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Enfants vendeurs à la sauvette : Le péril n’est jamais loin

La pratique heurtait la conscience dans notre société traditionnelle. Aujourd’hui, des parents n’hésitent pas à pousser les mômes dans la rue sans se soucier des dangers

 

Pendant les vacances de jeunes scolaires, tout comme le font d’autres enfants non scolarisés toute l’année, officient dans le petit commerce. Ce jour sabbatique d’octobre, l’horloge affiche 12 heures, un jeune autostoppeur du nom de Bassékou Traoré est, depuis quelques minutes, scotché sur place à Missabougou, á quelques encablures du 3è Pont. Il cherche à rallier Magnambougou où il réside et attend de tomber sur un gentil automobiliste ou motocycliste pour le transporter. Le môme est élève dans une classe de 5è année fondamentale et profite des vacances pour vendre á la criée du savon liquide. Il passe la journée á casser ses cordes vocales á la recherche de la clientèle jusqu’à devenir aphone par moments. Le gosse explique venir tous les jours vendre du savon liquide au marché de ce quartier périphérique, parfois accompagné de son frère cadet (âgé de 10 ans). Une fois la marchandise écoulée, il retourne á la maison de ses parents en faisant de l’autostop. Il explique avoir attrapé le virus du petit commerce et essaie de le concilier avec les études parce qu’il estime que même pendant l’année scolaire, il pratique ce petit métier pendant les week-ends. Bassékou Traoré qui semble avoir plusieurs cordes á son arc consacre parfois les samedis à l’apprentissage de coupe et couture dans un atelier de couture à Sogoniko. Le jeune orphelin explique être un soutien de famille et grâce á ce petit commerce, il arrive á soulager sa pauvre mère de certaines dépenses quotidiennes. Comme Bassékou, beaucoup d’autres jeunes enfants exercent le petit commerce, une situation qui aurait heurté les sensibilités à certaines époques, mais qui passe aujourd’hui comme lettre á la poste.

Au bord de la rue à Magnambougou-Projet, Palima Coulibaly dite Batoma marche en quête de clients. Elle porte sur sa tête un plateau rempli de bananes. Ses pieds crasseux donnent une certaine indication de la distance parcourue pendant la journée pour proposer ses fruits comestibles aux clients. «Quand je ne vais pas à l’école l’après-midi, je me promène avec des bananes. Ma mère exige que je rentre avant le crépuscule par peur des agressions physiques, voire sexuelles. J’applique la consigne á la lettre», souligne la jeune fille qui s’empresse de préciser n’avoir jamais eu de problème dans ce sens. La petite marchande ambulante parcourt les rues de Sogoniko et Magnambougou-Projet pour écouler son stock de bananes et tirer le maximum de profit. Mais la jeune adolescente, au sourire innocent, semble totalement ignorer le risque encouru en cette période d’insécurité. Aicha Saye, elle, propose du « gningnin » á sa clientèle de Kalaban-Coro Plateau, un quartier qu’elle connaît sur le bout des doigts. Elle indique n’avoir pas d’heure fixe pour rentrer au bercail. Tant que le marché prospère. Elle essaye de profiter au maximum.
Toute cette cohorte fait partie des enfants á qui, on a volé une partie de l’enfance. à leur âge, ils devraient être plutôt en train de jouer, de s’amuser au lieu de faire le petit commerce. Les spécialistes de la question que nous avons rencontrés, partagent ce point de vue et apportent les arguments et statistiques nécessaires pour étayer leur position.
Selon l’Organisation internationale du travail (OIT), 152 millions d’enfants en 2016 ont été astreints au travail. Parmi eux, 73 millions ont effectué des travaux dangereux, c’est-à-dire mettant leur vie en danger, les privant de leur enfance et nuisant à leur santé mais aussi à leur développement physique et moral.

