Au Mali, l’armée nationale et les groupes jihadistes sont engagés dans une lutte sans merci. Les forces française Barkhane et européenne Takuba ont annoncé leur départ du pays, en raison de nombreux désaccords avec les autorités de transition. Les Fama et leurs nouveaux alliés russes se retrouvent donc en première ligne face à l’EIGS, le groupe État islamique au Grand Sahara et au Jnim, le Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans, lié à al-Qaïda.
Depuis la fin décembre et l’arrivée de supplétifs russes – des mercenaires du groupe Wagner, selon de nombreux pays occidentaux ; des « instructeurs » invités dans le cadre d’une coopération d’État à État, selon Bamako – l’armée malienne multiplie les opérations de terrain et présente d’impressionnants bilans. Mais de nombreuses sources – sécuritaires, des chercheurs et des organisations communautaires – jugent ces bilans très exagérés et dénoncent des exactions sur des civils.
RFI a retrouvé une dizaine de victimes directes de ces exactions et a recueilli leurs témoignages sur les sévices infligés par l’armée malienne avec, dans certains cas, l’implication de combattants russes. Pour des raisons de sécurité, l’anonymat de ces témoins est préservé, leurs noms et leurs voix ont été modifiés – les dates et lieux concernés ne sont volontairement pas précisés avec trop de détails. C’est une série exclusive de deux épisodes. Aujourd’hui, retour sur des opérations menées par l’armée malienne dans les régions de Ségou et Koulikouro.
Nara, Guiré, dans la région de Koulikouro ; Nampala, Diabaly, Niono, dans la région de Ségou : dans cet espace proche de la frontière mauritanienne, la Katiba Macina du Jnim soumet les habitants à une terreur quotidienne. Et même, dans certains cas, à une forme de blocus. L’armée malienne multiplie donc les opérations. Mais dans le village de Yacouba Dicko, l’arrivée des soldats maliens n’a pas été vécue comme une libération.
« Trop vieux pour fuir »
« Ils étaient une quarantaine – trois véhicules, quelques motos et tout le reste à pieds. Il y avait beaucoup de blancs avec eux. Pas des Touaregs, pas des Arabes, des blancs. Ils parlaient entre eux une langue que je ne connaissais pas. Ce n’était pas du français. Eux, ils avaient des tenues militaires très claires. Tout de suite, ils ont commencé à tirer dans tous les sens. La plupart des habitants, par peur, avait fui en brousse ; moi j’étais caché à côté et je regardais, parce que des parents à moi, trop vieux pour fuir, étaient restés. Ils ont mis le feu à toutes les maisons. Les vieux qui étaient restés ont été abattus ou brûlés dans leur maison. »
Alassane Barry habite un autre village d’agriculteurs et d’éleveurs peuls. Qui a également reçu la visite des militaires maliens.
« Ils sont arrivés vers minuit. Ils ont encerclé le village, et c’est tôt le matin qu’ils sont entrés. Tout de suite, ils ont cassé les portes des maisons. Ils ont fait sortir les affaires, ils ont arrêté ou tué plusieurs personnes. Les militaires maliens étaient accompagnés de blancs, qui avaient des tenues d’une couleur différente. Il y avait plus de trente véhicules. Les blancs qui étaient avec les militaires maliens ont participé à tout. Ils ont volé dans les maisons les bijoux, l’argent, et même nos stocks d’engrais. Ils n’ont pas pris la nourriture dans le village, mais juste à l’extérieur ils ont croisé un jeune qui partait vendre son riz : ils lui ont tout pris et ils l’ont tué. »
Arrestations et exécutions sommaires
Sollicitée par RFI, l’armée malienne n’a pas souhaité commenter ces témoignages.
Depuis la fin décembre, dans ses communiqués, l’état-major a revendiqué 129 jihadistes neutralisés et plusieurs dizaines d’interpellations dans les zones de Nara, Guiré, Diabaly et les localitésenvironnantes. Des armes, des motos, du bétail, des céréales ou de l’engrais figurent aussi parmi les prises annoncées. Mahmoud Sow, lui, a exhumé les corps d’une fosse commune découverte près de son village.
« C’était des personnes arrêtées quelques jours plus tôt sur un marché. Des gens que l’on connaît très bien : un docteur, un adjoint au maire, des grands vendeurs de bétail, dont deux Mauritaniens… Des gens bien connus dans la zone, qui n’ont rien à voir avec les jihadistes. Quelques jours après leur arrestation, quelqu’un a découvert une fosse. Nous y sommes allés. On a déterré plusieurs corps, on a reconnu certaines des personnes arrêtées. On leur a fait des tombes individuelles. »
Le 2 mars dernier, un charnier a été découvert près de Dogofry, avec une trentaine de corps calcinés. De nombreuses sources locales accusent l’armée malienne, qui a catégoriquement démenti, annoncé l’ouverture d’une enquête, et dénoncé des allégations « de nature à jeter le discrédit sur les Fama. »
Source: RFI