Le 18 juillet 2022, un communiqué officiel publié par la maison de la presse malienne, organisme national de régulation des médias appelait à « avantage de responsabilités dans la diffusion de l’information et à contribuer à l’apaisement en évitant les rumeurs, les invectives et les fake-news». Cette mise au point faisait suite à l’arrestation de 49 militaires ivoiriens à l’aéroport de Bamako et à toutes les interprétations qui ont fleuri dans les médias et surtout sur les réseaux sociaux à ce sujet.
En Afrique comme ailleurs, il se passe rarement une journée sur les réseaux sociaux sans une attaque contre un pays, une organisation ou une personne, ainsi désignés à la vindicte populaire. Des accusations qui, pour une bonne part d’entre elles, finissent par être reconnues, mais par les plus perspicaces seulement, comme dénuées de fondement. Elles circulent et sont parfois reprises, sans filtre, dans les éditoriaux de journalistes peu enclins à la recherche de la vérité et peu soucieux de déontologie, avec un désastreux effet de cercle vicieux, puisque ces articles vont à leur tour alimenter les réseaux sociaux et amplifier «l’intox»…
Notre continent est ainsi touché, autant que les autres si ce n’est davantage, par le phénomène des «fake news», ces fausses informations, orientées ou manipulées, de manière intentionnelle ou non. Elles ont toujours existé, c’est vrai, particulièrement dans des régions où domine la tradition orale, le «bouche à oreille», difficile à vérifier car moins facile à sourcer que l’écrit… Aujourd’hui encore, la rumeur électronique prise pour argent comptant est trop souvent la source d’information privilégiée des populations, aussi bien urbaines que rurales.
Les fausses nouvelles ainsi colportées peuvent être profondément déstabilisatrices
Bien plus, avec l’usage systématique du mobile et l’appropriation rapide des réseaux sociaux comme moyens d’information principaux par la jeunesse, elles se développent et se répandent aujourd’hui très rapidement sans qu’il soit possible de les contrôler. Attribution erronée de propos à un acteur qui ne les a jamais prononcés, d’actions violentes à des gens absolument pas concernés par les faits, affirmations invérifiables mais «tendance», et même montages complets, les fausses informations foisonnent sur les réseaux sociaux et dans les groupes de messagerie. Photographies et vidéos utilisées hors contexte, images détournées, allégations répétées pour discriminer une personnalité, une institution nationale, une puissance étrangère… Les visages de la désinformation sont multiples.
Le plus grave dans ces phénomènes est qu’ils concernent en particulier des pays déjà confrontés à des situations politiques, économiques, sociales difficiles. Au lieu de faciliter la recherche de solutions durables, ces fake news contribuent à amplifier le malheur des gens. Comme le met en évidence, le Dr Bakary, directeur régional du Timbuktu-Institute, la désinformation est une menace à la sécurité et à la stabilité au Sahel, et ce d’autant plus que les populations s’avèrent peu capables de la détecter rapidement. Les fausses nouvelles ainsi colportées peuvent être profondément déstabilisatrices, comme le souligne Sikou Bah, journaliste malien et co-fondateur du site Le Jalon, spécialiste dans la lutte contre les fakes news, selon qui «la désinformation contribue à attiser la haine, la violence, à créer la méfiance entre les parties au conflit et à exacerber les divisions socioculturelles, ethniques, raciales ou même religieuses.»
En effet, si, il y a quelques années, ces rumeurs concernaient principalement des faits divers ou des «célébrités», aujourd’hui, elles ont plutôt une connotation politique. C’est d’autant plus vrai dans des pays comme le Mali, le Burkina Faso ou la Guinée où les prises de pouvoir par des militaires suscitent leur lot de fausses nouvelles qui circulent sur les réseaux sociaux. De même, la présence de troupes étrangères ou d’organisations internationales est une source «facile» de désinformation, dans un sens ou l’autre. Les réseaux sociaux constituent l’un des canaux les plus prisés pour diffuser des «infox» sur leur action. Fin 2021 par exemple, une vidéo devenue virale au Burkina Faso et au Mali présente des personnes à bord d’un hélicoptère ravitaillant des individus dans une forêt. La légende suggère qu’il s’agit d’un «débarquement et ravitaillement de terroristes par la France par hélicoptère». Cette vidéo est vue 200 000 fois! La même vidéo commentée en Bambara la présente comme une opération de ravitaillement de terroristes par la MINUSMA.
Après vérification, il s’avère qu’il s’agit «tout simplement» d’une mission de déploiement et de ravitaillement d’une équipe de sensibilisation de l’ONG Africans Parks dans une réserve naturelle en Centrafrique. Rien à voir, donc, avec le terrorisme, mais le phénomène est d’autant plus préoccupant que nombre de commentaires montrent que beaucoup de gens ont cru cette information véridique… et l’ont relayée comme telle, et qu’encore trop peu d’entre eux ont relayé le travail de rétablissement de la vérité effectué par Faso Check, une équipe de six journalistes qui luttent contre les fakes news.
Le fact checking, combat pour la vérité
Leur but comme celui de nombreuses associations qui ont vu le jour au Mali, au Congo, ou en République centrafricaine par exemple est de rétablir la vérité à travers la vérification des faits. Ces acteurs sont désormais incontournables. Ils se sont regroupés au sein d’organisations régionales reconnues, comme Africa Check stationnée en Afrique du Sud. Ainsi s’est mis en place un réseau et des plateformes de diffusion d’informations de qualité produites sur la base de faits rigoureusement vérifiés: source originale, recoupement de sources, attribution des propos, authenticité des images ou des paroles… Ces jeunes journalistes traquent les informations relayées sur Internet, les vérifient et dénoncent les manipulations.
Le mouvement est lancé dans tout le continent africain. Il prend de l’ampleur. C’est le meilleur garant aujourd’hui pour redonner de la crédibilité à une presse qui est taxée de tous les maux, ou qui se laisse encore trop facilement instrumentaliser par toutes sortes de groupes de pression. Les médias devraient avoir à cœur de suivre ce mouvement pour la quête de la vérité. De leur côté, les États soumis à la multiplication des fausses informations ont tout intérêt à soutenir et à s’appuyer sur de telles structures qui sont garantes d’une information crédible et de qualité. Enfin, il est de la responsabilité de chacun, individuellement de ne pas diffuser des informations non vérifiées et de dénoncer ceux qui répandent la haine à travers leurs messages, c’est une des conditions essentielles de la prise de parole démocratique dans tous les champs d’activité des citoyens responsables que nous aspirons à être.
Salif Touré- Etudiant en relations internationales
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