A . a connu quatre vies à Bamako et à Sikasso. Et à deux reprises, c’est le même acte qui l’a obligé à prendre le large.
Existe-t-il chez certains individus une pulsion pour le vol ? C’est bien possible. Ces personnes ne basculeront pas toutes dans la délinquance et ne feront pas de la commission de cette infraction leur mode de vie. Mais dès qu’une occasion se présente pour elles de mettre la main sur le bien d’autrui, elles ne la laissent pas passer. C’est ce qui caractérise A., l’héroïne de notre histoire du jour. Cette jeune fille s’est fait humilier la semaine dernière dans un bar-resto de Sogoniko.
Les faits. Le parcours de A. à Bamako avait commencé de la manière la plus banale. La jeune fille était à l’image des centaines de rurales venues chercher dans la capitale les fonds qui leur permettront de constituer un trousseau. Sauf qu’elle eut la chance de trouver très vite un emploi. Elle fut embauchée comme aide-ménagère dans une famille relativement aisée qui résidait à Sogoniko. Cette réussite rapide lui donna un statut particulier aux yeux de ses camarades d’exil moins chanceuses qu’elle et qui étaient originaires comme elle d’un petit village, situé non loin de la ville de San.
A. devint une sorte de grande sœur autour de laquelle le reste du groupe prit l’habitude de se retrouver. Après les travaux de la journée, un grin des jeunes filles du village se réunissait presque chaque soir devant le portail du domicile de la patronne de A. Elles étaient plus d’une dizaine à rester à bavarder jusqu’à une heure avancée de la nuit. Comme les compagnes de A. se montraient discrètes et assez peu bruyantes, la patronne de A. ne voyait aucun inconvénient à ces réunions nocturnes.
Tout semblait aller pour le mieux lorsqu’un incident inattendu vint détériorer gravement les relations entre la maîtresse de maison et son employée. Un jour, la dame prévint A. qu’elle allait sortir pour des courses au centre-ville. L’aide-ménagère accompagna sa patronne jusqu’au bord de la route et l’aida à trouver un taxi Mais quelques minutes plus tard, la maitresse de maison se rendit compte qu’elle avait oublié son téléphone à la maison. Elle ordonna donc au taximan de rebrousser chemin. Arrivée à son domicile, elle se rua vers sa chambre à coucher, là où elle avait laissé l’appareil. Quelles ne furent sa surprise et sa colère de trouver A. en train de fouiller dans son armoire là où se trouvaient plusieurs téléphones. La dame n’y alla avec le dos de la cuillère. En des termes très durs, elle reprocha à son employée d’avoir trahi la confiance placée en elle et lui promit qu’elles règleraient leurs comptes à son retour du centre-ville.
LA PÊCHE AUX CLIENTS. Mais A. se garda bien d’attendre sa patronne. Elle abandonna la maison avant le retour de cette dernière. La jeune fille passera plusieurs mois sans pouvoir décrocher un autre emploi dans le quartier. Lors de ses pérégrinations, elle lia connaissance avec des filles qui passaient la moitié de la nuit dans les différents bar-restos de la rive droite. Petit à petit, A. se mua, elle aussi, en fille de joie. Bien qu’elle se soit adaptée sans peine à son nouveau mode de vie, elle se laissa convaincre par une de ses copines d’aller tenter sa chance sur un site aurifère dans la région de Sikasso. Notre ancienne aide-ménagère y passa plusieurs mois avant de retourner à Bamako de nouveau. Elle est toujours restée discrète sur l’expérience qu’elle avait tentée, mais il était évident que les choses n’avaient pas marché ainsi qu’elle l’escomptait.
De retour à Bamako, A. se lança dans sa quatrième vie qui était un « mix » de la première et de la deuxième. Elle avait trouvé un emploi dans un quartier voisin de Sogoniko. Mais elle s’était arrangée avec sa nouvelle patronne pour ne travailler dans la concession familiale que dans la journée. La nuit tombée, A. reprenait ses tournées dans les bars-restos de la rive droite. La pêche aux clients ne pouvait se faire sans téléphone et A. utilisait abondamment le sien. Mais à force de tourner et de re-tourner entre les différents lieux de réjouissance, elle le perdit. Malheureusement pour elle, ce coup dur lui tomba dessus à un moment où sa situation financière n’était pas très brillante. La jeune fille cherchait donc désespérément le moyen de s’équiper, et de préférence sans sou débourser.
Il y a quelques jours de cela, elle arriva dans un bar-resto qu’elle fréquentait très régulièrement et où elle était connue des clients. Il était environ 18 heures passées. A. se dirigea droit vers les toilettes dont l’entrée était commune aux dames et aux messieurs. Elle vit que quelqu’un avait oublié son téléphone sur un des lavabos. Elle s’en empara aussitôt et ressortit comme si de rien. En fait, l’appareil appartenait à l’un des vigiles de l’établissement, un dénommé M. Ce dernier se rendit compte tardivement qu’il avait oublié son téléphone dans les toilettes. Il courut le chercher et eut la mauvaise surprise de constater que quelqu’un l’avait récupéré.
