En marge de la 17e édition de la Ziarra annuelle à l’honneur de Cheikhou Oumar Foutiyou Tall, à Kouniakary, localité malienne relevant de l’arrondissement de Séguéla, dans la région de Kayes, nous avons réalisé un entretien exclusif avec le maire de cette commune, M. Bassirou Bane. Ce dernier qui boucle bientôt son 4e mandat à la tête de cette commune rurale, énumère ici les nombreuses réalisations faites au profit de Kouniakary.
Toutefois, pour lui, il est nécessaire de compter sur ses propres forces plutôt que de recourir en permanence aux partenaires. C’est ainsi qu’il a demandé que chaque commune du Mali fasse un diagnostic de son potentiel économique afin de mieux le valoriser en vue de son développement harmonieux. Vous venez de clôturer la 17e édition de la Ziarra d’El Hadj Oumar Tall de Kouniakary. Quel sentiment vous anime après la tenue de cette rencontre religieuse ? M. Bassirou Bane : La Ziarra s’est bien déroulée comme les précédentes éditions. La particularité de cet événement c’est la pose de la première pour la restauration du Tata d’El Hadj Oumar Tall. Un événement historique. Vous savez, le tata a été construit en 1855 par nos parents venus du Sénégal. Aujourd’hui, le Tata est presque totalement dégradé. Le fait de participer à cette restauration en tant que responsable c’est vraiment une fierté pour nous. Nous avons enregistré la présence des fidèles musulmans venus de nombreux pays de la sous-région. Réunir ce beau monde pendant 5 à 6 jours sans incident, c’est vraiment un sentiment de satisfaction qui m’anime. Depuis le début de la célébration de ces ziarras, nous n’avons jamais enregistré une telle affluence. Qu’en est-il des personnalités qui ont effectué le déplacement cette année à Kouniakary ? M. Bassirou Bane : Cette année, nous avons enregistré la présence de leaders religieux tels que ElHadj Amadou Hadi Tall de Nioro, Cherif Sow, fils de Amadou Oumar Sow de Horé Niwa, Karamoko Lamine Bassirou Tall de Kayes, etc. Les autorités étaient également bien représentées à travers la ministre de la Culture, Mme Ndiaye Ramatoulaye Diallo et son homologue en charge de l’Urbanisme et de l’Habitat, Cheick Sidiya Sissoko dit Kalifa. Parmi les personnalités, on noter aussi la présence du sous-préfet de Séguéla venu représentant le gouverneur et le préfet de Kayes. L’histoire a fait qu’en construisant le Tata, Elhadj Omar Tall a confié la responsabilité à un certain Djby Bane. Aujourd’hui, je suis comblé en tant que maire de poser cette première pierre et en tant que membre de la famille Bane. L’histoire se répète donc. Je rends aussi hommage à la diaspora qui, en rapport avec la mairie, a eu l’initiative de commencer la restauration du Tata. Le Tata est classé patrimoine national depuis 2011. Le Mali est très vaste et le souci des autorités de restaurer ce monument est constant. Avec la crise, le début des travaux a été retardé. Voilà pourquoi la diaspora avec les fidèles musulmans venus du Sénégal, de la Mauritanie et partout dans le monde ont contribué au lancement des travaux avec les moyens du bord avant que l’Etat ne s’y mette. Je félicite la diaspora qui bien avant la décentralisation, s’est toujours souciée du développement de la commune à travers des actions concrètes. Les Ziarras ont-elles un impact positif sur la commune ? M. Bassirou Bane : La Ziarra est une fête religieuse regroupant les fidèles musulmans pour des prières et des bénédictions. Depuis le commencement de la Ziarra en 2012, nous profitons de l’occasion parce que c’est un moment de retrouvailles. Même la diaspora y participe. C’est ainsi que nous avons eu l’idée de lancer un forum pour le développement local qui se tient les deux jours suivant la clôture de la Ziarra. C’est un espace de dialogue et de concertation pour faire le compte rendu des réalisations faites de l’année écoulée et faire la programmation des actions à mener pour l’année suivante. Ce forum est devenu au fil des ans un lieu où les citoyens expriment leurs avis sur les missions confiées à la mairie. Pendant ce forum, les différentes structures de gestion de la mairie (eau, électricité, éducation, santé, infrastructure) présentent leur bilan en assemblée générale. Même la mairie présente son compte administratif. Pour nous, c’est une innovation puisque cela n’est pas fréquent dans plusieurs communes. C’est aussi une occasion pour écouter les interventions des uns et des autres qui donnent leur appréciation par rapport au travail abattu. Ils ont également la possibilité de faire des critiques objectives. Cela nous permet d’être à l’écoute de la population et de nous corriger en cas de lacune. Il s’agit d’écouter les citoyens et aller