Le Mali ne cesse de vivre des événements insolites et inadmissibles. La crise socio-politique que vit notre pays n’arrive pas à s’apaiser. Au contraire, elle s’élargit et se durcit à une autre échelle, celle de la magistrature. Après leur grève illimitée dans les Cours et Tribunaux l’année dernière, une autre lutte est imposée aux magistrats face au mépris et à la grave fuite en avant du pouvoir en place.
C’est au siège du Syndicat Autonome de la Magistrature, près de la cour d’Appel, que les deux syndicats de magistrats SYLIMA (Syndicat Libre de la Magistrature) et le SAM(Syndicat Autonome de la Magistrature) ont rencontré la presse afin de mieux édifier l’opinion nationale et internationale sur les vraies raisons de la grève qu’ils observent depuis Lundi à minuit.
Les magistrats qui ont porté le message étaient ce Mercredi matin Aliou Badara Nanacassé, Conseiller à la cour suprême et président du SAM, Hadi Macky Sall, président du SYLIMA, Abdourhamane Mohamed Maïga dit Abba, secrétaire à la communication du SAM, Mahamoudou Kassougué, 1er Substitut au Pôle économique au tribunal de la commune lll et secrétaire général du SAM et Bourama Konaté, substitut général près la Cour d’Appel de Bamako et secrétaire à l’information du SAM.
Devant les confrères, c’est le doyen Nanacassé qui a ouvert le point de presse a clarifié les motifs qui les ont conduits à prendre une telle mesure. Il a d’abord rappelé l’unité d’action et la détermination des deux syndicats visant à faire aboutir leurs revendications. Pour le conseiller à la cour suprême, l’absence ou la négation de la justice dans un pays suppose que l’Etat n’existe pas : « La constitution sert de bréviaire aux politiques et aux citoyens, tous ceux qui font semblant d’ignorer cette constitution peuvent être qualifiés de tout sauf de patriotes. Nous saluons la presse pour son combat pour la justice. Soyez rassurés que si votre radio est fermée sans raison valable, ils trouveront les juges devant eux. Si un journaliste est attaqué injustement, ils trouveront les juges devant eux. Donc faites votre travail avec courage et professionnalisme » a lancé Aliou Badara Nanacassé.
Ensuite, étaient venues les clarifications chronologiques et argumentées exposées par le procureur Mamoudou Kassougué. « Cette grève n’est venue ni sur un coup de tête ni par gaîté de cœur, encore moins par fantaisie, mais par nécessité » a précisé procureur Kassougué
Les raisons incontestables de cette cessation résident dans l’insécurité et dans la précarité dans lesquelles les gouvernements successifs ont entrainé les magistrats. Ce qui constitue une honte nationale pour toute la République. Ceux qui rendent les décisions les plus importantes, ceux qui veillent à la vraie stabilité sociale et qui jugent en dernier ressort sont ignorés et traités comme des moins que rien.
Le pouvoir en place n’a aucun honneur dans ces conditions, il n’arrive pas à garantir l’une des obligations fondamentales aux citoyens, c’est-à-dire, la Justice. Ces revendications remontent à 2014 puis en 2015 et avaient abouti à des négociations et à des engagements qui, jusque-là, sont au point mort. Pour les magistrats, c’est une mauvaise foi inqualifiable et invraisemblable des interlocuteurs. Le gouvernement n’a pas tenu parole et c’est la raison de la grève, ajoute le procureur Kassougué.
D’abord l’insécurité puis la relecture de leur statut, avec comme pilier, la grille salariale. Concernant la sécurisation des juridictions et du personnel judiciaire, les magistrats constatent déjà qu’un de leurs collègues, Soungalo Koné, président tribunal de première instance de Niono, avait fait l’objet d’un rapt à son domicile. A ce jour, aucune nouvelle, se plaignent les magistrats. Pour eux, ce qui est arrivé au juge Soungalo traduit l’incapacité de l’Etat à pouvoir et à devoir assurer sa sécurité. Il était un juge en mission de l’Etat d’où la désolation de voir des individus le prendre par la main et l’amener.
Pour le conférencier, les mesures de sécurité des magistrats sont considérées comme dérisoires aux yeux du gouvernement. Pis, le niveau de sécurité a baissé en dépit du cas d’enlèvement de Soungalo. Difficile pour eux de comprendre la réduction du dispositif alors que le 30 Juin 2018 était la date fixée par le gouvernement pour instaurer un certain déploiement au niveau des juridictions. Mais à ce jour, certifie le conférencier Mahamoudou Kassougué, rien n’est fait.
Un gouvernement qui aurait récemment mobilisé 30.000 hommes, rien que pour les élections, ne parvient pas à veiller sur des acteurs majeurs de la vie de l’Etat. C’est ahurissant pour ces hommes de droit à qui le gouvernement répond sèchement que les engagements pris par l’ancien ministre de la justice n’engagent pas le gouvernement.
Quant à la relecture du statut et de la grille salariale, des études ont été menées, des dialogues engagés et des compromis trouvés. Mais l’indice 3500 demandé par les juges était jugé trop par les négociateurs du gouvernement. L’Etat avait donc fait des efforts au niveau des indemnités de logements, de la judicature, avec des montants très dérisoires, estime Kassougué, secrétaire général du SAM. Le 31 Mai 2017, le dossier devrait être bouclé et déposé sur la table de l’assemblée nationale.
Pour mettre les magistrats à l’aise, suite à une expertise comparative régionale et internationale, l’indice Plancher était de 700 et l’indice plafond à 2500. C’était lors d’un atelier national, en présence des syndicats, les ministères de finances, de la justice, de la fonction publique, les partenaires techniques et financiers mais aussi la société civile.
Le dossier du statut, selon M. Kassougué, a été programmé par trois fois en conseil des ministres, mais à chaque fois, il est mis aux oubliettes. Finalement il est reprogrammé sans la nouvelle grille discutée. Ça n’a été adopté : « Comment dans une République, un ministre de la République prend des engagements au nom du gouvernement et que le gouvernement dise que ces engagements ne concernent que la seule personne du ministre. C’est ahurissant ! Où est passée la solidarité gouvernementale ?» s’interroge le secrétaire général du SAM.
Il est hors de question, s’indigne le Segal du SAM, de revenir sur le fond du droit car cela entrainera d’autres sorties. S’agissant des questions financières, le gouvernement refuse tout engagement. Mais sur les questions sécuritaires, le gouvernement était disposé à examiner des aspects. Ce qui a mis les feux aux poudres, c’est la rétention des salaires décidée par le gouvernement. Quel mépris ! Quelle insouciance ! Comment des hommes du troisième pouvoir se font malmener par un régime qui se dit soucieux du respect des droits et libertés ? Des menaces, des chantages et mêmes des abus, telle est la recette servie par le régime du chef suprême de la Magistrature Ibrahim Boubacar Kéita. Mais les magistrats dont le combat semble compris des citoyens sont décidés à se faire respecter et à faire prévaloir leurs intérêts matériels et moraux.
Abba Maïga a surtout insisté qu’en dehors de personnes au présidium, personne d’autre n’est habilité à parler au nom des deux syndicats. Il a souligné que des personnes sans aucune « légitimité » tentent de saboter leur démarche, mais que c’est peine perdue.
Figaro du Mali
Ammi Baba Cissé ABC
Source: Figaro Mali