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Ibrahim Boubacar Keita : « Nous n’avons comme Projet que le Mali »

A l’occasion de l’An I de son second quinquennat, le président de la République a accordé une interview à l’ORTM au cours duquel il a abordé de nombreux sujets. Dialogue politique inclusif, intrants agricoles, sécurité dans la région de Mopti, hélicoptères cloués au sol…, aucune question d’actualité n’a été occultée. Entretien

 

Trois cent soixante-cinq jours après le début de votre second mandat, toujours la même envie, toujours la même passion pour le Mali ?

Ibrahim Boubacar Keita : Evidemment, sinon je n’en serais pas. Je crois que je ne vais jamais me lasser de servir ce pays qui m’a tout donné. La moindre des choses, c’est de le servir au mieux de nos forces. C’est à cela que je me dédie quotidiennement avec passion parce que je le sens ce pays. Il est en moi. Je crois que ce pays le mérite également. Surtout quand on voit tout l’intérêt que lui porte nos amis à travers le monde. C’est donc avec passion que je suis encore au service de ce beau pays.

 

Cinquante-deux semaines auront été riches en événements. Il y a d’abord eu la signature de l’Accord politique de gouvernance le 2 mai 2019. Est-ce qu’on peut dire qu’il s’agit là de la matérialisation de votre politique de la main tendue ?

Ibrahim Boubacar Keita : C’est l’un des aspects. Certainement pas le moindre. C’est un accord politique qui a permis à certains de nos frères de l’opposition, et non des moindres, de saisir notre main tendue. Depuis, ces frères sont au service au Mali de manière absolument déterminée et loyale. C’est ce que le Mali attend de chacun de nous. Que nous le servions avec loyauté à lui Mali, avec détermination et compétence. Et c’est ce que nous voyons aujourd’hui. Je m’en félicite. J’espère que dans les temps à venir, d’autres frères qui sont dans le doute par rapport à nos intentions et qui, dans la confiance en nous, n’auront pas encore été confortés, auront l’occasion de se faire une opinion, une religion. Et surtout de comprendre que nous n’avons comme projet que le Mali, le Mali, le Mali. Je crois ce serait dans l’intérêt et surtout au bénéfice du Mali. Inch Allah !

 

L’un des grands chantiers de votre quinquennat, c’est le dialogue politique inclusif. Le Triumvirat a été installé. Le comité national d’organisation aussi. S’agit-il d’une conférence nationale bis ?

Ibrahim Boubacar Keita : Non ! Rien n’interpelle une conférence nationale souveraine comme certains se plaisent encore à le penser. Je crois qu’il faut mettre tout cela en ordre. Et chacun aura fait le constat de la nécessité aujourd’hui d’un dialogue en profondeur entre les Maliens sur toutes les thématiques qui s’offrent à nous dans le domaine politique, dans le domaine économique, dans le domaine social. Et surtout dans le domaine du vivre ensemble, les questions de paix et de sécurité. Voilà des sujets assez importants et assez préoccupants qui suffiraient à nourrir un échange entre Maliens. Donc c’est un dialogue national inclusif entre Maliens. Si nous arrivons à le conduire sur ce terrain là, nous aurons servi le pays avec beaucoup de foi. C’est ce qui est attendu de nous. Il ne s’agit pas d’une conférence nationale souveraine.

 

Votre souhait, c’est que tout le monde puisse participer à ce dialogue politique inclusif ?

Ibrahim Boubacar Keita : Tout le monde. Sans exclusive aucune. Je salue vraiment le dévouement à la tâche, l’engagement total et patriotique du Triumvirat. Ces trois personnalités : Baba Akhib Haïdara, Ousmane Issoufi, Aminata Dramane Traoré, ne sont plus à présenter aux Maliens. Depuis qu’ils ont été désignés par nous, chacun les voit allant et venant, recevant de jour comme de nuit, les uns et les autres, sans aucune exclusive. Et c’est cela que j’attends d’eux, qu’ils préparent un dialogue le plus inclusif possible. Et l’ambassadeur Diarra également que nous avons décidé d’appeler pour qu’il s’occupe de l’organisation sous l’égide du Triumvirat. Je crois que cela est en bon ordre.