vers des actions conformes à leurs aspirations. Quand on est responsable, il faut savoir écouter les communautés. En plus de cela, chaque année, nous organisons une journée de la citoyenneté dénommée « Thialli Diambarébé » en peulh « le hangar des braves » en français. Au cours de cette journée, on demande aux citoyens de venir librement payer leurs impôts et taxes. Grâce à cette journée, chaque année, nous enregistrons au moins 25% des familles qui viennent payer leurs impôts et taxes. C’est vraiment une innovation à la Kouniakaroise. Toutes ces actions sont réalisées grâce à l’Association Endam Joumbougou, regroupant les ressortissants de Kouniakary, créée en 1989, donc avant la décentralisation pour s’occuper des actions de développement de la commune. A l’époque, j’étais le Président de la section de cette association à Kouniakary avant d’être maire. Cette association est très bien organisée et dispose de sections dans les pays où sont basés des ressortissants de Kouniakary avec un bureau de coordination basé à Bamako et assurant l’interface entre les différentes sections. Le but de l’association c’est de contribuer aux actions de développement de la commune. Cette association a également une section en France qui appuie la commune dans le cadre de l’établissement d’une coopération décentralisée avec une commune en France appelée Villetaneuse. C’est une coopération formalisée depuis 2006. De cette date à nos jours, c’est une coopération exemplaire dans la région de Kayes parce que c’est du concret car au moins un projet par an est financé par la ville jumelle. Comment faites-vous pour gérer les services sociaux de base tels que l’eau, l’assainissement, la santé, l’électricité, l’éducation, etc. ? M. Bassirou Bane : Depuis 2005, la mairie a eu à initier un projet, a cherché un financement et l’a obtenu au niveau de la coopération française, notamment le FSP Codéveloppement, qui était le fonds de solidarité prioritaire à l’époque. Depuis, la commune s’est lancée dans des actions d’assainissement. Pour cela, nous avons eu à installer un système de ramassage des ordures ménagères. Le projet porte sur la gestion de déchets liquides, solides et excrétant. C’est pour cela que nous avons mis en place un système avec des charrettes à traction animale. Il y a eu également l’aménagement de certaines voies pour la maitrise des eaux usées. A cet effet, plusieurs commissions ont été mises en place telles que le ramassage des ordures ménagères, les réalisations des voies, la sensibilisation et la règlementation. Pour cela, on a eu à travailler avec le service technique de l’Etat, notamment la direction régionale de l’assainissement et d’autres partenaires. Depuis, la commune s’est lancée dans les questions d’assainissement et a eu une expérience dans ce domaine. Raison pour laquelle vous voyez que la ville est relativement propre, même si c’est un travail continu. Actuellement, on travaille beaucoup sur le changement de comportement. D’ailleurs, à la veille de chaque Ziarra, nous organisons une journée de salubrité publique pour dégager les dépôts anarchiques. Cette année, nous avons mené cette activité avec le soutien d’une entreprise disposant de machines adaptées pour ce travail. Après la Ziara aussi, nous nous réunissons avec la population pour mettre en place des commissions de suivi pour empêcher ces dépôts. Nous avons aussi des comités d’hygiène et d’assainissement dans tous les quartiers. Mais aujourd’hui, force est de constater que la commune s’est agrandie et il va falloir s’adapter à ses changements. Lorsqu’on mettait en place l’adduction d’eau, la ville comptait environ 8 000 habitants, aujourd’hui nous en sommes à 15 000. Par rapport à cela, nous avons eu à négocier avec certains partenaires en France qui nous ont permis de réaliser un forage pour renforcer la capacité de production du château d’eau. Ce forage existe depuis une année. Là aussi, la diaspora a beaucoup contribué dans le cadre du raccordement de ce forage avec l’ancien réseau. Ce qui fait qu’il y a eu de l’amélioration. Il y a aussi un autre programme de l’Etat avec ses partenaires de la KFW visant la réhabilitation de l’adduction d’eau. Je pense qu’à ce moment, les choses iront beaucoup mieux. Nous avons également pu négocier et obtenir l’arrivée de la SOMAGEP qui devrait être là dans les prochains mois. D’ailleurs, une équipe était récemment dans la ville pour faire un état des lieux des installations. Au niveau de l’éducation, lorsque nous arrivions aux affaires, il n’y avait qu’une seule école construite dans les années 1920. De cette date jusqu’en 1999, il n’y avait qu’un seul premier cycle, non clôturé. Ce qui