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Entretien exclusif avec Dr Abdoulaye Amadou Sy, président du RAMATA-PLUS, de la COFOP et des PUR : • « Nous avons plusieurs fois alerté face aux dérives de la gouvernance…»

.   «  Demandez à toutes les institutions de la République de plier bagages et de s’en aller, cela est un coup d’Etat… »

  • « L’autorité centrale est, seule, responsable de la disparition de Soumaïla Cissé »

Le Mali traverse l’un des moments les plus difficiles de son histoire ou l’existence même du pays se trouve menacé. En plus d’une crise sécuritaire généralisée sur presque toute l’étendue du territoire, le pays se trouve actuellement confronté à une crise sociopolitique. Un mouvement politico-religieux et de la société, à travers deux  gigantesques meetings les 05 et 19 juin 2020, demande purement et simplement le départ du président de la République IBK et de son régime. Cette situation très tendue qui a paralysé la capitale et rendue le pays ingouvernable ne laisse personne indifférent. Une mission ministérielle de la Cedeao a été d’ailleurs dépêchée dans la capitale malienne pour décrypter la tension.

Face à cette situation, nous avons tendu notre micro à un grand commis de l’Etat. Il s’agit du Docteur Abdoulaye Amadou Sy. Ancien ministre des Transports et des Travaux publics, ancien ministre de tutelle des Sociétés et Entreprises d’Etat, ancien ministre des Sports, des Arts et de la Culture, ancien Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire du Mali en ex-URSS, M. Sy est un Ingénieur de classe exceptionnelle et Docteur d’Etat en Sciences économiques. Membre fondateur et président du Mouvement des populations libres, unies et solidaires/Rassemblement malien pour le travail et l’alternance (Ramata-Plus), Dr Abdoulaye Amadou Sy est le président de la Coalition des forces patriotiques(Cofop), des partis unis pour la République (PUR) et membre fondateur de la Convention des partis politiques de la majorité présidentielle (CMP).

Dans les lignes qui suivent, le président Sy explique, entre autres, les propositions que la majorité présidentielle faites à IBK pour apaiser la situation, les rencontres avec l’opposition, la délégation ministérielle de la Cedeao et surtout ses recettes pour une sortie très rapide de cette tension sociopolitique. Lisez plutôt !

Le Démocrate Mali : M. le Président, quelle lecture faites-vous de la crise sociopolitique qui prévaut au Mali ?

Dr Abdoulaye Amadou Sy : Franchement, je suis très désolé de la situation qui prévaut dans notre pays. La République du Mali mérite mieux que cela. Aux années de l’indépendance, aux Nations unies, quand le ministre des Affaires étrangères du Mali parlait, on disait que l’Afrique a parlé et tout le monde s’accordait sur le fait ce que disait le ministre malien des Affaires étrangères correspond à la voix de l’Afrique. Maintenant, je suis désolé de voir qu’à l’intérieur du Mali, il y a une discordance qui fait que finalement, nous n’arrivons pas à nous entendre. En 2013, le peuple malien, à 75%, a voté pour Ibrahim Boubacar Keïta. Je peux dire ici que si on a voté pour lui à 75%, c’est parce qu’il y avait la guerre dans le nord. On a estimé que c’est un homme à poigne qui aurait pu régler ce problème. Mais en 2018, quand il est revenu pour demander un second mandat, dès l’instant où il n’a pas pu accomplir ce rôle pour lequel il a été élu, en principe le peuple malien ne devrait pas voter pour lui. On aurait pu faire comme on l’a fait au Sénégal. Car il n’aurait pas passé au premier tour si tout le monde s’était coalisé contre lui. Cela n’a pas été le cas ; il a été élu. Dès l’instant, on l’a élu et le peuple malien lui a donné un mandat pour cinq ans, tant qu’il est vivant et les médecins n’ont pas montré qu’il est incapable de diriger le pays. C’est ce que dit la constitution. Et ça doit être remarqué par les services de santé. Alors, il est le président du Mali pour 5 ans et en aucun on ne doit demander ou exiger sa démission.