Le jeune homme questionna en vain ses connaissances sur place. Puis le hasard le servit. Un soir, il entra pour jeter un coup d’œil dans la grande salle du bar-resto. A. était assise là, sur une chaise qu’elle avait amenée dans un coin discret à l’abri du regard des rares clients qui se trouvaient dans l’établissement. Ayant pris ses précautions, la jeune fille fouilla dans son sac et en sortit tranquillement le téléphone dont elle s’était approprié. Lorsque M. vit l’appareil, son cœur se mit à battre très fort. Mais il n’était pas au bout de ses peines. En effet, le hasard avait fait que A. et lui se connaissaient très bien. La jeune fille avait même l’habitude lorsqu’elle était désoeuvrée d’aller lui tenir compagnie à la porte du bar-resto. Tous deux échangeaient des confidences sur leurs vies respectives et s’entendaient très bien.
PRISE DE PEUR. Etant donné la nature particulière de leurs relations, M. se demandait comment il pourrait récupérer son bien sans accuser A. de l’avoir volé. Pour se donner le temps de prendre une décision, il voulut d’abord s’assurer que l’appareil était bien le sien. Il s’approcha de la fille , la salua cordialement et lui fit des compliments sur son téléphone. Il prit ce dernier comme s’il voulait l’admirer et en profita pour l’examiner de près. Ce bref examen lui confirma qu’il ne s’était pas trompé. Il y avait sur une des faces du téléphone des petites éraflures qu’il était le seul à pouvoir déceler. M. rendit l’appareil à A. et alla s’asseoir à l’extérieur. Il avait attrapé une migraine à force de tourner et de retourner le problème dans sa tête. Comment le reprendre son bien sans vexer une personne qui l’avait toujours traité avec beaucoup de respect ?
Pour le vigile, le salut vint de K., un client qu’il connaissait très bien. Comme on le dit, c’est en parlant de sa maladie qu’on a la chance de rencontrer le médicament qui la guérira. M. expliqua à K. son dilemme. Le nouveau venu haussa les épaules. Pour lui, il fallait agir sans fignoler. Il dit à M. d’aller demander à A. d’où elle tirait l’appareil. Ce que fit le vigile. Il approcha la jeune fille de nouveau. D’une voix hésitante, il fit comme K le lui avait conseillé. Mais auparavant, pour que tout se passe dans la plus grande discrétion, il avait dit à la jeune fille qu’il voulait la voir de côté pour juste « un petit problème ».
Sans chercher à entamer la moindre polémique, A. restitua l’appareil à M. dès que celui-ci en revendiqua la propriété. Mais elle s’efforça néanmoins de sauver la face. Sans vouloir donner un nom, elle expliqua que c’était un de ses clients qui lui avait donné cet appareil comme cadeau, après une sortie qu’ils avaient fait ensemble la veille. Cette version tirée par les cheveux laissa le vigile de marbre. Il ne chercha pas à savoir l’identité du fameux client. L’essentiel pour lui était d’être à nouveau en possession de son téléphone. A. se serait donc tirée d’affaire sans préjudice si l’histoire s’était arrêtée là.
Mais dans la petite foule qui s’était réunie pour commenter l’affaire se trouvait une fille qui connaissait bien les antécédents de A. Visiblement sous l’effet de l’alcool, la jeune dame dévoila à l’assistance les raisons pour lesquelles sa « copine » avait quitté son premier emploi d’aide-ménagère. Elle assura que la patronne de l’époque avait surpris A. alors que celle-ci fouillait dans ses affaires et tentait de lui voler l’un de ses téléphones. La dénonciatrice raconta comme si elle avait assisté à la scène la dispute qui avait alors opposé A. à son employeuse. Elle assura que la dame était déterminée à amener l’indélicate au commissariat. Elle jura que prise de peur la jeune fille n’avait plus touché à l’appareil qu’elle convoitait et qu’elle avait choisi de disparaître dans la nature avant le retour de sa patronne de la ville.
Assommée par les révélations de son « amie », A décida d’abandonner la fréquentation du bar-resto où sa réputation était complètement détruite. Après cet incident qui l’a opposé au vigile de l’établissement, la jeune fille est restée longtemps introuvable. Aux dernières nouvelles, elle se trouverait au niveau d’un autre établissement du même type, dans un quartier de la périphérie. Il restera à voir si elle sait aujourd’hui dompter la pulsion qui la pousse au vol et la dirige vers le les portables. Sinon son nom risque de revenir dans ces colonnes. Et elle-même pourrait se retrouver un jour derrière les barreaux.
MH.TRAORÉ
source : Essor