Dans cette interview, Gaoussou Drabo, journaliste sportif, chroniqueur, ancien directeur général de l’Agence
malienne de Presse et de Publicité et ancien ministre de la Communication et des Nouvelles technologies revient sur la CAN 2002, l’élimination des Aigles en demi-finale, l’échec de la sélection nationale en 2004 et jette un regard sur le football africain. Les confidences d’un grand témoin de l’une des meilleures CAN de l’histoire de la CAF
L’Essor : Vous avez couvert la CAN 2002 pour le Quotidien national L’Essor et suivi presque tous les matches. Quels souvenirs avez-vous de cette compétition que notre pays a abritée et qui a été un grand succès ?
Gaoussou Drabo : Vous avez raison de qualifier cette CAN de «grand succès» et je crois que le Mali peut s’enorgueillir de deux choses : de l’approche originale qu’il a adoptée dans l’organisation du tournoi final et surtout de l’esprit qu’il a su insuffler au déroulement de la compétition. Vous vous rappelez que le président Alpha Oumar Konaré avait perçu l’accueil de la CAN 2002 comme une opportunité de lancer un projet de développement qui allait bien au-delà des infrastructures sportives et des commodités d’accueil des participants fixées par le cahier de charges de la Confédération africaine de football. Bamako et toutes les capitales régionales (même celles qui n’accueillaient pas de poules) ont donc vu leur visage considérablement amélioré. En outre ce qui a été remarquable pour les pays que nous avons accueillis, c’est l’atmosphère que les Maliens ont su créer autour de l’événement. Joueurs, officiels et supporters ont loué l’ambiance bon enfant qui prévalait sur tous les sites, la serviabilité et la chaleur spontanée des populations à leur égard. Ils ont aussi apprécié de constater que nous n’avons pas usurpé notre réputation de terre de football. Tous les matches, et pas seulement ceux des Aigles, attiraient la foule.
Dernier point de satisfaction, la conduite de notre public à l’égard de l’équipe nationale. Le tandem Henryk Kaspersczak-Cheick Diallo (le sélectionneur national et son adjoint, ndlr) avait travaillé sur le fil du rasoir dans un délai très court (deux mois) pour bâtir une sélection qui tienne la route. Les matches de préparation n’avaient pas été rassurants et les Aigles lors de la rencontre d’ouverture n’ont pris qu’un point devant le Libéria supposé être l’équipe la plus faible de la poule malgré la présence de Georges Weah dans ses rangs. à mon avis, cela a été le nul arraché au Nigeria qui a déclenché la vraie mobilisation des supporters. Ces derniers étaient tout heureux de voir le favori du groupe malmené par des Aigles décomplexés et volontaires.
Cet engouement populaire s’est maintenu dans des proportions incroyables jusqu’au match de classement du Mali à Mopti. Personnellement, je ne me souviens pas d’avoir vu le drapeau du Mali aussi présent. Certes au stade, mais partout ailleurs, même dans les endroits les plus inattendus comme par exemple les jardins maraîchers bordant la voie ferrée et où chaque parcelle arborait un drapeau attaché à une longue perche. Mes collègues étrangers, eux, étaient stupéfaits par la taille inhabituelle du public féminin, phénomène plus que rare en Afrique. Je crois que ce sont ces détails qui font de la CAN 2002 un moment privilégié
L’Essor : Le Mali a terminé quatrième de la CAN, après avoir été éliminé en demi-finale par le Cameroun, futur vainqueur du tournoi. Selon vous, les Aigles avaient-ils les moyens de remporter le trophée ? Qu’est-ce qui n’a pas marché en demi-finale contre les Lions Indomptables du Cameroun ?
Gaoussou Drabo : J’alignerais beaucoup de « si … » s’il me fallait prétendre de manière catégorique que les Aigles avaient les moyens de surmonter l’obstacle camerounais. Pour réussir l’exploit, il aurait fallu pour les nôtres prendre un risque énorme, celui de se porter résolument à l’attaque dès l’entame du match et déstabiliser ainsi l’adversaire. Car la seule faiblesse des Lions indomptables était le gabarit imposant de presque tous les joueurs. On pouvait en fait comparer l’équipe camerounaise à un diesel qui nécessitait un temps conséquent de chauffe, mais qui se montrait extrêmement difficile à contrer dès qu’il tournait à plein régime.
Il faut souligner que les Aigles avaient certes gagné en assurance et en sang-froid tactique après leurs matches contre l’Algérie (phase de poules, ndlr) et contre l’Afrique du sud (quart de finale, ndlr). Mais pas au point de dicter leur loi à un adversaire familier des matches à haut enjeu. Les nôtres pouvaient en potentialité pure se comparer aux Camerounais, mais ces derniers les supplantaient nettement en expérience de la compétition. La preuve, les deux premiers buts des Lions indomptables sont venus en toute fin de première période (Olembé à la 39è et à la 45è +1) au moment où le Mali avait accepté le faux rythme choisi par son adversaire. Ensuite, Marc Vivien Foé, qui n’était pourtant pas un modèle de vélocité, nous a transpercé sur un contre solitaire à la 84è minute alors que nous nous étions partis à l’abordage pour au moins sauver l’honneur.