 

Vous l’avez dit, les ateliers thématiques ont commencé ce mardi. Alors faut-il s’attendre à un processus long ou un processus qui va s’inscrire dans le court terme ?

Ibrahim Boubacar Keita : Je crois que le congrès de Vienne a vécu. Il ne faut pas qu’on en arrive à nous dire que la salle de bal est fermée. Nous sommes au chevet d’un pays qui est malade qui a besoin de soins urgents, de décisions fortes. Je crois qu’il faudrait que l’on se hâte lentement. Ce sera le cas pour que lorsque nous serons aux Nations unies que nous ayons des choses fortes à dire au nom du Mali.

 

Après le dialogue politique inclusif, faut-il s’attendre à une nouvelle équipe ?

Ibrahim Boubacar Keita : Vous allez vite (rires). L’équipe vient à peine d’être mise en place. Dans tous les cas, nous n’avons pas de tabou à ce niveau. L’évolution politique au plan interne déterminera la suite des événements. Tout sera déterminé en le temps où il faudra et sous les formes qu’il conviendra de mettre en oeuvre.

 

Dans le cadre de la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation, la question de Kidal semble véritablement poser problème. Au mois de mai dernier, vous en avez parlé au cours d’une interview. Votre homologue du Niger pense que Kidal constitue une menace pour son pays. Et la Minusma décrie souvent la versatilité des certains acteurs. Et pour l’opinion nationale, Kidal ressemble plus à une enclave, un Etat dans un Etat. Qu’est-ce que vous en pensez ?

Ibrahim Boubacar Keita : Kidal ne saurait être un Etat dans un Etat. Mais il y a problème de Kidal. Ce n’est pas moi qui le nierait. Il reste que l’accord nous a engagé dans un processus évolutif par rapport à Kidal. Je note avec satisfaction cette incorporation des jeunes gens et le retour également de certains qui étaient partis de l’Armée. Tout cela est de bonne augure. L’Armée reconstituée sera vraiment l’Armée nationale du Mali. Cela va beaucoup jouer sur la stabilisation du pays, singulièrement de la Région de Kidal. De Kidal, nous allons encore dans les deux jours qui viennent avec notre frère Mahamadou Issoufou du Niger qui sera en visite de travail au Mali.

 

Vous avez placé votre second mandat sous le signe de la jeunesse. Que comptez-vous faire pour cette jeunesse entreprenante mais de plus en plus frondeuse ?

Ibrahim Boubacar Keita : Je suis très heureux de cette question. Mon second mandat sous le signe de la jeunesse, ce n’est pas de la démagogie ou la promotion de deux ou trois jeunes. Ce n’est pas cela. J’ai le souci du plein emploi pour la jeunesse. J’en ai encore parlé il y a deux jours avec le président turc Erdogan qui est prêt à me donner un grand coup de main à ce niveau là. Il s’agit de créer des opportunités pour les jeunes du Mali, dans tous les domaines. Je souhaite que l’on ait des centres d’apprentissage en plus grand nombre pour la qualification de nos jeunes. Ce qui compte, c’est qu’au bout de l’exercice, combien de jeunes auront un emploi stable.

 

Il y a comme un nouvel état d’esprit de la jeunesse qui réclame une sorte de rédevabilité de la part du pouvoir public. Cela amène avoir une bonne politique de communication de la part du gouvernement.

Ibrahim Boubacar Keita : Elle a raison. Une jeunesse amorphe ne nous rassurerait pas du tout. Que notre jeunesse montre qu’elle est active, qu’elle sait demander quand il faut, qu’elle sait demander des comptes, pourquoi pas ! Cette histoire de « Sirako » ne m’a pas du tout inquiété. Je trouve que c’est très sain. L’agenda du chef du gouvernement a été rondement mené. Quand il a dialogué la compréhension est venue. C’est ça la démocratie. Nous travaillons pour cette jeunesse là. On ne peut pas la craindre. Je ne suis pas un novice en politique. J’ai été un jeune militant moi aussi.

 

Mais est-ce qu’il n’y a pas un risque de contagion. On voit les jeunes de Gao et de Tombouctou qui veulent réclamer la même chose.

