Que s’est-il passé, à Bamako ?
Bien qu’il faille rester prudent – une partie de l’armée, selon Financial Afrik, resterait fidèle au président IBK (Ibrahim Boubacar Keïta) -, le succès du putsch militaire du 18 août relève d’un processus classique : mutinerie et prise de contrôle du camp de Soundiata Keïta, près de Bamako, celui qui avait entraîné la chute de son prédécesseur, le président ATT (Amadou Toumani Touré) ; départ en convoi vers le centre de la capitale où les manifestants les acclament ; arrestation à son domicile du président et de son Premier ministre, Boubou Cissé, qui sont reconduits au camp où IBK, sous la pression, enregistre un discours qui sera retransmis par la télévision publique, l’OFTM. Il y annonce sa démission, la dissolution du gouvernement et de l’Assemblée nationale pour ne pas faire couler le sang.
Qui veut la peau (politique) du président malien ?
Ce putsch prévisible était même annoncé. Élu en 2013, puis en 2018, avec 67 % des voix mais des soupçons de fraude massive, IBK (75 ans) faisait face à une large coalition menée par l’imam conservateur Mahmoud Dicko avec le soutien d’opposants politiques et de membres de la société civile. En cause, les manipulations consécutives aux élections législatives de mars–avril 2020. Ceux-ci fondèrent un mouvement qui prit le nom du « 5 juin », où des dizaines de milliers de personnes réclamèrent la démission d’IBK. Suivirent trois jours d’émeute à partir du 10 juillet, marqués par des morts de manifestants (11 selon le pouvoir, 23 selon l’opposition), des blessés, des pillages, des incendies. Malgré la médiation de la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest), du président nigérian, Goodluck Jonathan, et des gestes d’apaisement d’IBK, l’opposition qui avait le soutien des chefs religieux de la sous-région ne désarmait pas et avait informé qu’après la trêve de l’aïd-al-adha, elle reprendrait le combat dès le 18 août. Le jour du putsch.
Que sait-on, à ce stade, des militaires responsables de ce putsch ?
Les chefs semblent être trois haut gradés : le général Cheikh Fantamadi Dembélé, les colonels Diaw et Mama Sekou Lelanta. Leur porte-parole, le colonel Ismaël Wafé, a détaillé à la télévision leur programme. Contre un pays qui « sombre de jour en jour dans le chaos, l’anarchie et l’insécurité par la faute des hommes chargés de sa destinée », ils combattront le clientélisme politique, la « gestion familiale des affaires de l’État », une « justice en déphasage avec les citoyens », une « Éducation nationale qui patauge », les massacres des villageois, le terrorisme et l’extrémisme. Ils s’engagent à promouvoir une transition civique et à organiser des élections « dans un délai raisonnable ».
Quelles conséquences pour la stabilité de la région ?
Le Mali, pays enclavé de 20 millions d’habitants formé d’une vingtaine d’ethnies, est un des plus pauvres du monde, bien qu’il soit le premier producteur de coton et le quatrième exportateur d’or. L’aide internationale et les transferts de fonds des expatriés lui permettent à peine de survivre. La perspective d’une croissance de 1 % pour 2020 due au Covid 19, largement inférieure à la croissance démographique (3,6 %), inquiète d’autant plus. Il est déchiré par des rivalités entre éleveurs peuls animés par le prédicateur Amadou Koufa et agriculteurs dogons et bambaras (130 éleveurs peuls massacrés par les milices dogons, en mars 2019). La rébellion touareg est contenue depuis les accords d’Alger de 2015. Mais la région de Kindia reste largement contrôlée par les islamistes, et sans les 5.100 militaires déployés par l’opération Barkhane épaulée par la MINUSMA de l’ONU et la force G5 Sahel, le pays gangrené par le népotisme, la corruption et la mauvaise gestion des services publics serait une proie facile pour un islamisme conquérant qui propose un véritable projet de société. Le putsch a été condamné par la CEDEAO, l’Union africaine, l’ONU, l’Union européenne, la France, les États-Unis, mais les sanctions économiques risquent d’être inopérantes dans un pays qui vit largement de l’économie informelle.
Que peut faire la France, dans cette situation ?
La France est venue au secours du Mali sous François Hollande (opération Serval) et a prolongé et amplifié son soutien par l’opération Barkhane. Elle est engagée pour très longtemps dans ce conflit sans espoir de victoire, et sans un véritable soutien de l’Union européenne. Si le Mali, où le sentiment antifrançais progresse, « tombait », ce serait une tête de pont pour un califat au Sahel et une émigration massive qui viendrait renforcer les quelque 400.000 personnes d’origine malienne déjà présentes en France.
Source : bvoltaire.fr