à mon avis, il n’y a pas trop de regrets à nourrir. Si nous avions passé le Cameroun, nous serions tombés en finale sur le Sénégal qui avait sans doute la formation la plus talentueuse du tournoi, mais qui sera, elle aussi, piégée par notre vainqueur. L’obstacle sénégalais présentait presque autant de difficultés que celui incarné par les Lions indomptables.
L’Essor : Après la CAN, nombre d’observateurs avaient prédit des lendemains meilleurs pour la jeune génération des Aigles, mais celle-ci n’a pas confirmé. Qu’est-ce qui explique, selon vous, l’échec de cette génération ?
Gaoussou Drabo : Je crois que la génération dorée n’est pas celle de 2002, mais celle de 2004. Frédéric Kanouté et Momo Sissoko sont venus s’ajouter à Seydou Kéita et à Djila pour donner aux Aigles un fond créatif exceptionnel. Presque tous les analystes présents à Tunis désignaient le Mali comme probable vainqueur de la CAN. On sait ce qu’il advint (élimination en demi-finale par le Maroc, ndlr). Cette génération exceptionnelle avait encore l’occasion de se rattraper après la déconvenue tunisienne, mais elle ne réussit jamais ce à quoi elle semblait prédestinée, c’est-à-dire remporter une CAN et qualifier le Mali pour une Coupe du monde.
à mon avis, il y a sans doute deux principales raisons à cela. Tout d’abord, la valse des entraîneurs qui a mis hors-jeu de manière incompréhensible deux techniciens – Kasperczak, puis Henri Stambouli – qui ne demandaient qu’à continuer l’aventure avec la sélection et qui méritaient de consolider ce qu’ils avaient commencé à construire. Il n’y a donc pas eu de continuité dans la création d’un fond de jeu, encore moins d’un style. Sans vouloir citer de noms, disons que nous avons eu ensuite à subir des coaches sans vision et surtout sans caractère, incapables de mettre en place une animation offensive correspondant aux qualités de l’effectif dont ils disposaient. D’où la frustration éprouvée par les supporters devant les échecs injustifiables.
Ensuite (et ce second phénomène découle du premier), la perte d’unité au sein du groupe amenée par des rivalités d’ego et des luttes d’influence qui ont même pris en otage certains entraineurs. Il faut donc tirer leçon de tout cela pour que la présente sélection qui ne manque pas de talent se donne un destin.
L’Essor : Que pensez-vous du niveau actuel du football africain, comparé à celui de 2002 ? Qu’est-ce qui a changé pour le football continental ?
Gaoussou Drabo : Le football africain accumule les paradoxes. En termes de talents individuels, son potentiel n’a rien à envier à ceux de l’Europe et de l’Amérique latine. Cela lui est d’ailleurs reconnu puisque les grands clubs européens comptent de plus en plus dans leurs effectifs des joueurs venus du continent. On n’est plus à l’époque où Laurent Pokou devait jouer à Rennes, Abedi Pélé à Niort ou Roger Milla à Montpellier. Par contre, au niveau de la reconnaissance du football africain de sélections nationales, l’administration du ballon rond accumule les aberrations dont les premières sont le maintien de la périodicité de la Coupe d’Afrique des nations tous les deux ans (quitte à la décaler au milieu de l’année et à la placer dans les années impaires) et l’institution d’un tournoi final à 24 équipes contre 16 précédemment. Ces deux faits ignorent délibérément deux réalités.
Primo, le calendrier international aussi bien celui des nations que celui des grands clubs professionnels compliquent singulièrement la tenue d’une CAN tous les deux ans, périodicité qui amène une charge physique supplémentaire difficilement soutenable pour de nombreux joueurs professionnels. Ensuite, la CAN à 24 équipes dévalue le niveau du spectacle proposé en multipliant la présence des sélections à peine moyennes. Qui pourrait citer un match référence de la CAN 2019 si ce n’est l’exploit inattendu réalisé par les Bafana Bafana en ridiculisant et en éliminant les Pharaons en quarts de finale ?
La CAF qui s’est extraite de la gestion cahoteuse de Ahmad Ahmad doit mener une réflexion qu’elle a jusqu’ici esquivée. Sinon, on aura à subir un troisième paradoxe. L’Afrique qui demande régulièrement un nombre accru de qualifiés pour le tournoi final de la Coupe du monde a attendu vingt ans pour atteindre avec le Ghana en 2010 le stade des quarts de finale comme l’avait fait le Cameroun en 1990. Cet état de fait est révélateur du plafonnement des sélections nationales africaines handicapées par un calendrier absurde.
Interview réalisée par
Boubacar THIERO
Source : L’ESSOR