Ibrahim Boubacar Keita : Il y a eu une manipulation à ce niveau là. On a prêté au chef du gouvernement des propos qu’il n’a jamais tenus. Le ministre de l’Agriculture se trouvant là-bas a vite rétabli les choses. Il ne saurait être question d’un Mali à deux ou trois vitesses.

 

Sur le front social, une accalmie règne. Que comptez-vous faire aujourd’hui pour maintenir cette dynamique ?

Ibrahim Boubacar Keita : Déjà, nous allons maintenir la dynamique du dialogue. Et ensuite, un comité va suivre tous ces accords pour que l’Etat ne soit plus surpris en manque d’esprit d’engagement. Dès lors qu’on prend un engagement, on doit le respecter. Le dialogue consistera à dire la réalité des choses.

 

Qu’est-ce qui n’avait pas marché et qui avait amené les poussées de fièvre ?

Ibrahim Boubacar Keita : La communication. Je dois dire que s’il y a un domaine où nous avons pêché, c’est sans ambages la communication. Nous avons été de piètres communicateurs. Fort heureusement, de bonnes volontés sont toujours à l’œuvre. Je pense à l’initiative des leaders religieux comme Chérif Ousmane Madani Haïdara, Mahmoud Dicko, le cardinal Jean Zerbo qui sont allés en mission en Europe pour expliquer que nous ne sommes pas en train d’exterminer un peuple. Il y avait une mauvaise information à ce niveau.

 

Au plan sécuritaire, la Région de Mopti a subi de nombreuses attaques meurtrières. Vous vous êtes rendu sur le terrain à deux reprises ; le Premier ministre y est allé à deux reprises. Vous avez également nommé l’ancien président Dioncounda Traoré. Aujourd’hui, quelle est votre stratégie pour pacifier la Région de Mopti ?

Ibrahim Boubacar Keita : Je pense que beaucoup a été fait. Soumeylou Boubeye Maïga, en son temps, s’est beaucoup dépensé. Le nouveau Premier ministre a pris le relai avec beaucoup de courage, beaucoup de conviction. Il a approfondi ce qui avait été entrepris. Ce nouveau maillage territorial est heureux. Nous avons constaté que des représentants de l’Etat n’avaient aucun moyen logistique. Nous avons corrigé cela. Le ministre de la Défense Dembélé a lui aussi donné un coup de fouet au niveau de la troupe. Le ministre de la Sécurité aussi est au plus de près de ses troupes. Beaucoup de choses sont dans l’évolution positive. La nomination de Dioncounda n’obéit pas à un réflexe politicien. On sait l’homme, sa disponibilité, sa capacité d’écoute. Toutes les bonnes volontés sont les bienvenues.

 

Vous avez la politique des petits pas pour maximiser les résultats ?

Ibrahim Boubacar Keita : Absolument. Les grands coups d’éclat ne nous intéressent pas. Nous sommes dans l’intelligence dans la gestion des hommes. Je pense que ces régions connaissent un apaisement profond. Les acteurs locaux ont pris des engagements devant le chef du gouvernement pour la paix des cœurs. Depuis l’époque de la Dina de Sékou Amadou, on a imaginé les règles de voisinage entre les agriculteurs et les éleveurs. La gestion des bourgoutières a été imaginée depuis cette époque.

 

On parle beaucoup de la montée en puissance de nos forces armées. Mais ces derniers temps, l’actualité a été beaucoup marquée par cette histoire d’hélicoptères cloués au sol et de Super Tucano qui n’auraient pas des appareils de combat. Que pensez-vous de cette situation ? Y aura-t-il des sanctions ?

Ibrahim Boubacar Keita : Vous savez, les questions militaires n’aiment pas beaucoup de bruits. C’est moi qui ai parlé d’hélicoptère cloué au sol. C’est un hélicoptère qui a posé problème dès l’abord. Et les conséquences seront tirées. C’est clair. Cela dit, soyons dans la mesure. Pour ces questions de gestion, de gabegie, je suis à l’aise. Que l’on soit un peu plus modéré dans les propos, que l’on soit plus responsable. La gestion de l’Etat ce n’est pas n’importe quoi. Quand on y aspire, on doit faire attention. L’Armée malienne sait ce qui a été fait pour sa requalification. Que ce soit en termes de conditions des hommes, d’équipements, chacun sait à tous les niveaux. Il y a quelques jours, nous avons reçu un nouvel hélicoptère de combat qui est à l’essai. J’ai dit que mon souci premier est de faire en sorte que l’Armée ait les moyens de sa mission. C’est dans ce cadre que nous avons adopté une Loi d’orientation et de programmation militaire. Tout sera passé au peigne fin.

