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Grande interview : Dr Kadiatou Baby à bâton rompu : «Il faut que la citoyenneté soit l’ombre du Malien sinon on ne s’en sortira pas …»

Je suis Dr Kadiatou Baby Maïga, je suis la Directrice exécutive de l’association pour la promotion des filles déscolarisées, qui a en fait un statut d’ONG et qui existe au Mali depuis 1997.

Depuis combien de temps vous êtes engagées en faveur de la promotion des Droits des filles ?

Dr Kadiatou : Depuis  novembre 1999, j’ai été Coordinatrice d’une organisation sous-régionale au Mali qui s’appelle le Forum des Éducatrices Africaines. Bien avant ça, je travaillais dans le domaine de l’éducation en général, la recherche en éducation spécifiquement. Mais, à partir de 1999, ce réseau a voulu s’implanter ici au Mali et j’ai été recrutée comme Coordinatrice et depuis cette date je me suis occupée spécifiquement des questions d’éducation des filles dans le formel et le non formel. Donc, depuis 1999, je travaille dans le domaine. Mais, mon ONG existe depuis 1997, dans laquelle on s’occupe des filles déscolarisées en priorité, aussi des garçons en situation difficile. Mais me focaliser sur les questions d’éducation des filles c’est avec Le Forum des Éducatrices Africaines à partir de 1999.

De votre point de vue, quel a été l’évènement politique majeur de notre pays dans ces dix dernières années ?

Ce qui a été fondamental fait pour l’éducation, c’est d’abord la cellule de scolarisation des filles, qui est une structure que le Département a créé  spécifiquement pour la scolarisation des jeunes filles. Cette cellule était rattachée d’abord au Cabinet ministériel et qui avait vraiment une certaine autonomie. Après la cellule s’est transformée en division scolarisation des filles, ce qui est extrêmement important par ce que ça a maintenant une structuration au niveau du Département de l’éducation nationale. Avant cela, il y a eu la politique nationale de scolarisation des filles, et qui dit politique nationale, dit planification avec des plans stratégiques, une budgétisation, des actions ciblées et planifiées sur la question d’éducation.

Aujourd’hui, quelle est  la taille de votre organisation ?

Notre organisation APROFID est au niveau de Bamako, elle est aussi dans les Régions de Koulikoro, Ségou, Tombouctou et Kayes (précisément à Kita). Nous sommes dans ces cinq Régions par ce que nous avons eu des programmes au niveau de ces Régions. Nous avons initié le mois dernier l’antenne de Gao par ce que nous avons eu un partenariat et nous sommes en train de commencer des actions au niveau de cette Région. Mais notre stratégie c’est d’avancer sur le terrain sur la base des programmes. Raison pour laquelle nous ne sommes pas partout. Sinon  l’Accord-cadre qui nous lie au Gouvernement malien nous autorise à aller sur tout le territoire malien, mais nous avançons sur la base des programmes.

Comment est financée votre organisation et par qui ?

Notre organisation est d’abord financée par nous-mêmes à travers nos cotisations, nous avons des membres sympathisants qui contribuent, mais nous avons également des partenaires tels que le Ministère de l’Éducation nationale avec lequel nous avons un partenariat technique. Et moi-même, je suis membre du Centre national des ressources pour l’éducation non formelle, et membre du Conseil d’administration de ce centre-là. Donc, nous menons des activités avec le CNREF. Nous avons également un partenariat avec OXFAM, Plan INTERNATIONAL, Save the Children. Nous travaillons avec tous ces partenaires pas forcément en termes de financement, mais en termes d’échanges techniques. Mais notre organisation est concrètement financée par Save the CHILDREN, le Forum des Éducatrices Africaines. Et nous avons aussi des financements ponctuels, par exemple le Ministère de la Promotion de la Femme qui nous a financé un programme sur lequel nous sommes en train de travailler à Ségou. C’est pour dire que nous avons des financements qui s’étendent souvent sur  une période de 18 à 24 mois ou une année, mais il faut reconnaitre qu’ils sont assez constants.

Quelle était la position de votre organisation au moment du vote du code des personnes et de la famille et comment vous vous êtes impliquée ?

Vous savez, pour nous, ce n’était pas seulement le Code de la famille et des personnes, c’est pour tout le monde. Notre position en tant qu’organisation féminine et en tant que membre de la société civile, c’était pour qu’il y ait des avancées. Par exemple, au niveau de ce Code, nous avions voulu que l’âge du mariage de la fille soit relevé à 18 ans. Encore nous avions voulu que le statut de Chef de famille des femmes soit revu, par ce que les femmes ont quand même des responsabilités au niveau de leurs familles. Malheureusement, ce Code n’a pas été approuvé, nous avons eu une grande résistance de la part des Religieux. Et ça se comprend, il y a l’évolution moderne qui va en contradictoire avec les lois religieuses, sauf qu’au Mali on est dans un pays laïc. Mais, la lutte continue, c’est des négociations ; car, on peut vouloir quelque chose, mais ça n’avance pas comme on veut, on recule et puis on revient.

Quel a été l’argumentaire développé par ceux-là, notamment les Religieux  qui étaient contre cette loi ?

Tout ce que je sais c’est que le principe pour eux, 16 ans est déjà suffisant pour une fille. Selon eux, dans la loi religieuse quand une fille   est majeure, elle est apte à se marier. À cela s’ajoute quand une fille ne se marie pas tôt, c’est également la porte ouverte à beaucoup de dérapages.

