LE FIGARO- Le président turc vient d’appeler à la tenue d’élections législatives anticipées le 1er novembre prochain. Comment se dérouleront les semaines à venir?
Dorothée Schmid – Un gouvernement de transition va être formé, supposé représenter le Parlement turc. Pourtant, l’AKP (le parti d’Erdogan, ndlr) cherche activement à marginaliser le HDP, le parti pro-kurde, dont 80 députés sont entrés au Parlement aux élections de juin dernier. Erdogan cherche à tout prix à garder la main. Pour cela, le président turc a entamé une nouvelle stratégie électorale. L’électorat kurde s’est détourné de l’AKP et ne reviendra pas. Désormais, c’est vers l’électorat nationaliste qu’Erdogan se tourne, quitte à se montrer hostile envers les Kurdes.
Recep Tayyip Erdogan a déclaré le 14 août dernier: «Que vous le vouliez ou non, en Turquie, le système a changé. Il faudrait donner un cadre légal à cette situation au moyen d’une nouvelle Constitution». Dans le cas où les prochaines élections lui seraient favorables, quelle tournure pourrait prendre le régime?
Avant même d’être président, Erdogan évoquait l’idée de modifier la Constitution. En réalité, depuis qu’il est président, il a déjà mis en place une pratique du pouvoir hyperprésidentialisée. C’est lui qui a dirigé la campagne législative de juin et a indirectement mené – et sans doute fait échouer – les pourparlers pour former une coalition gouvernementale. Il ne pourra pas aller beaucoup plus loin, mais cherche à légitimer par les textes cette personnalisation du pouvoir. Partager le pouvoir est pour lui inenvisageable et il ne supporte apparemment pas la contradiction. Il veut avoir la main sur tous les secteurs de la société, y compris sur l’économie.
Au plan extérieur, quelle stratégie le chef de l’État pourrait-il adopter?
Deux paramètres comptent. D’une part, si Erdogan souhaite conquérir l’électorat nationaliste, il doit afficher une véritable fermeté contre le PKK ; d’autre part, il ne doit pas trop s’impliquer dans le règlement de la crise syrienne car les sondages montrent que le peuple turc accorde une faible confiance à l’AKP concernant sa capacité à régler cette crise. Le problème qui obsède les Turcs aujourd’hui, c’est la présence des réfugiés syriens en Turquie. Le gouvernement n’a pas tellement intérêt à se montrer plus actif dans la coalition anti-Daesh.
Si l’AKP retrouvait une majorité aux prochaines élections législatives, quelles pourraient être les conséquences pour nous Européens?
Au plan économique, cela permettrait de retrouver une certaine stabilité. Actuellement, la livre chute, la bourse décroche et les investisseurs sont inquiets. Toutefois, du point de vue politique, une victoire de l’AKP pourrait compliquer encore le dialogue entre l’Union européenne et la Turquie. La question des Droits de l’Homme pourrait revenir au premier plan. Certes, le déblocage de l’usage des bases militaires turques rapproche les Turcs de leurs alliés au sein de l’Otan, mais dans l’organisation plusieurs pays dénoncent la disproportion des frappes contre le PKK. Les agendas de la Turquie et de ses alliés ne coïncident pas sur beaucoup de plans et le malaise est réel.
Source: Le Figaro