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Hommage à feu Soumaïla Cissé

Conseiller économique de Soumaïla Cissé lorsqu’il était Secretaire général de la Présidence de la République sous Alpha Oumar Konaré, Hamza Ahmadou Cissé le suivra comme chef de cabinet lorsqu’il sera nommé Ministre des Finances. Plus tard, c’est Soumaïla Cissé qui retrouvera son cadet Hamza à l’UEMOA où il servait depuis sept ans et fera de lui son Directeur de Cabinet à la présidence de la commission de cette organisation sous-régionale. Ils y travailleront ensemble de 2003 à 2011, date à laquelle leurs routes se séparent. C’est dire combien fut longue leur proximité qui va au-delà des années de collaboration puisqu’elle remonte à 1969 à Gao. L’on comprend que Hamza Ahmadou Cissé ait donc ressenti le besoin de rendre hommage à celui qui fut son aîné et son Chef un demi-siècle d’affilée. Le protocole ne l’ayant pas permis lors des obsèques de l’illustre disparu, il a choisi L’Indépendant pour publier le texte qu’il avait préparé.

Mesdames, Messieurs,

J’ai le lourd honneur de parler d’un homme de valeur, à vous : sa famille, ses amis et collègues.

Ma proximité avec l’homme m’y autorise amplement.

Terrible situation, alors que tout le monde était content de sa libération, après sa capture sans nouvelle, et voilà que ce sort inattendu nous surprend tous. J’en suis fort ému ! Vous comprendrez pourquoi.

Soumaïla était un grand frère attentionné, un ami et un collaborateur. L’intensité et la longueur de mon propre cheminement avec lui m’autorisent, voire me poussent à faire ce témoignage. Nous avons entretenu une forte relation depuis des décennies.

J’ai rencontré Soumaïla pour la première fois en 1969 à Gao où il avait choisi de passer des vacances. Il était étudiant à l’Université de Dakar et, moi, je venais de terminer mes études fondamentales. Ami de mon grand frère, Sadou Oumar Ba, lui-même étudiant à Dakar, il venait à la maison. En réalité, nos parents se connaissaient, car étant tous Instituteurs des  » Ecoles Nomades  » durant la période coloniale.

Après, je me suis retrouvé au Lycée Askia, dans la même classe que son petit frère, Hammadoun Bocar Cissé dit Samba, en série Sciences Exactes. Il faut signaler que Samba était le responsable de notre classe et, à ce titre, délégué dans le Bureau des élèves du Lycée. C’est donc depuis le début des années 70 que j’ai commencé à fréquenter la famille Cissé, à l’époque à N’Tomikorobougou.

Quelques années plus tard, alors que j’étais déjà étudiant à Paris, je retrouve Soumaïla en France. Après Grenoble et Montpellier, il était effectivement remonté à Paris et depuis on ne s’est plus quitté. C’est vers la fin des années 70, plus précisément sur le campus de l’Université de Nanterre qu’il me présenta une jeune étudiante du nom de Astan Traoré, qui deviendra plus tard sa femme. Je prenais conseil auprès de lui pour tout ce qui concernait mes études et il prenait progressivement la place de grand frère.

Au moment où il rentrait au Mali, début des années 80, j’étais assistant à l’institut International d’Administration Publique de Paris (IIAP-Paris) et plus tard Chargé d’études à la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris (CCIP), et à chaque fois qu’il venait en mission à Paris on continuait à se voir.

Après que je sois rentré, moi aussi, au Mali, vers la fin des années 80, nos chemins se sont à nouveau croisés. Je voudrais rappeler quelques souvenirs de notre long cheminement ensemble au cours duquel il fut trois fois mon patron.

Première fois : Au Secrétariat Général de la Présidence : Après sa nomination au poste de Secrétaire Général de la Présidence, Soumaïla, avec l’aval du Président Alpha, m’a fait confiance en me nommant au poste de Conseiller Economique. Il me confia, en accord avec le Président Alpha Oumar Konaré et le Ministre de l’Economie et des Finances, Mahamar Oumar Maiga, le dossier le plus sensible du moment : la préparation de la dévaluation du Fcfa au Mali. Nous nous sommes appuyés sur une équipe de jeunes économistes les plus en vue à l’époque. Cette équipe comprenait notamment : Idrissa Traoré, Aboubacar Touré, Bacari Koné, Oumar Tatam Ly, Mme Bouaré Fily Cissoko, Mme Sangaré Niamanto Ba.

Au cours de mes comptes rendus quotidiens de l’évolution du dossier, Soumaïla insistait sur la mise en évidence des conséquences sur les couches les plus défavorisées. Il était préoccupé par cette question et demandait de réfléchir comment y faire face. C’est ainsi qu’est née la notion de filets sociaux dont on devrait trouver les ressources pour prise en charge, et cela dénote de son souci constant de l’amélioration des conditions de vie des couches sociales défavorisées.

