Après avoir longtemps hésité à juger le général Amadou Aya Sanogo et ses coaccusés, le gouvernement vient, à travers le parquet général de Bamako, de fixer la date du procès au 30 novembre. Nous vous révélons les faits que les juges d’instruction ont retenu à la charge des accusés. Il faudra toutefois attendre l’ouverture du procès pour entendre les moyens de défense des accusés.
Selon les pièces de l’instruction, le 22 mars, une mutinerie éclate au camp Soundiata Keita de Kati au cours de laquelle les soldats mutins se dirigent à Koulouba, siège de la présidence de la République. Ce qui n’était, au départ, qu’une révolte se transforme en Coup d’Etat. Suite à une médiation de la CEDEAO, un accord-cadre est trouvé. Cet accord permet à Dioncounda Traoré, président de l’Assemblée nationale, de diriger la Transition.
Soulèvement des « bérets rouges »
Dans la nuit du 30 avril au 1er mai 2012, le régiment des commandos parachutistes (« bérets rouges »), dirigé par le colonel Abdine Guindo, monte à l’assaut du camp Soudiata Keita, siège des anciens mutins du CNRDRE. La riposte est immédiate et les militaires de Kati arrivent à repousser les différentes attaques. Des militaires « bérets rouges » sont faits prisonniers et certains d’entre eux sont montrés à la télévision nationale. Les parents des détenus, cherchant de leurs nouvelles, se heurtent à un « mur de silence ». Aucune information ne leur est fournie quant au lieu de détention de ces « bérets rouges », alors que circule la rumeur de leur exécution. Certains iront jusqu’à déclarer avoir vu une vingtaine de militaires nuitamment menottés et conduits vers une destination inconnue.
Enquête
Face à ces rumeurs persistantes, le parquet général de Bamako, par lettre n°021 en date du 21 juillet 2012, instruit au procureur de la République près le tribunal de grande instance de la commune 3 du District de Bamako d’ouvrir une enquête. Le procureur de la commune 3 ouvre alors une information contre X pour enlèvement de personnes. Suite à cette information, plusieurs officiers et sous officiers, tous membres du CNDRE, sont inculpés d’enlèvement de personnes. Les inculpés sont entre autres: le général Amadou Aya Sanogo, les capitaines Issa Tangara, Amassongo Dolo et Christophe Dembélé ; les sous-officiers Ousmane Sanafo dit Kif Kif, Mamadou Koné, Fousseyni Diarra, etc.
Fosse de Diago
Lors de leur première comparution devant le juge d’inbstruction, Mamadou Koné et Fouseyni Diarra indiquent dans les moindres détails l’endroit où étaient enterrés les victimes. Le magistrat instructeur, Yaya Karembé, ordonne le transport sur le lieu indiqué, situé aux environs du village de Diago non loin de la cimenterie. Une exhumation est faite par les agents de la police scientifique du service d’investigations judicaires de la gendarmerie nationale. Ainsi, les enquêteurs découvrent dans une fosse commune 21 squelettes humains. Les examens médicaux légaux et les tests ADN pratiqués par le laboratoire du Fédéral Bureau of Investigations (FBI) des Etats Unis d’Amérique aboutissent à la conclusion qu’il s’agit bien des corps des 21 « bérets rouges » disparus :
– Aboubacar Kola Cissé,
– Youba Diarra, Pagalé Sagara, Yéba Traoré,
– Samba Diarra,
– Adama Bagayogo,
– Ibrahim Maiga,
– Abdoul Karim Keita,
– Bamory Diarra,
– Aboubacar Poudiougo,
– Bouyé Diarra,
– Mamadi dit Bakoroba Kané,
– Kabiné Keita,
– Bourama Niaré,
-Bourama Coulibaly,
– Kléné Niara,
– Bazoumana Kaloussy,
– Youssouf Bamba
– Boncana Maiga.
Requalification des poursuites en assassinat
Sur la base de ces faits nouveaux, le parquet, par réquisitoire supplétif en date du décembre 2012, demande l’extension de l’information pour inclure les crimes d’assassinats et de complicité d’assassinats. Au cours des interrogatoires sur le fond, Mamadou Koné et Fousseyni Diarra ne varient pas dans leurs déclarations.
Comment les bérets rouges ont été exécutés
A la suite de l’échec du contre-coup d’Etat du 30 avril 2012, de nombreux assaillants « bérets rouges » sont faits prisonniers. Dans la nuit du 2 mai 2012 une liste est remise à l’adjudant Mamadou Koné par le lieutenant Soiba Diarra. Ensuite, Soiba demande à Mamadou Koné de creuser une fosse. Celui-ci hésite. Face à son hésitation, Soiba Diarra demande à Cheikna Siby de creuser la fosse. Celui-ci, plus docile, s’exécute. Tard dans la nuit, un camion vient se garer près de l’endroit où les « bérets rouges » sont détenus. Un appel est effectué sur la base de la liste fournie et chaque militaire appelé sortait de sa cellule les mains ligotés et les yeux bandés. Ils seront 21 à être embarqués à bord du véhicule. Mais miraculeusement, le nommé Mohamed Diarra est débarqué du véhicule et remplacé par Aboubacar Kola Cissé qui était détenu à l’école d’application de Kati. Et c’est le miraculeux Mohamed Diarra qui sera le premier à témoigner de l’exécution de ses compagnons.