Vous êtes membre de la majorité présidentielle. Ne pensez-vous pas que vos dérives poussent aujourd’hui une frange du peuple à demander le départ de votre mentor ?

(Rires). Je suis parfaitement d’accord avec vous. Au niveau de la gouvernance, il y a des dérives. Nous qui sommes avec le président IBK, nous lui disons à chaque fois de changer sa manière de gouverner. Nous ne sommes pas d’accord avec tout ce qu’il entreprend dans le cadre de la gouvernance. Mais nous sommes de la majorité et nous l’assumons. Pour preuve, nous au niveau des Partis unis de la république (PUR), nous n’étions pas d’accord que le mandat des députés soit prorogé deux fois. Aucune autorité au Mali n’a ce pouvoir-là, selon notre constitution du 25 février 1992. Nous n’avons pas été écoutés malgré que nous sommes de la majorité présidentielle. Malgré tout ce qu’on dit sur sa gestion et sa gouvernance, nous  estimons qu’on doit le laisser le temps de terminer son mandat, tout en critiquant très sincèrement les dérives au niveau de la gouvernementale. Mais si chaque fois nous devons nous mettre dans la rue et contester le régime, chaque année on va changer de régime. Et nous ne sommes pas le seul pays dans le monde. D’autres pays travaillent avec nous. Aujourd’hui, il y a plus de cent nations qui sont au chevet du Mali dans le cadre de la Minusma, de Barkhane, du G5 et dans le cadre de la Cedeao. Nous avons plus de 100 nations présentes au Mali. Nous avons 7 voisins, quand ça ne va pas chez nous ici, ça peut dérailler dans les autres nations. On doit regarder tout ça. Donc, on doit s’entendre. Aujourd’hui, le président a ouvert les bras, a dit qu’il va former un gouvernement d’union nationale. L’autre jour, il a dit : ‘’je suis prêt à recevoir l’opposition’’. L’opposition dit non. On n’a jamais vu ça au monde. Le chef de l’Etat qui est la première institution de la nation, quand il appelle, vous venez. Libre à vous d’exprimer vos sentiments, mais vous venez. Je suis vraiment désolé. Mais demandez à toutes les institutions de la République de plier bagages et de s’en aller et faire un gouvernement de transition, c’est un coup d’Etat. Or, le coup d’Etat, notre constitution, dans l’article 121, le dit très clairement : « Le fondement de tout pouvoir en République du Mali réside dans la constitution ». La forme républicaine de l’Etat ne peut être remise en cause. Le coup d’Etat est un crime. Mais le peuple a le droit à la désobéissance civile pour la préservation de la forme républicaine de l’Etat.

La majorité aurait rencontré IBK et lui aurait fait des propositions. Lesquelles ?

Oui, nous de la majorité présidentielle nous avons rencontré le président de la République. Nous lui avons clairement dit qu’au vu de l’ampleur de la crise, il vaut mieux organiser des législatives partielles dans les circonscriptions électorales qui sont en proie à des contestations. Fort heureusement, c’est cela que la Cedeao a retenu aussi dans ses recommandations. Nous avons également dit au président IBK de faire en sorte que l’article 39 du statut des enseignants soit réglé. Car la crise scolaire a longtemps duré.  Nous avons demandé au président, c’est lui la première institution, de régler ce problème. Dieu merci, il nous a écoutés et déjà avec les enseignants, le fait d’avoir accès à l’article 39, les maitres sont revenus à l’école. Donc, ça fait baisser la tension. Pour les députés, nous attendons car, les députés, il faut qu’ils démissionnent eux-mêmes pour sauver la République. Les décisions de la Cour constitutionnelle s’appliquent, même si elles sont fausses.

Qu’est-ce que vous préconisez pour une sortie très rapide de crise ?