Deuxième fois : Au Ministère des Finances : La nomination de Soumaïla à ce Ministère est intervenue dans le contexte de la dévaluation du Franc Cfa. Ayant supervisé les travaux, c’est tout naturellement qu’il replaça à nouveau sa confiance en moi pour diriger son Cabinet ministériel. La réussite de l’opération a fait que Soumaila est resté 7 ans à ce poste. De son passage au Ministère des Finances, je retiendrai un homme de rigueur, soucieux des deniers publics, du respect des textes et des lois de la République. Je me souviens de sa proposition de nomination d’Abdoulaye Daffé au poste de Directeur Général de la BDM par le Conseil d’ Administration. Il avait tout le monde contre lui mais il a été coriace et a tenu bon face au syndicat, au parti majoritaire et à la direction marocaine sortante. Pour lui, le respect des textes s’imposait. Grâce à Soumaïla et au bon choix du Conseil d’Administration qui a entériné son choix, Daffé a fait plus de 20 ans à ce poste et il a porté haut le flambeau pour la BDM SA.

Troisième fois : A la Commission de l’UEMOA : 7 ans après mon arrivée,  Soumaïla m’a rejoint à l’UEMOA en 2003. La vraie histoire de sa nomination est qu’elle a été suggérée par le Commissaire sortant du Mali, le Premier Ministre Younoussi Touré. Dès sa prise de fonction de Président de la Commission de l’UEMOA, il m’a rappelé pour me nommer au poste de Directeur de Cabinet. Je me suis senti honoré du renouvellement de sa confiance en ma personne, après le passage au Secrétariat de la Présidence et au Ministère des Finances du Mali. Je suis resté à ce poste jusqu’en 2011, date de ma nomination comme Représentant résident de l’UEMOA auprès de l’Union Européenne et des ACP à Bruxelles.

Si je devais résumer le passage de Soumaïla à l’UEMOA, je dirais qu’il a révélé tout le potentiel de l’homme. Il fut un vrai leader, capable de rassembler les gens de toutes les sensibilités et de toutes nationalités. Il savait être à l’écoute des autres et arrivait toujours à faire bouger les lignes. Il savait prendre des décisions idoines. Au Conseil des Ministres de l’UEMOA, sa voix comptait. Dans les négociations sur les accords de partenariat économiques (APE)-Afrique de l’Ouest et Union Européenne, il était coriace et indépendant. Les Européens admiraient sa capacité d’analyse et sa franchise à toute épreuve. Il savait négocier avec ses partenaires européens ou étrangers sans complexe aucune. Il croyait fermement à l’intégration sous-régionale comme levier de développement de nos pays.

Mesdames, Messieurs,

Soumaïla savait anticiper et avait une vision pour l’UEMOA. Ainsi, avant la fin de son mandat, il avait engagé la Commission, en 2010, dans un processus de réflexions visant à organiser le futur de l’UEMOA face aux nouveaux défis majeurs. Pour cela, il a réuni un panel de Haut Niveau constitué par d’éminentes personnalités dont la riche expérience, l’indépendance, la stature, l’expertise et la vision dans le domaine du développement et de l’intégration économique sont avérées. Il est sorti de ces réflexions un rapport intitulé  » L’UEMOA en 2020 « . Il faut signaler que dans un des scénarios identifiés, le Panel mettait en garde les Etats membres sur la possibilité de la dissolution de l’autorité publique car diverses bandes armées contrôlaient des portions de plus en plus importantes des territoires de l’Union. Certaines se réclamaient de fondamentalismes religieux, d’autres de solidarités ethniques, d’autres encore avaient un comportement mafieux.

Malheureusement ce scénario s’est révélé vrai dans le Sahel, notamment au Mali et a créé même les conditions de capture de Soumaïla, le 25 mars 2020, lors des dernières élections législatives : conséquences de sa vision de l’espace UEMOA corroboré par le Rapport « L’UEMOA en 2020 « . Cette prise d’otage va tenir le peuple malien en haleine pendant six longs mois. Après que nous ayons tous exprimé la joie de le voir libéréle 9 octobre de sa longue détention, voilà que Soumaïla s’en est allé ce 25 décembre 2020. Quelle perte immense? C’est, le Mali qui a perdu une de ses éminentes personnalités, Astan, le compagnon d’une vie, ses enfants un père affectueux, ses frères et sœurs, un frère protecteur, pour ses amis et proches collaborateurs, un ami irremplaçable et pour moi-même, un grand frère attentionné.

Il ne nous reste qu’à le confier à Dieu en témoignant que l’homme que nous avons connu était simple, accessible et disponible. Son sourire permanent et son allure de jeune homme étaient impressionnants. A cela s’ajoute qu’il a engagé généreusement son expérience au profit de son pays, de la sous-région et du continent. Son engagement politique a été un sacerdoce.

Je voudrais, pour terminer, présenter mes condoléances les plus sincères à sa famille éplorée, à sa veuve Astan, à ses enfants que j’ai vu naitre et grandir, à ses sœurs et frère.

Que son âme repose en paix ! AMEN !

Bamako, le 1er janvier 2021 Hamza Ahmadou CISSE

Source: l’Indépendant

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