poussait les gens à aller étudier jusqu’à 9 km en dehors de la ville. Présentement, nous avons 2 premiers cycles clôturés, une école maternelle, un centre d’éducation pour le développement et même un collège. S’agissant de la santé, nous avons un CSCOM construit en 1999 par la population d’une valeur de 120 millions de FCFA. Aujourd’hui, c’est devenu un CSCOM universitaire où on reçoit des étudiants en médecin même de l’étranger. Pour l’électricité, nous avons l’AMADER à travers un opérateur privé appelé FSB qui est là depuis une dizaine d’années et qui offre des services d’électrification à la population. Nous n’avons que 12 heures d’électricité pendant la journée c’est-à-dire 6 heures le matin et 6 heures pendant la soirée. C’est donc insuffisant et la population a beaucoup demandé de revoir cette situation. Nous avons demandé l’aide de l’état pour renforcer cette centrale. Aujourd’hui, c’est presque un acquis parce qu’avec le programme de l’Etat visant la réalisation de centrales hybrides, notre commune a été retenue cette année. L’entreprise en charge des travaux a déjà été retenue et le démarrage est prévu incessamment. On a déjà un terrain de près de 2 hectares où seront installés environ 1000 panneaux solaires pour alimenter la ville en électricité 24h/24. Présentement, avec le système que nous avons, l’électricité coûte très chère. Avec l’arrivée de cette centrale, non seulement nous aurons de l’électricité 24h/24 mais aussi à moindre coût. Tout cela est prévu, si tout se passe comme prévu, avant la fin 2018. Qu’en est-il de la sécurité qui préoccupe aujourd’hui tous les Maliens ? M. Bassirou Bane : Pour les questions liées à la sécurité, pour le moment, nous n’avons que des brigades de vigilance volontaires qui surveillent la ville. Toutefois, il nous faut au moins un poste de police puisque la ville est devenue très peuplée. Vous imaginez la gestion d’une ville de près de 15 000 habitants sans poste de police ? Çà prouve que la paix règne entre les différentes composantes de la population. Cette année, lors de l’élaboration de notre Programmes de développement économique social et culturel (PDSEC) ce besoin a été exprimé par la population. Nous venons de boucler l’élaboration de ce programme en recommandant une forte implication des questions migratoires. Cette année, le ministère des Maliens de l’Extérieur en rapport ses partenaires ont voulu commanditer une étude d’intégration et d’implication des questions migratoires dans les Programmes de développement économique social et culturel (PDSEC) des communes. Par rapport à cela, il y a eu un appel à manifestation d’intérêt lancé entre les communes de la région de Kayes parce que c’est piloter par une ONG française du nom de GRDR. Notre commune a donc été retenue parmi les deux communes expérimentales recherchées. L’autre commune retenue c’est celle de Sandaré, dans le cercle de Nioro du Sahel. Il nous fallait donc réaliser un plan de développement concerté avec l’ensemble des acteurs, des émigrés et immigrés ont participé. Grâce à l’étude, nous sommes allées à la rencontre de migrants pour recueillir leurs priorités et leurs préoccupations afin de pouvoir les prendre en charge. C’est pour cela que nous avons organisé une rencontre à Bamako. Après on est allé à Libreville au Gabon, puis la France et le Sénégal. Pendant l’élaboration de ce PDSEC, la question de la sécurité a été au centre des échanges. Tout le monde est unanime sur la nécessité de mettre en place un poste de police dans la ville qui a grandi et que l’insécurité règne partout dans le pays. Je tiens aussi à préciser que cette question ne relève pas de notre compétence. Nous avons fait des plaidoyers auprès de l’Etat pour la mise en place d’un poste. Et la diaspora est prête à financer la construction de ce poste. Pour le moment, les communes ne disposent pas encore de polices municipales. D’autant que nous sommes encore une commune rurale bien que nous nous trouvons en milieu urbain. Quel est votre mot de la fin ? M. Bassirou Bane : Je lance un appel aux fils de Kouniakary de s’unir et de mettre en cohérence leurs actions en vue de les mettre en œuvre. Aux citoyens de s’acquitter de leurs taxes et impôts et à la diaspora de continuer le chemin qu’ils ont toujours emprunté bien avant la décentralisation. Nos moyens ce sont d’abord les ressources humaines et les potentiels économiques existant dans la commune. C’est bien de demander des aides mais il faut d’abord compter sur soi-même. Il faut un diagnostic du potentiel économique de toutes les communes pour essayer de les valoriser. C’est une fois après ce travail que les partenaires pourront aider.
Source: kibaru