimiste. Il donne quelques exemples en commençant par le fait que les populations arrivent à acheter les produits sur le marché malgré leur cherté.
De son point de vue, cela est un indicateur important. Il ajoute que chaque famille dispose d’au moins quatre motos. Un jeune travaillant dans les mines est payé à plus d’un demi million de Fcfa. Certains gagnent plus du million, au grand bénéfice de leurs familles.
«Donc, l’or profite bel et bien aux populations locales. Ici, le niveau de vie est plus élevé que dans les autres localités de notre pays», fait savoir le chef de l’exécutif local. Il admet que le niveau de vie souhaité n’est pas atteint.
Les mines, selon l’administrateur, contribuent au développement local en finançant des activités génératrices de revenus, des centres de santé, des écoles et mêmes des pistes rurales. Idrissa Kané rappelle que certaines activités ne sont pas inscrites dans leurs conventions. C’est justement pourquoi, elles ne financent pas n’importe quel projet.
Les orpailleurs et les travailleurs des mines peuvent avoir de gros revenus. «Le flux d’argent en circulation pousse les gens à dépenser», explique le préfet qui constate une évolution positive dans le comportement des habitants. «J’ai vu des gens qui viennent solliciter des parcelles de plusieurs hectares pour y développer des activités agricoles. C’est une nouveauté qui bénéficie même de l’accompagnement des sociétés minières et des pouvoirs publics», ajoute l’administrateur qui se réjouit : «C’est timide, c’est vrai mais les esprits évoluent positivement».
Parlant de l’appui des mines aux collectivités, le préfet préconise la mise en place de projets structurants. Il pense que les collectivités gagneraient mieux à mettre en place des initiatives de développement local.
Ce commerçant de gadgets électroniques a un avis plus tranchant sur la question. «Ils ne foutent rien de bon. Les élus locaux et les fonctionnaires de l’État s’en foutent de notre bien-être. En 2019, les mines ont versé des centaines de millions à la mairie. Tout ce qu’ils savent faire, c’est acheter des voitures. Regardez, nous n’avons même pas de routes…», éructe notre interlocuteur. Un ami du commerçant s’invite au débat et soulève des inquiétudes au sujet de l’après-mine. «Contrairement à ce que pensent beaucoup de gens ici, l’or n’est pas éternel. C’est donc maintenant qu’il faut investir pour préparer les jours difficiles», relève-t-il.
Pour sa part, un notable du village déplore les mutations en cours dans l’activité aurifère. «Au temps de nos parents, cette activité n’était autorisée qu’après les travaux champêtres. Dès les premières pluies, les sites étaient fermés et tout le monde retournait au champ. Malheureusement, cette mesure n’est plus respectée. Or, il est nécessaire d’y revenir pour notre plus grand profit», fait remarquer le notable. Les traditions résistent difficilement à l’influence du métal jaune.
Envoyé spécial Ahmadou CISSÉ
Source : L’ESSOR