Notre invité ce lundi matin est le secrétaire général adjoint des Nations unies aux opérations de maintien de la paix. Jean-Pierre Lacroix vient de passer quelques jours au Mali, où il a notamment assisté à l’investiture du président réélu, Ibrahim Boubacar Keïta. L’occasion de parler avec lui des priorités pour rétablir la paix dans le pays, en particulier dans le centre où la situation sécuritaire s’est beaucoup détériorée ces derniers mois.
RFI : La situation sécuritaire s’est considérablement dégradée au cours de l’année écoulée au Mali. Comment expliquez-vous que la présence de la Minusma n’ait pas permis d’empêcher cette dégradation ?
Jean-Pierre Lacroix : Oui, la situation sécuritaire, et notamment dans le centre, s’est dégradée, c’est certain. La Minusma était peu déployée dans cette région, puisque son mandat portait et d’ailleurs porte encore essentiellement sur le Nord. Maintenant, il faut que nous puissions contribuer aussi à aider les Maliens à traiter les défis de la région centre. Le Conseil de sécurité, dans la dernière résolution qui a prorogé le mandat de la Minusma, nous a aussi donné mandat d’aider les Maliens dans cette partie de leur pays à régler les problèmes de sécurité.
Dans les zones dans lesquelles elle est déjà présente, la Minusma souffre d’un manque de confiance de la part de la population. Est-ce que vous avez conscience de ce manque de confiance et comment vous pourriez y remédier ?
Je crois qu’il faut le nuancer. Dans le contexte de ma visite de ces derniers jours au Mali, je suis allé à Aguelhok, notamment, et nous avons rencontré les représentants de la population. Ils nous ont dit que sans la présence de la Minusma leur situation et leurs conditions de vie seraient extrêmement difficiles. Donc il peut y avoir des endroits où les attentes à notre égard sont très élevées, c’est en général ce qui se produit lorsqu’une opération de maintien de la paix se déploie et cela tend parfois au-delà de ce que nous puissions réellement faire. Mais je crois que la population, dans beaucoup d’endroits, voit l’apport de la Minusma, sachant encore une fois que nous n’avons pas le mandat de combattre les groupes terroristes. Ça, c’est Barkhane, c’est le G5 Sahel.
Mais est-ce que c’est quelque chose qui vous préoccupe, ce manque de confiance ?
Je crois qu’il faut toujours faire mieux et toujours être mieux en mesure d’atteindre la population et de la soutenir. Nous le comprenons et nous continuerons de faire le maximum pour y répondre, même s’il y a aussi et d’abord, de manière prioritaire, une responsabilité malienne.
Vous parliez des responsabilités maliennes. Le président Ibrahim Boubacar Keïta vient d’être réélu. Pensez-vous que la situation puisse changer maintenant, alors qu’elle s’est dégradée ces cinq dernières années ?
Le président Ibrahim Boubacar Keïta a dit dans son allocution de prestation de serment que sa priorité était la mise en œuvre de l’accord de paix, il me l’a dit d’une manière très claire, et c’est aussi ce que nous avons entendu de la part des groupes signataires de l’accord de paix. Il y a un sentiment d’urgence qui est exprimé par ces interlocuteurs, il y a un sentiment d’urgence qui est exprimé par la population malienne. Nous devons maintenant aider à ce que cela se traduire dans la réalisation de progrès.
Vous disiez que le président vous avait fait part du sentiment d’urgence qu’il éprouvait. Est-ce qu’il vous a fait part de l’étape d’après ; les actions, les programmes, les mesures à prendre pour faire avancer ce fameux accord de paix et sa mise en place ?
Ce qui est important maintenant, c’est d’avancer vite pour permettre qu’il y ait sur le terrain, effectivement, une matérialisation de ces progrès. En d’autres termes, favoriser le retour d’une présence institutionnelle, présence de la puissance publique malienne, attribution de plus grandes responsabilités et de plus grands moyens aux responsables locaux, présence de sécurité efficace et acceptée, présence en matière de fourniture de services de base, même si dans ce domaine – comme dans les autres, mais peut-être plus encore –, le soutien des partenaires internationaux du Mali sera, évidemment, crucial. Mais c’est ça l’objectif aujourd’hui. C’est, je crois, que les populations puissent voir ce type de changements.
On se souvient que le quartier général de la force du G5 Sahel a été visé par une attaque en juin dernier à Sévaré. Symboliquement, c’est très fort. Cette attaque a été revendiquée par les jihadistes. Est-ce que vous avez des informations sur la présence de jihadistes au-delà même de cette zone, plus au sud, c’est-à-dire plus vers la capitale ?
Nous constatons effectivement, sans doute, une perméabilité. Mais pour répondre précisément à votre question, je n’ai pas d’informations absolument spécifiques. Je crois que c’est une situation qu’il faut effectivement suivre avec beaucoup d’attention. Ce qui est clair, c’est que le type d’attentat que nous avons eu à Sévaré cela veut dire effectivement qu’il faut être très, très vigilant.
Est-ce que la Minusma, les autorités maliennes ou la force du G5 Sahel ont prévu de mener des actions pour limiter les recrutements par les groupes jihadistes ?
C’est aussi une question qui a été beaucoup discutée au cours de cette visite. Le président de la République comme le Premier ministre ont beaucoup insisté sur l’importance de s’adresser à la jeunesse, de lui fournir des alternatives. Le sécuritaire est une dimension importante, mais évidemment cela ne peut pas être l’unique réponse. D’abord, la réponse est politique. Elle procède de la mise en œuvre de la volonté politique que toutes les parties expriment et elle doit ensuite se traduire par toute une série d’actions. Le sécuritaire, mais aussi l’action en matière de déradicalisation, de fourniture de services à la population, d’Etat de droit, de projets de développement. Toutes ces actions sont absolument complémentaires et indispensables.
RFI