L’assassinat des deux journalistes de Radio France Internationale, le 3 novembre à Kidal (Mali), et la libération, le 29 octobre, des quatre otages enlevés à Arlit (Niger) le 16 septembre 2010 sont étroitement liés à la guerre menée par la France au Sahel contre le terrorisme islamiste. Les Français y sont en première ligne. De la réponse politique et militaire de Paris aux défis posés dépendent, pour les années qui viennent, la crédibilité internationale de la France autant que la sécurité de ses intérêts et de ses ressortissants.
La réponse militaire à ces menaces a été efficace grâce à l’opération Serval, déclenchée en janvier. La réponse politique à ce dossier complexe paraît plus contrastée. Au sommet de l’État, elle est marquée par une hésitation chronique à arbitrer, à assumer des choix, par une propension à l’émotionnel qui ne devrait pas avoir sa place à ce niveau de décision. L’indécente mise en scène de l’accueil des otages d’Arlit en est l’illustration.
Début janvier, lorsque les groupes islamo-terroristes menacent de s’emparer de la totalité du Mali, François Hollande hésite, malgré les synthèses de renseignements alarmantes de son état-major. Depuis des mois, il se re fuse à intervenir. Le 11 janvier pourtant, devant la brutale poussée islamiste, tout change : Hollande donne enfin son feu vert à l’opération Serval. Les islamistes sont frappés au coeur même de leur fief, le massif des Ifoghas ; 700 d’entre eux sont tués, les autres se dispersent. Malgré le temps perdu, c’est un succès incontestable pour la France, son armée et l’Élysée.
Mais Hollande néglige les conseils de prudence de certains de ses conseillers. En février, lors de son voyage triomphal à Bamako — « Le plus beau jour de ma vie politique » —, il fait comprendre que « la mission est accomplie » et annonce la réduction du contingent français : pas plus de 1 000 hommes en décembre. Il semble pressé d’alléger “l’empreinte” de la France au Mali — pour éviter on ne sait quel procès en colonialisme. Il croit à la restauration rapide de l’État de droit et à la bonne volonté des frères ennemis maliens. Les premiers mois lui donnent raison. Un nouveau président est élu en juillet, dans des conditions jugées acceptables. L’aide financière internationale peut reprendre. Des législatives se profilent pour le 24 novembre.
Vu de Paris ou de New York (Onu), tout semble aller pour le mieux. Sur place pourtant, personne n’est dupe. Trop pressée d’alléger son dispositif, la France veut forcer le destin. La formation de la nouvelle armée malienne par l’Union européenne ne donne pas les résultats attendus. La qualité opérationnelle des bataillons brevetés est décevante. « On fait avec ce qu’on nous donne », disent les formateurs européens. « On paie cinquante ans de mauvaises habitudes et on ne se réforme pas en quatre mois », reconnaît le chef d’état-major malien, le général Ibrahima Dembélé. « On a voulu aller très vite, au risque de bâcler le processus », ajoutent des officiers français. LaFrance mise aussi beaucoup sur la Minusma. La déception est terrible : les casques bleus de l’Onu devaient être 12 500 en décembre. Ils ne sont encore que 6 000, ni respectés par la population, ni redoutés par leurs adversaires.
En avril, pour la phase de stabilisation qui commence après les trois mois de combats intensifs, François Hollande fait un choix qui n’en est pas un. Il soutient logiquement le nouveau pouvoir à Bamako mais décide aussi de laisser de côté le problème touareg, au Nord. Moins de 200 soldats français se déploient en lisière de Kidal, la capitale du massif des Ifoghas. Cette ville étendue sur des kilomètres de sable concentre pourtant toutes les forces hostiles à l’État central : les Touaregs laïques et islamistes y retrouvent les djihadistes étrangers, pour s’allier ou se combattre. « Sur le plan militaire, il était plus logique de tenir Tessalit, 250 kilomètres plus au nord », explique un militaire. Carrefour important aux abords de la frontière algérienne, porte d’accès au massif des Ifoghas, ancienne forteresse des djihadistes, Tessalit dispose d’une meilleure piste aérienne.
Sur le plan politique, Paris a choisi de “sous-traiter” la sécurité de Kidal au MNLA, le principal mouvement politico-culturel des Touaregs du Nord. « Le marché était simple, rappelle cet officier des forces spéciales. Le MNLA acceptait le retour symbolique de l’État malien à Kidal, en échange de sa liberté de manoeuvre. » La France ferme alors les yeux sur ses méthodes et la poursuite des trafics.
Les promesses n’ont tenu que quelques semaines. Une poignée de fonctionnaires maliens sont revenus. Ils restent confinés dans un bâtiment administratif. Les 500 casques bleus et les 200 soldats maliens se terrent le plus souvent dans leur cantonnement. Kidal est hors de contrôle, comme le prouvent l’enlèvement des deux journalistes de RFI, devant un local du MNLA, puis leur assassinat à la sortie de la ville, malgré les barrages de la Minusma et de l’armée malienne.