Un bras de fer est engagé entre le ministre de la Justice, Me Mohamed Aly Bathily et deux hauts magistrats de la République : le Procureur de la commune III du district de Bamako, qui est en même temps le Procureur du Pôle économique et financier chargé de mener la lutte contre la corruption et la délinquance financière, Mohamed Sidda Dicko et le Procureur général près la Cour d’Appel, Daniel Tessougué. Motif de la discorde : l’affaire Adama Sangaré.
Le Procureur Mohamed Sidda Dicko a décidé de classer le dossier eu égard à l’annulation par la section administrative de la Cour suprême des attributions de parcelles abusives qui avaient valu au maire du district d’être poursuivi et incarcéré. Le ministre Bathily n’est pas de cet avis. Il considère que les faits reprochés au maire de Bamako restent entiers. En conséquence, il a instruit l’ouverture d’une enquête complémentaire et » l’arrestation effective de M. Adama Sangaré pour les besoins de ladite enquête « .
En réaction de cela, le Procureur Dicko a estimé que le ministre a empiété sur ses plates bandes, » vidé ses fonctions légales de leur contenu », pour tout dire, violé le principe sacro-saint de l’indépendance du magistrat. Il a donc présenté sa démission au ministre. Laquelle démission a été catégoriquement rejetée par le Procureur général Tessougué, qui a affirmé dans une déclaration par voie de presse, non seulement que son collègue est dans son rôle dans cette affaire, mais qu’il est aussi l’un des meilleurs magistrats du pays.
Ce qui a provoqué l’ire du ministre de la Justice. Celui-ci a rencontré hier la presse pour donner sa version du contentieux et a tenu, à l’occasion, des mots très durs à l’endroit du Procureur Général, l’accusant d’être » un irresponsable et de manquer de bon sens « .
Le ministre de la Justice a tenu un point de presse hier jeudi à son Cabinet pour informer l’opinion publique sur le bras de fer qui l’oppose à ces deux magistrats. Mohamed Aly Bathily dit avoir eu, depuis plus d’un mois, un entretien avec le procureur anti- corruption autour de plusieurs dossiers, tous évoquant l’excès de pouvoir constaté par la section administrative de la Cour suprême au sujet du maire de Bamako, Adama Sangaré. Il avait pris, ajoute-t-il, une série de décisions attribuant des parcelles qui n’appartenaient pas au district à d’autres personnes.
Les personnes à qui appartiennent lesdites parcelles ont alors attaqué les décisions d’Adama Sangaré auprès de la section administrative de la Cour suprême qui les a annulés pour » excès de pouvoir « . Ce qui est, selon le ministre de la Justice, le rôle de la section administrative de la Cour suprême, qui ne peut aller au-delà de la constatation des faits.
Convaincu que l’action judiciaire enclenchée contre le maire ne doit pas être interrompue par l’annulation des actes qu’il a posés, le ministre a demandé au procureur anti-corruption de poursuivre l’enquête. A ce niveau de s’interroger : En quoi il y a eu excès de pouvoir de ma part ?
Dans une correspondance qu’il a adressée au procureur général près la Cour d’appel, Daniel Tessougué, le ministre de la Justice relève que : » selon les renseignements, de graves suspicions de faux et usage de faux pèseraient sur le sieur Adama Sangaré, maire du district dans l’attribution des terres dans sa circonscription se traduisant par l’extorsion de biens d’autrui, des attributions de parcelles sur les titres fonciers d’autrui. C’est pourquoi, je vous instruis de faire procéder par le procureur de la République près le tribunal de première instance de la commune III à l’ouverture d’une enquête sur ces faits pour en établir la vérité, en rassembler les preuves et procéder à l’arrestation d’Adama Sangaré pour les besoins de ladite enquête « .
Toujours selon Mohamed Aly Bathily, le procureur est revenu lui dire qu’il n’ y a pas lieu de poursuivre Adama Sangaré en se fondant sur le fait que la Cour suprême a déjà tranché l’affaire et que les parcelles objet de poursuite contre l’intéressé ont été restituées à leurs propriétaires légaux.
Puis dans une lettre de démission remise au ministre, il motive celle-ci par l’intrusion du Cabinet dans la gestion du dossier. « Malgré les professions de foi, maintes fois affirmées et répétées, je suis au regret de constater que mes fonctions légales sont vidées de leur contenu. Une enquête ouverte par le procureur de la République, à la demande de Monsieur le ministre de la justice, est dirigée par le cabinet du ministre et ce, en violation de toutes les dispositions légales. Le procureur se trouve ainsi assisté à son insu par des personnes non habilitées légalement « écrit le procureur de la CIII, précisant que l’affaire, objet du présent rapport, est traitée en fonction de paramètres extérieurs que l’enquête n’a pas établis.
Et d’ajouter : » Je crois savoir que dans l’exercice de sa fonction, le Magistrat, fusse-t-il le procureur, n’obéit qu’à la loi et à sa conscience. Cela est et reste toujours ma conviction. Je préfère perdre un poste que de perdre mon âme. Au regard des constats, l’honneur et les principes m’obligent à en tirer les conséquences de droit. C’est pourquoi je vous informe que je ne suis plus en mesure d’exercer moralement et légalement les fonctions que vous m’avez confiées. Je vous prie de bien vouloir reconsidérer votre position prise en accédant favorablement à ma requête, et ce dans l’intérêt de la justice « .
Réagissant à cette démission de son collègue dans un entretien accordé à un journal de la place, le procureur général près la Cour d’appel, Daniel Tessougué, l’a rejetée, précisant que « l’intéressé est l’un des meilleurs magistrats du pays et que, s’il démissionne, il faut désespérer de la justice malienne « .
Des propos qui ont mis le ministre hors de lui. A l’entendre, le procureur général près la Cour d’appel dont relève le procureur de la CIII n’a pas fait preuve de « responsabilité « . » Il ne m’a jamais approché par rapport à l’affaire de Mohamed Sidda Dicko et c’est à travers la presse qu’il se prononce sur le sujet « . Avant d’asséner » Daniel Tessougué est irresponsable et manque de bon sens « .
Abdoulaye DIARRA