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Facebook : “Il faut comprendre que c’est dangereux de laisser son enfant naviguer sur ce type de réseau”

Frances Haugen, ancienne employée de Facebook, a témoigné ce mardi 5 octobre devant une commission du Sénat américain. Ses accusations, portant sur l’impact nocif des réseaux sociaux sur un public jeune et féminin, sont confirmées par de nombreuses recherches. Caroline Rouen-Mallet, maîtresse de conférence à l’université de Rouen Normandie et spécialiste de la consommation numérique et sa portée sur le comportement des adolescents, répond à nos questions sur le sujet

TV5MONDE : Les accusations portées par Frances Haugen sur l’impact de Facebook et Instagram sur un public jeune sont-elles si surprenantes que ça ? En quoi sont-elles révélatrices du pouvoir des réseaux sociaux et de l’empire de Mark Zuckerberg en particulier ?

Caroline Rouen-Mallet : Effectivement, à l’écoute des récentes révélations de cet ex-employée de Facebook, cela fait complètement écho aux recherches que nous menons actuellement. On évalue les dégâts de l’utilisation des réseaux sociaux, tels qu’Instagram, sur les jeunes adultes et adolescents. Ils sont exposés de façon très importante à des normes, des injonctions qui y circulent. On étudie leur impact sur l’émergence de nouvelles pratiques alimentaires qui peuvent devenir déviantes et devenir des troubles du comportement alimentaire (TCA). Bien évidemment, il y a d’autres facteurs. Depuis plusieurs années, de nombreux chercheurs se sont penchés sur cet impact sur un public plus jeune. Des pédopsychiatres, des nutritionnistes, des psychologues font tous ce même constat.

 

TV5MONDE : Ce que dit Frances Haugen sur la sécurité des plus jeunes paraît donc véridique à vos yeux ? 

Caroline Rouen-Mallet : Je ne peux pas vous affirmer que ce qu’elle dit est vrai, mais en tout cas, je n’étais pas du tout surprise. Et je crois que personne ne l’est vraiment. On a l’impression qu’elle jette un pavé dans la mare et en même temps, non. C’est un sujet qui est au-dessus de nos têtes depuis un grand moment. Tout le monde fait comme si tout allait bien. Mais ça ne va pas. Il faut protéger nos jeunes, mais personne ne sait ce qu’il faut faire. Certains chercheurs essayent de voir en termes de santé publique s’il faut faire des campagnes de prévention beaucoup plus ciblées, beaucoup plus précises, s’il faut inciter les parents à être beaucoup plus vigilants et à cadrer la consommation de leurs enfants. Il y a plein d’axes de réflexion, notamment concernant les risques accrus pour les jeunes femmes, les adolescentes.

Toute cette consommation numérique provoque l’émergence de nouvelles normes, de nouvelles représentations. Et essayer d’atteindre ces normes peut amener à des dérives.
Caroline Rouen-Mallet, maîtresse de conférences à l’université de Rouen Normandie

TV5MONDE : Frances Haugen révèle également que Facebook voudrait toujours lancer un réseau social pour les pré-ados, en dessous de 13 ans. Quel est le risque pour les enfants d’un tel projet ?

Caroline Rouen-Mallet : Normalement, en dessous d’un certain âge, les enfants ne peuvent créer un compte sur un réseau social. Mais ils contournent les règles et le font déjà. On le sait bien. J’étudie depuis longtemps les pratiques numériques des jeunes enfants et ce serait catastrophique d’envisager ce type de dispositif à l’attention d’enfants qui ne peuvent absolument pas mettre de filtres et de barrières à ce qu’ils voient. Ils vont, de fait, être exposés à des images, à des propos qu’ils ne devraient pas voir. À cet âge-là, leurs capacités cognitives de traitement de l’information sont limitées. C’est déjà compliqué avec un public de jeunes adultes. Les impacts seraient d’autant plus négatifs sur un public plus jeune, en construction. Mes recherches portent essentiellement sur les jeunes femmes qui sont les plus touchées, notamment dans leur estime d’elles-mêmes, à force d’être exposées à des corps parfaits, à de nombreuses injonctions sur ce qu’il faut manger, à quoi il faut ressembler. Auparavant, ce qu’on voyait dans les magazines disparaissaient, une fois qu’on le refermait. Ce qui a changé avec ces modèles que l’on voit sur les réseaux sociaux, c’est qu’aujourd’hui ces jeunes femmes passent leurs vies sur leurs téléphones. C’est en permanence que ces injonctions rentrent dans leurs têtes et cela devient la norme. Toute cette consommation numérique provoque l’émergence de nouvelles normes, de nouvelles représentations. Et essayer d’atteindre ces normes peut amener à des dérives. Facebook, semblant avoir été alerté de cela, semble le savoir, mais veut-il finalement interrompre ce processus qui est en cours ?