Pourquoi les généraux Amadou Aya Sanogo Yamoussa Camara et Dahirou Dembélé sont inculpés
Le général Yamoussa Camara et le général Ibrahim Dahirou Dembélé, respectivement ministre de la Défense chef d’état-major général des armées au moment des faits, sont inculpés pour, selon les juges instructeurs, avoir tenté de dissimuler la disparition des 21 « bérets rouges » exécutés. Selon les juges, les deux généraux ont signé des actes portant mise à disposition des 21 « bérets rouges » (déjà exécutés) de l’opération « Badenko » qui oeuvrait à la libération du nord-Mali.
Quant à Amadou Aya Sanogo, il est inculpé pour son rôle présumé dans l’assassinat des 21 « bérets rouges » car, aux yeux des juges, il était le vrai chef de l’armée en tant qu’ancien chef de la junte CNRDRE.
Ce qui est reproché aux policiers Siriman Fané et Simeon Keita
Dans la nuit du 30 avril au 1er mai 2102, en plus des « bérets rouges », certains policiers furent arrêtés et violentés par leurs compagnons de corps. Les policiers violentés sont, entre autres, Adama Coulibaly et Habibou Ouologuème. Ces derniers vont accuser Siméon Keita et Siriman Fané.
Les inculpés blanchis par l’instruction
Après analyse du dossier, la chambre d’accusation, juridiction supérieure d’instruction, a prononcé un non lieu contre plusieurs accusés : le général Sidi Alassane Touré, directeur de la sécurité d’Etat au moment des faits; Mady Oudé Dembélé, secrétaire particulier du général Amadou Aya Sanogo; Ibrahim Keita, garde du corps des enfants de Sanogo Aya; Bakary Coulibaly, chef du protocole de Sanogo; Seydou Baba Diakité, intermédiaire habituel entre Sanogo et la confrérie des chasseurs. Quant à Siriman Fané et Amassogou Dolo, l’action publique a été éteinte contre eux pour raison de décès.
Les accusés qui comparaîtront
Inculpés de complicité d’assassinat, Oumar Sanafo dit Kif Kif, Amadou Aya Sanogo, Blonkoro Samaké, Siméon Keita, Soiba Diarra et Christophe Dembélé nient les faits.
Dans le cas du général Sanogo, la chambre d’accusation considère qu’il a joué un rôle actif dans la gestion des détenus en tant que président du CNRDRE. En outre, Blonkoro Samaké dans sa déposition déclare que le général Amadou Aya Sanogo était informé de tout ce qui concernait les « bérets rouges » détenus. Les juges trouvent également suspect le fait que le général Amadou Aya Sanogo soit apparu en personne à la télévision pour parler des « bérets rouges ». L’accusation estime aussi que hormis Sanogo, aucun autre membre du CNRDRE ne pouvait donner des instructions pour exécuter les « bérets rouges ».
Dans le cas du capitaine Amadou Konaré, l’accusation estime qu’en tant que N°2 de la junte militaire, il est lui aussi complice de la mort des « bérets rouges ». L’un des principaux exécuteurs, Mamadou Koné, a affirmé devant le juge instructeur le 24 décembre 2013 que Amadou Konaré ne pouvait pas ignorer l’existence de la liste des « bérets rouges à exécuter ».
Fousseyni Diarra, Mamadou Koné et Tièmoko Adama Diarra reconnaîtront avoir conduit les « bérets rouges » à Diago et tiré sur eux à bout portant. Ils reconnaissent aussi s’être repliés rapidement, de peur qu’un autre éventuel peloton ne vienne les exécuter à leur tour pour effacer les traces du crime.
C’est donc en raison de ces faits et déclarations que la chambre d’accusation a renvoyé devant la Cour d’assises les accusés suivants : Fousseyni Diarra, Mamadou Koné, Tièmoko Adama Diarra, Lassana Singaré, Cheikné Siby et Issa Tangara. Quant à Amadou Aya Sanogo, Blonkoro Samaké, Siméon Keita, Oumarou Sanafo dit Kif Kif, Soiba Diarra, Christophe Dembélé, Amadou Konaré, Mohamed Issa Ouédraogo, Ibrahim Boua Koné, Yamoussa Camara et Ibrahim Dahirou Dembélé.
Il faut attendre les débats des assises pour entendre la version des accusés et leurs moyens de défense. Jusqu’à leur éventuelle condamnation, ils sont, en effet, réputés innocents.
Abdoulaye Guindo
Source: proces-verbal