INTERVIEW – A quelques semaines des élections européennes, la présidente du Rassemblement national a totalement effacé l’image d’amateurisme dont elle avait hérité lors de la présidentielle, estime Gaël Sliman, président d’Odoxa. Et ses électeurs lui en savent gré.
A un peu moins d’un mois des élections européennes, les listes du Rassemblement national et de la République en marche sont au coude à coude dans les sondages. Les intentions de vote en faveur de Jordan Bardella ont même dépassé la semaine dernière celles de la candidate de la majorité Nathalie Loiseau dans deux études d’opinion. Pour Gaël Sliman de l’institut Odoxa, c’est le signe que Marine Le Pen a regagné en crédibilité après le désastre du débat d’entre-deux tours face à Emmanuel Macron.
Challenges – Comment expliquez-vous que le Rassemblement national soit aussi haut dans les sondages ?
Gaël Sliman – Ce qui est tout à fait surprenant, c’est que la part des électeurs du Rassemblement national qui se disent certains d’aller voter le 26 mai prochain dépasse assez largement la moyenne des Français. Ils sont près de 75% à se dire certains de voter aux élections européennes quand la moyenne des Français est plus proche des 60%. C’est d’autant plus atypique que le scrutin européen est traditionnellement une élection de démobilisation pour les électeurs aux profils les plus abstentionnistes, auxquels appartiennent les sympathisants de Marine Le Pen. Plusieurs facteurs expliquent ce sursaut de mobilisation : la perspective de faire un bon score — les sondages donnent le RN tout proche de la première place — et la progression partout en Europe des autres partis d’extrême droitequi crée un effet d’entraînement.
Les électeurs du Rassemblement national semblent plus certains de leurs choix que les autres…
La certitude du choix est plus classique : on ne vote pas pour le Rassemblement national au hasard. C’est pourquoi, d’élections en élections, les électeurs du RN se montrent les plus sûrs de leur choix… parfois des semaines avant l’élection. Dans le cadre des élections européennes, c’est 25% de plus que la moyenne des partis traditionnels : 85% contre 60%. A titre de comparaison, seuls 70% des électeurs LREM sont sûrs de voter pour la liste de Nathalie Loiseau le 26 mai prochain, au Parti socialiste c’est moins d’un électeur sur deux ! Pourtant, la tête de liste du RN, Jordan Bardella, n’est pas plus connue que les autres têtes de listes, dont l’adhésion générale ne dépasse pas les 10%.
Marine Le Pen a-t-elle retrouvé la crédibilité qu’elle avait perdue lors de la présidentielle de 2017 ?
Il y a toutes les raisons de le croire. Elle a retrouvé les niveaux de popularité qui étaient les siens avant le naufrage du débat d’entre-deux tours de l’élection présidentielle face à Emmanuel Macron, où elle s’est fracassée dans l’opinion. Après avoir connu une mini-traversée du désert en 2017 et 2018, elle s’est remise en selle. D’une part, en abandonnant les aspects de son programme les plus crispants, ceux qui touchent à l’Europe et à l’euro, le “Frexit”. De l’autre, une violente crise sociale — les gilets jaunes — a éclaté, validant certains de ses constats, ce qui lui a permis d’estomper l’image d’amateurisme dont elle avait hérité lors de la présidentielle, y compris auprès de son électorat. Aujourd’hui, près de 80% de ses électeurs du premier tour à la présidentielle se reportent sur la liste de Jordan Bardella aux élections européennes. Dans notre baromètre des personnalités politiques, elle est à la fois sur le podium des personnalités suscitant la plus forte adhésion, et celle qui provoque le plus fort rejet des personnes interrogées : ce n’est pas une personne qui laisse indifférent !
Source: challenges