Je pense qu’il faut privilégier le dialogue pour une sortie rapide de cette situation sociopolitique. Il faudra impérativement tenir un dialogue franc et sincère avec les contestataires du M5-RPF.  Demandez le départ forcé d’un président de la République démocratiquement élu n’est pas une bonne solution.  Le président de la République est une institution et le mouvement du 05 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) demande à ce qu’une institution parte. Non, une institution est impersonnelle. Elle ne démissionne pas. Je pense réellement que mes amis du M5- RFP doivent savoir raison garder. Dans la situation actuelle du pays, d’abord il faudra mettre le pays au-dessus de toute considération. Ils doivent saisir la main tendue du président de la République.  Il faut la formation d’un gouvernement d’union nationale. Un vrai gouvernement d’union nationale composée par les meilleurs hommes ou femmes du pays, qui connaissent mieux le Mali et qui sont engagés à mettre leur valeur intrinsèque et compétences aux services de la nation. Conjuguons nos efforts pour sortir notre pays du gouffre. Mais surtout n’allons pas vers un coup d’Etat qui est condamné par la constitution.

Soumaïla Cissé est porté disparu depuis le 25 mars 2020. L’attente devient très longue. Quelle est votre impression par rapport à cela ?

C’est un malheur et ça nous concerne tous. Si c’est arrivé à lui, ça peut arriver à chacun de nous. Je tiens l’autorité centrale comme seule responsable de sa disparition. Nous tous étions en campagne mais c’est l’autorité centrale qui a dit : faites la campagne et bien, vous êtes sécurisés. C’est ce qui a amené Soumaïla Cissé à cela. C’est la faute de l’autorité centrale, parce que pour moi, je dis encore c’est la République que je défends, c’est le citoyen malien que je défends. Et quand il n’arrive pas à rentrer, c’est à l’autorité centrale, les mains qui ont attaché un lion devraient pouvoir le détacher. Alors, dans ces conditions, c’est l’autorité centrale d’user tous les moyens pour pouvoir ramener notre Soumaïla saint et sauf dans sa famille. Moi, je suis vraiment meurtri parce que Soumaïla Cissé, en dehors de la politique, est un voisin à moi. De sorte qu’il y a d’autres liens en dehors de la politique. De toutes les façons, il est entré en campagnes pour servir l’Etat, comme nous tous nous essayons de le faire. Si quelque chose arrive à un d’entre nous, il appartient à cet Etat de s’assumer réellement, de régler le problème.

Si vous devriez lancer un appel au président République, ça sera lequel ?

Je lance un appel pressant à la première institution, en l’occurrence le Président  la République IBK. En décembre dernier,  il y a eu le Dialogue national inclusif (DNI). De ce dialogue sont sorties quatre (4) résolutions et 118 recommandations. Toutes les critiques qui sont faites aujourd’hui par le M5-RFP sont soit dans les décisions soit dans les recommandations. Le chef de l’Etat devrait mette en place un comité chargé de veiller à l’application de ces résolutions et recommandations et il devrait les respecter. Si ce comité était mis en place et avait commencé à mettre en œuvre ces différentes recommandations, je suis sûr et certain qu’il n’y aurait pas eu toutes ces contestations.  Le peuple malien a élu IBK à la magistrature suprême à raison ou à tort.  D’ailleurs, le peuple n’a jamais tort. Mais, il l’a quand même fait. Aujourd’hui, même si certains estiment qu’il est faible physiquement et moralement… Mais c’est le peuple malien qui l’a mis là et a mis en place une constitution qui a dit comment on doit le traiter. Alors respectons-le, et il faut savoir raison garder et essayer de voir comment l’accompagner jusqu’en à la fin de son mandat, en 2023. Ceci est vraiment très important. Nous ne devons pas rester dans ces querelles et contestations, sinon le monde qui veut venir nous aider va s’abstenir car le développement (les accompagnements financiers) a peur du bruit. Personne ne viendra investir s’il sait que le pays n’est pas tranquille. Même la paix qu’on cherche dans le nord et l’accalmie dans le centre ne peuvent pas être obtenues si nous n’arrivons pas à nous entendre. La cohésion du pays, son développement et son bonheur se retrouvent dans l’entente.

Réalisée par Aliou Touré

Le Démocrate

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