 

Vous consacrez 15% du budget à l’agriculture. Mais il y a des difficultés au niveau des intrants agricoles. Est-ce la faute l’Etat ou alors à des aigrefins ?

Ibrahim Boubacar Keita : Il y en a qui ont le chic de toujours profiter des situations de manière pas honnête. Ils en seront pour leurs frais parce que rien ne passera. Nous avons choisi de hisser à 15% la part dévolue à l’agriculture parce que ce pays est à vocation agricole. Nous devons prendre soin du fleuve Niger. Je salue les mesures prises par le gouvernement à cet effet. L’agriculture doit être reconnue comme le moteur de l’économie malienne. Le monde rural a répondu à nos efforts. La sécurité alimentaire du Mali est assurée avec plus de 10 millions de tonnes de céréales. Il y a le coton sur lequel nous n’avons pas encore de capacités de transformation. Dans le domaine agricole, il y a encore des gains de productivité et des plus-values à assurer. Il y a également une belle diversification de la production que je salue.

 

Est-ce qu’au niveau des intrants agricoles, il n’y a pas trop d’intervenants ?

Ibrahim Boubacar Keita : Encore une très bonne question. C’est là que les fameux aigrefins interviennent. On capte les marchés dont on n’a pas la compétence ni la logistique nécessaires. On fait passer à quelqu’un d’autre. Ce sont des pratiques qui sont en train d’être mises au ban. On va continuer à assainir ce secteur. Il y a des produits subventionnés qui passent les frontières. Je suis au courant de ce qui se passe dans le Mali profond.

 

Vous avez parlé de la transformation. Certaines statistiques disent que la transformation de 10 à 12% du coton va générer des milliards à l’économie nationale.

Ibrahim Boubacar Keita : C’est clair. Quand j’ai parlé de plus-value, il s’agit de cela mais aussi en termes d’emplois. On va créer des usines textiles au Mali. Si nous arrivons à avoir quelques quatre à cinq usines, cela va beaucoup aider dans la rentabilité de ce secteur. Le coton ne doit pas être un produit purement d’exportation. Cela doit changer.

 

Ces douze derniers mois, on peut dire que les domaines de la culture et du sport vous ont procuré beaucoup de joie.

Ibrahim Boubacar Keita : Rires ! Vous avez su garder la cerise sur le gâteau. Quel bonheur ce 29 août ! J’étais au Japon, je n’étais pas peu fier au palais impérial quand j’ai appris l’élection de mon jeune frère Hamane Niang à la tête de la Fiba-Monde. Je crois que c’est la première élection d’un Malien à ce niveau des instances mondiales du sport. Le monde du football s’est retrouvé. Je félicite mon jeune frère et ancien collaborateur Mamoutou Touré dit Bavieux dont je connais les qualités. Je salue également Salaha Baby pour son fair play. J’ai beaucoup apprécié. Les jeunes maliens sont talentueux mais ils ont besoin d’un socle. Cette élection du bureau fédéral m’a fait beaucoup plaisir.

 

Vous êtes le champion de l’Union Africaine pour la culture…

Ibrahim Boubacar Keita : Non, je n’aime pas trop, ce titre de champion. Mais mes pairs m’ont dit qu’il y a des champions dans les autres domaines… Kagamé a fait la proposition. Il a expliqué que le Mali s’impose dans le domaine de la culture. Et que je suis bien placé pour porter ce projet de l’Union Africaine. Je dois me rendre à Luanda le 18 septembre prochain pour un forum que nous allons ouvrir avec l’Unesco. C’est pas normal que le pays du champion de la culture n’ait pas un seul lieu dédié à l’art, à la culture. Il y a des projets en cours.

Icimali

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