Le ministre de la Justice, Garde des Sceaux, Mohamed Ali Bathily, au cours d’un entretien avec la presse ce jeudi 9 janvier 2014 dans son département, a confirmé la démission du procureur de la République près le tribunal de première instance de la Commune III du district de Bamako en charge du Pôle économique, communément appelé le procureur anti-corruption, Mohamed Sidda Dicko.
Par la même occasion, il a désavoué le Procureur général de la Cour d’Appel de Bamako, Daniel A. Tessougué.
L’historique des faits
Selon le ministre de la Justice, l’affaire date d’un mois, 3 semaines, quand il a eu un entretien dans son bureau avec le procureur anti-corruption, Mohamed Sidda Dicko autour de plusieurs dossiers tous évoquant un excès de pouvoir du maire du district, Adama Sangaré et émanant de la section administrative de la Cour suprême. Le ministre de la Justice lui indique que Adama Sangaré avait pris une série de décisions donnant à des gens des terrains dont ils n’étaient pas propriétaires. La section administrative de la Cour suprême a donc annulé ses décisions pour excès de pouvoir et le ministre Bathily demande au procureur d’interroger son acte pour voir en quoi il y a eu excès de pouvoir et si les faits constatés peuvent donner lieu à des poursuites contre Adama Sangaré.
Le procureur Dicko, répond qu’il n’y a pas lieu de poursuivre encore le maire du district puisque la Cour suprême a déjà annulé ses décisions. Le ministre rétorque que même si la Cour suprême a annulé ses décisions, puisque cette même Cour parle d’excès de pouvoir, c’est cet acte qu’il faut interroger. Ce n’est pas le fait d’annuler ses décisions qui doit le dispenser de la pénalité de son acte qui est l’excès de pouvoir, souligne le ministre au procureur. « Un voleur, même si vous lui retirez l’objet volé, cela ne le dispense pas de la pénalité de son acte qui est le vol », ajoutera-t-il en substance. Le ministre ajoute que Adama Sangaré est assez outillé pour savoir la validité de ses actes d’autant plus qu’il a plusieurs services à sa disposition en la matière. Surtout quand la justice parle d’excès de pouvoir. « Adama Sangaré n’a pas restitué ces terrains de son gré et vous voulez qu’on n’interroge pas son acté ? », s’est-il interrogé face au procureur ce jour-là dans son bureau en présence de son secrétaire général. Le ministre ajoute que l’article 13 de la constitution stipule que le droit de propriété est inviolable et que l’acte du maire du district a causé des dommages, des dépenses aux victimes d’autant plus que c’est une procédure judiciaire qui est allé jusqu’à la Cour suprême, laquelle le culpabilise d’un excès de pouvoir.
Après que le ministre Bathily ait exprimé son étonnement face à ce que le procureur anti-corruption venait de dire, ce dernier lui demande d’abord de faire sortir de la salle le secrétaire général avant de lui annoncer qu’il va démissionner. Le procureur Dicko dit au ministre que « si vous n’avez plus confiance en moi je démissionne et s’il y a quelqu’un d’autre qui veut de ma place, vous pouvez la lui donner ». Il ajoutera ensuite qu’il s’est senti humilié parce que le ministre l’a accusé devant le secrétaire général du département qui est un jeune frère à lui. Le ministre lui présente ses excuses avant de le sensibiliser à ne pas démissionner pour ça.
Mais le lendemain, le ministre Bathily est surpris de recevoir de lui sa lettre de démission avec ampliation au Procureur général de la Cour d’Appel de Bamako. (Nous vous proposons la lettre de démission). Ce dernier qui doit être un tampon entre le ministre et les autres procureurs, ne lui avait jamais parlé de cette démission alors que ampliation lui avait été faite. Le lendemain de cette démission officielle, le ministre envoie au procureur-démissionnaire une instruction pour lui dire de continuer avec l’affaire Adama Sangaré. Le procureur ne réagit pas et le ministre est obligé de se rabattre sur son substitut. C’est après que le ministre Bathily apprend qu’il était parti en congé sans qu’il n’ait été là aussi avisé par le procureur général M. Tessougué.
L’épilogue
Ce jeudi, après avoir fait la genèse de l’histoire, le ministre a expliqué aux journalistes que dans le statut de la magistrature, on ne démissionne pas de sa fonction et si on le fait, on perd sa qualité de juge, autrement dit, on est radié de la magistrature. « A-t-il voulu me dire qu’il a démissionné de sa qualité de juge ? », s’est interrogé le ministre Bathily avant d’ajouter qu’il ne voulait pas parler de cette démission, faite depuis 1 mois, 3 semaines parce qu’ayant estimé qu’un procureur est assez responsable pour poser de tels actes.
Le ministre désavoue le Procureur général de la Cour d’Appel, Daniel Tessougué
Mais qu’est-ce qui a amené le ministre à sortir de son silence maintenant ? Pour Mohamed Ali Bathily, c’est suite à une sortie médiatique du procureur général Daniel A. Tessougué dans la presse. Dans les colonnes de l’hebdomadaire « 22 Septembre » de ce jeudi 9 janvier 2014, Tessougué aurait déclaré à propos du procureur anti-corruption que « c’est l’un des meilleurs magistrats du pays. S’il démissionne, il faut désespérer de la justice malienne et aller chercher des juges en Guinée. Non, très amicalement, je vous dis qu’il n’a pas démissionné ».
Des propos qui ont écœuré le ministre Bathily le poussant ainsi à donner sa version des faits pour, dit-il, édifier l’opinion nationale. « J’ai parlé, parce que le procureur général Daniel Tessougué a parlé ».
Pour le ministre, « c’est me faire une mauvaise querelle que de dire qu’on doit aller chercher des magistrats en Guinée. Le procureur général, Daniel Tessougué est une curiosité intellectuelle pour moi. Je le dis et je le répète. Il n’a pas assumé ses responsabilités de procureur général sinon le bon sens voudrait qu’il me tienne informer de ce qui se passe au niveau de ses subalternes ».
Le ministre a ajouté qu’avant de saisir le procureur anti-corruption, c’est au procureur général Daniel A. Tessougué qu’il avait confié cette même affaire Adama Sangaré, mais à sa grande surprise, ce dernier est venu un jour lui remettre le dossier en lui indiquant de saisir le Premier ministre pour que ce dernier à son tour saisisse le contrôleur général afin que les enquêtes soient menées.
De toutes les façons, le ministre a fait savoir que ce chantage ne le détournera pas de sa volonté de redresser l’appareil judiciaire au Mali. « Il y a un mouvement de mutation en cours et personne ne pourra me faire ce chantage. S’il (le procureur anti-corruption) ne veut pas poursuivre Adama Sangaré, quelqu’un d’autre le fera à sa place », a-t-il indiqué.
Mais pourquoi le ministre n’a pas voulu relever ces deux procureurs de leurs fonctions depuis ? Pour Mohamed Ali Bathily, « je prendrai une décision en fonction de l’intérêt de l’administration, mais non par rapport à des malentendus personnels ».
La question qu’on se pose maintenant est de savoir pourquoi et le procureur anti-corruption et le procureur général de la Cour d’Appel de Bamako, refusent de poursuivre le maire du district Adama Sangaré malgré les instructions du ministre Bathily.