Quels sont les acteurs internationaux qui ont partagé votre avis et qui se sont engagés à vos côtés et comment ?

Je crois que toutes les organisations de la société civile étaient ensemble un moment pour voter ce Code. Mais ce que j’aimerais vous dire également c’est que les organisations internationales peuvent faire du lobbying auprès des organisations nationales. Mais c’est, quand même, le Code  la femme et des personnes du Mali. Donc, je ne suis pas sûre que le rôle de ces organisations internationales fût d’être au-devant de la question. C’est surtout les organisations nationales qui devaient porter et qui ont d’ailleurs porté la question.

Selon vous, est-ce que la liberté d’expression au niveau de la presse existe ?

Quand je vois tout ce qui se passe et tout ce qu’on se permet d’écrire sur les Dirigeants dans les réseaux sociaux, je pense bien que la liberté d’expression existe. Il y a combien de radios privées, est-ce qu’on les empêche de dire ce qu’elles veulent, même si des histoires se créent au niveau de certaines questions. Au regard de tout ça, je dirais que les gens ont le droit de s’exprimer.

Aujourd’hui est-ce qu’on peut dire que l’Assemblée Nationale et la Justice sont indépendantes?

Je pense que ce sont des institutions qui sont bien structurées. Par ce que le parlement vote les lois et vous voyez que l’Assemblée Nationale passe tout son temps à interpeller les Ministres ; donc, moi, je pense qu’elles ont cette liberté de s’exprimer.

Est-ce que l’armée malienne est républicaine ?

Mais une armée n’est jamais laissée à elle-même, on dit que le Chef de l’État est le Chef suprême des armées. Une armée républicaine est une armée cordonnée par l’État, sinon ça sera de la pagaille et, heureusement, pour nous, il y a quelques jours de cela, je discutais avec un Officier qui me disait que lui son père était dans l’armée et lui-même est aujourd’hui Officier Supérieur. Et que l’armée a beaucoup évolué ces  dernières années. Je pense que visiblement les choses progressent. Surtout, n’oublions pas que le Mali revient de très loin. En 2012, on a passé une étape très difficile de notre histoire. Et je pense qu’aujourd’hui nous sommes en train de nous relever.

Aujourd’hui quelle est la valeur que le citoyen malien accorde à la Démocratie ?

Moi je dirais que le citoyen malien a un peu trop compris la Démocratie, par ce que cet état de droit à la limite fait que nous ne respectons pas certaines choses. Je suis républicaine et je suis respectueuse des lois et je sais que dans la plus grande démocratie il y a des limites. Chez nous, nous sommes en construction, nous avons une opposition bien structurée et qui a un siège pris en charge par le Gouvernement. Et qui peut s’exprimer comme elle le veut, je pense que c’est de la démocratie aussi. Le problème est que nous nous comparons à des démocraties qui ont duré pendant des siècles, qui ont passé par tout ce que nous sommes en train de vivre. C’est facile de juger les autres, mais n’oublions pas aussi le passé, par ce qu’eux aussi ont dû dépasser beaucoup de difficultés. Aujourd’hui, je pense que nous avons pris le train en marche, nous avons capitalisé beaucoup de choses et nous sommes en train d’aller aux pas. Moi je pense que nous ne devons pas nous faire l’auto flagellation comme on le dit. Mais reconnaissons ce que nous avons comme acquis. Certes, il reste beaucoup à faire, mais ne crachons pas sur ce que nous avons eu aussi.

Concernant, le droit de la femme au Mali, comment est perçu le rôle de la femme au sein de la société malienne, selon vous ?

Je pense que la société malienne traditionnelle fait de la femme le socle de la famille, même si elle ne lui donne pas le droit qu’il faut. Tout le monde dit que la famille appartient à la femme. Donc, on met tout sur le dos de la femme, tout ce qu’on considère comme charge, mais quand il s’agit de droit, on sort les hommes du chapeau et qui deviennent les chefs de familles dans tous ceux qu’on veut. C’est-à-dire les devoirs sont pour les femmes et les  droits sont pour les hommes. C’est comme ça que je vois la société traditionnelle. Moi j’appelle droit la possibilité équitable  et la capacité aux hommes  et aux femmes de faire des choses. Mais aujourd’hui cette tendance est en train de changer grâce à l’éducation, aux politiques de promotion et aux changements de mentalités. En un mot, je pense que les choses bougent petit à petit.

Quelle appréciation faites-vous du contexte de l’homosexualité dans notre pays ?

Je ne m’intéresse pas beaucoup à cette question, mais je me dis que ça fait partie de l’évolution. Ce sont des choses qui ont toujours existé, sauf que maintenant à cause de la démocratie, de l’État de droit, les gens ne se cachent plus. Sinon je suis sûre que depuis la nuit des temps ces pratiques existent. Ce n’est pas aujourd’hui seulement qu’on entend parler de ces choses-là. Aujourd’hui, il y a la liberté d’expression et l’État de droit, raison pour laquelle ces pratiques sortent du trou.

Quel souhait avez-vous pour le Mali ?

Mon souhait le plus ardent est que les Maliens comprennent qu’on est dans une situation extrêmement difficile et que personne ne va construire ce Mali pour nous sans nous.  Les  partenaires ont beau nous donné des milliards, nous devons nous unir et compter sur nous-mêmes d’abord. Il faut que la citoyenneté soit l’ombre du Malien sinon on ne s’en sortira pas. Seul le travail paie, il faut qu’on travaille et c’est par là qu’on va s’en sortir.

Propos recueillis par Mohamed Sangoulé DAGNOKO

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