Mark Zuckerberg a un business très lucratif auquel il pourrait sans doute apporter des ajustements pour qu’il soit moins dangereux, moins nocif, au risque peut-être de perdre de l’audience.
Caroline Rouen-Mallet

TV5MONDE : La réponse de Facebook et de Mark Zuckerberg est assez laconique, puisqu’ils assurent qu’il n’en est rien, que la sécurité des plus jeunes passe avant tout. Qu’en avez-vous pensé ?

Caroline Rouen-Mallet : Peuvent-ils apporter une autre réponse que celle-là? Très franchement, même s’ils confirmaient, je ne suis pas sûre que cela changerait les choses parce qu’il y a une telle addiction aux réseaux sociaux. Malgré les démarches de vulgarisation montrant les dérives de la consommation numérique, le public ne change toujours pas sa pratique. C’est terrible à dire, mais c’est réellement installé. Ce que je constate c’est l’abandon des parents. Ils sont parfois un peu dépassés par les technologies, et laissent leurs enfants de 13, 14, 15 ans seuls face à leur utilisation des réseaux sociaux. Les parents sous-estiment beaucoup le danger qu’ils représentent.  Ce que nous disent les psychiatres et les psychologues avec qui on travaille, c’est qu’il faudrait qu’ils se réapproprient leur rôle de parents et posent un cadre autour de la consommation numérique.

TV5MONDE : Qu’en est il de la responsabilité des dirigeants de Facebook ? Facebook peut-il s’auto-réguler ? 

Caroline Rouen-Mallet​ : Ils ont leur algorithme qui peut permettre de limiter la diffusion de certains posts, de certaines images qui, ils le savent semble-t-il, ont des effets négatifs. C’est facile à déployer et à faire. Ce serait la meilleure réaction à avoir. Mais on est dans une industrie et c’est un business. C’est comme dire à McDo d’arrêter de faire du McDo. Les gens ont leur libre arbitre. Ils ne sont pas obligés d’aller manger un Big Mac tous les midis. Ça fait partie de l’éducation. Mark Zuckerberg est un homme d’affaires. Il a un business très lucratif auquel il pourrait sans doute apporter des ajustements pour qu’il soit moins dangereux, moins nocif, au risque peut-être de perdre de l’audience. Fera-t-il ces ajustements? On espère que oui. Avec cette affaire, le public va peut-être commencer à comprendre que c’est dangereux de laisser son enfant naviguer sur ce type de réseau. Instagram, c’est quand même le réseau social de prédilection pour le danger au niveau alimentaire. Il y a beaucoup de professionnels de santé qui tirent la sonnette d’alarme. Donc, que ce soit Facebook en interne qui change ses algorithmes pour les rendre moins dangereux, avec tous les doutes que je peux avoir là-dessus ou que ce soit plutôt les pouvoirs publics, les parents, le système d’éducation qui ouvrent les yeux sur les gens en leur disant “attention, danger”, il faut qu’un changement s’opère en tout cas.

TV5MONDE : Est-ce aux gouvernements de s’emparer de cette question ? 

Caroline Rouen-Mallet : Aussi, oui. Nous venons de décrocher un projet de recherche à l’Agence nationale de la recherche (l’ANR), sur l’impact de la consommation numérique et les nouvelles pratiques alimentaires, parce que c’est un enjeu de santé publique. Cela prouve à quel point c’est quelque chose dont il faut s’emparer et dont il faut se préoccuper, même si on est en retard sur la question. Cette ancienne employée de Facebook a été courageuse de prendre la parole. Je ne sais pas quelles sont ses motivations, mais en tout cas, si ça peut faire avancer le débat, éclairer un peu les consciences et ouvrir un peu les yeux, c’est une très bonne chose.

Source : TV5MONDE 

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