L’exigence d’un monde multipolaire commande d’être regardant dans le choix libre des partenariats gagnant-gagnant, sans paternalisme, sans condescendance, loin du carcan de la succursale françafricaine, aux antipodes de toute forme d’instrumentalisation, dans une synergie de coopérations Sud-Sud.
Colonel Assimi Goïta, Général Abdourahmane Tiani et Capitaine Ibrahim Traoré, respectivement Chefs d’Etat du Mali, du Niger et du Burkina Faso, ont pris la décision historique du retrait conjoint de leurs pays de la Cédéao, ‘’avec effet immédiat’’. Ce retrait via l’AES (Alliance des Etats du Sahel) est illustratif d’un proverbe Mandé : ‘’si la cohabitation est source de menace de mort, mieux vaut enfourcher le cheval de la pérégrination.’’ Soundiata Kéita n’a fait autre chose, lors de son différend avec son demi-frère Dangarantouma, alors que Soumangourou Kanté nourrissait le dessein de mettre le Mandé sous sa coupe réglée.
Ces pays sahéliens de l’hinterland, n’étant plus en odeur de sainteté auprès des autres pays de l’organisation supranationale, sous le prétexte fallacieux d’avoir noué une coopération militaire avec la Fédération de Russie, voient leur salut dans le départ irréversible.
Griefs palpables et multiples
La pertinence des lourdes sanctions infligées aux pays de l’Aes est sujette à caution. Les griefs formulés contre la Cédéao sont palpables et multiples. Près de 50 ans d’existence, caporalisée, elle n’a pas toujours pas sa monnaie, symbole de souveraineté. Les partants soutiennent que la Cédéao a violé le Traité révisé du 24 juillet 1993 et le Protocole additionnel du 17 février 2012 portant sur le régime des sanctions à l’encontre des Etats-membres qui n’honorent pas leurs obligations. Car ni ces textes ni aucun autre instrument juridique de l’organisation ne prévoit la fermeture des frontières à un Etat-membre. Pis la Convention de Vienne de 1969, paragraphe 7, article 2 stipulant la non-ingérence dans les affaires intérieures d’un Etat, a été foulée aux pieds. La Convention des Nations unies de 1982 sur le droit d’accès à la mer des pays de l’hinterland a été également violée dans son article 125. Selon Aboubacar Sidiki Fomba du Corema, certains protocoles signés au XXè siècle, ont disparu comme par enchantement : le protocole de non-agression de 1978 ; celui d’assistance en matière de défense de 1981 ; celui du code de conduite de libre circulation des personnes et des biens et des droits d’établissement et celui mécanique de prévention des conflits de 1999. Du coup, estiment-ils ne plus être liés aux contraintes de délai mentionnées dans l’article 91 du Traité révisé.
Notons que la montée en puissance des forces de défense et de sécurité maliennes a suscité moult commentaires, des campagnes hostiles de désinformation et de déstabilisation, en plus de la politisation des droits de l’homme, y compris par le Haut-Commissariat aux droits de l’homme, auteur d’un rapport biaisé dont le gouvernement malien a vigoureusement rejeté les conclusions hâtives. Et surtout ses images obtenues par l’usage de satellites à l’insu des autorités nationales. De l’espionnage.
Que dire de l’’épée de Damoclès d’un bombardement du Niger par la Cédéao? Il a fallu que, conjointement, le Mali et le Burkina tapent du poing sur la table pour l’en dissuader. Dans un récent entretien exclusif accordé à la Télévision Nationale du Niger, Général de Brigade Abdourahmane Tiani est revenu sur les motivations des trois Etats à se retirer de la Cédéao. «Nous avons quitté la Cédéao parce que nos intérêts ont cessé d’y être pris en compte». Aussi a-t-il mis en exergue la détermination du président Macron et de la Cédéao à obtenir coûte que coûte la libération du président Mohamed Bazoum. Trois semaines avant la rencontre de la Conférence des chefs d’Etat de l’organisation sous-régionale, le président Macron s’est même accordé la liberté de déclarer que l’embargo contre le Niger ne sera pas levé tant que Bazoum resterait l’otage de ‘’la junte’’.
L’arme fatale du retrait irréversible
Ainsi, lors de la rencontre des chefs d’Etat de la Cédéao, cette exigence du président français est devenue la condition de la levée de l’embargo. «S’ils veulent que la Cédéao lève l’embargo, ils n’ont pas d’autre choix que libérer Bazoum» avait lancé le ministre des Affaires étrangères du Nigéria sur les ondes de la BBC.
Déplorant ce ton autoritaire au sujet d’un pays souverain tel que le Niger, M. Tiani a précisé que le chef de la diplomatie nigériane ne décide pas de la politique ou de la diplomatie du Niger. «Il est ministre des Affaires étrangères du Nigéria et non du Niger, il n’est pas non plus ministre des Affaires étrangères de la Cédéao, et il ne peut décider de ce qui doit être appliqué au peuple nigérien ». L’annonce, le 28 janvier dernier, de la fatidique nouvelle du retrait provoqua un choc tellurique au sein de la Cédéao.
Les prêtres du narratif néocolonial ont compris que leur évangile selon Macron, n’est plus audible auprès des fidèles de l’Alliance des Etats du Sahel.
Pour faire amende honorable, le président béninois Patrice Talon devant la presse, le jeudi 8 février 2024 à Cotonou, a plaidé pour la cessation des sanctions contre les trois pays.
Cette décision a suscité plein de réactions au sein de la classe politique et de la société civile. La plateforme Anw Ko Faso Ko, en tant que mouvement politique, espère que les autorités maliennes ont bien analysé les enjeux, les opportunités et les conséquences de ce retrait.
Selon Dr Lamine Keïta, économiste à la retraite, auteur de plus d’une dizaine de livres en économie, le Mali subit une grosse perte sur les droits de douane tout en compromettant la naissance de l’industrie nationale. Mieux, en retrouvant sa liberté de négociation hors de la Cédéao, qui confirme le caractère colonial de ces montages institutionnels en son sein, le Mali évitera une perte de 120 milliards en droits de douane tout en bénéficiant d’une rentrée de plus de 20 milliards supplémentaires sur son budget, selon les projections du gouvernement. Par ailleurs, la Cédéao est dans un rôle de déstabilisation aux mains des puissances colonisatrices, a-t-il poursuivi.
En prenant des mesures inhumaines, en guise de sanctions contre les Etats de l’Aes, la Cédéao, jouant à la Goliath, a mordu la poussière à cause de l’arme fatale du retrait irréversible.
Mohamed Koné