L’Afrique figure au premier rang avec 72 millions d’enfants astreints au travail, soit 1/5 des enfants. Selon une nouvelle étude conjointe de l’Organisation internationale du travail (OIT) et du Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef), des millions d’enfants supplémentaires risquent d’être contraints de travailler du fait de la Covid-19. Ce qui pourrait conduire, pour la première fois en vingt ans, à une hausse du travail des enfants. Pour freiner le travail des enfants, l’OIT a adopté le 19 juin 1976, la Convention n°138 qui fixe l’âge minimum au travail à 15 ans (13 ans pour les travaux légers). Pour les travaux dangereux, elle en fixe le seuil d’admission à 18 ans.
Amagara Vincent Sagara, technicien de développement local à Educo-Mali, explique qu’en faisant ce commerce ambulant, les filles s’exposent au harcèlement et peuvent être victimes des prédateurs sexuels. «C’est dangereux pour leur état physique et mental», souligne-t-il. Et de poursuivre que les enfants peuvent porter souvent de lourdes charges avec lesquelles ils doivent se promener toute la journée.

L’instituteur N’faba Diawara sait que le phénomène n’est pas sans danger pour les enfants surtout ceux qui fréquentent l’école. Il cite volontiers l’exemple d’un jeune garçon qu’il encadrait dans sa classe et qui a été contraint par ses géniteurs á vendre souvent des bananes. Ce garçon qui n’était pas très intelligent passait finalement trop de temps à dormir en classe. Le pédagogue impute cette situation á ses activités extrascolaires. Il incrimine la précarité comme source de ce fléau. Selon lui, la mère du gamin qui devrait s’occuper des frais scolaires de son enfant se fait malheureusement aider par son fils pour joindre les deux bouts. Il lui faut trouver une autre alternative pour faire face aux dépenses, afin de ne pas perturber les études de son garçon. Dr Fodié Tandjigora est sociologue. Il est le chef du département sociologie et anthropologieà l’Université des lettres et des sciences humaines de Bamako (ULSHB) et fait remarquer que le commerce ambulant des enfants n’est pas un héritage culturel, bien au contraire, il doit être différencié du travail de socialisation des enfants. Il relève des contraintes liées à la vie dans les grandes villes où les parents sont souvent obligés de mettre leur progéniture à contribution pour joindre les deux bouts.
Pour le sociologue Tandjigora, les inconvénients du commerce ambulant peuvent être notamment la déperdition scolaire et le risque de déviance sociale. L’universitaire recommande aux autorités l’ouverture des centres de métiers pour adolescents, le parrainage de la scolarité des enfants démunis et la tenue des campagnes de sensibilisation pendant toute l’année sur ce péril.

Dr Ahmadou Maïga, chef du département psychologie à la Faculté des sciences humaines et des sciences de l’éducation (FSHSE), explique que le commerce ambulant des enfants est considéré comme une des formes de travail de ceux-ci. Ainsi, dit-il, le travail des enfants est défini comme étant toute forme d’activité économique exercée par eux, qui les prive de leur dignité et porte atteinte à leur développement normal, physique et psychologique. Il précise aussi que le commerce ambulant des enfants est une activité qui peut compromettre amplement leur enfance en les privant de distraction. Cela met en péril leur vie, leur enfance, leur potentiel, leur dignité, leur santé, leur scolarité et leur développement psychique.
Le psychologue argumente. Pour lui, la distraction est une méthode qui aide les enfants à s’épanouir et à jouir pleinement de leur enfance. Selon lui, le divertissement soustrait les enfants de l’anxiété, de l’égoïsme et de la jalousie.
à le croire, la manipulation de l’argent à bas âge peut probablement modifier leur comportement car ils peuvent développer un penchant, voire une obsession pour l’argent. Il ajoute que cette activité est susceptible de les rendre plus égoïstes, moins serviables et de surcroit moins généreux envers les autres. Les enfants marchands ambulants, explique Dr Maïga, sont confrontés à des actes de maltraitance, à des violences physiques et morales mais aussi á des agressions et à l’exploitation sexuelle.
Le chef du département psychologie à la FSHSE, indique que les approches psychologiques pour compenser les conséquences priorisent toujours la prévention. Il faut, propose-t-il, informer et sensibiliser les familles sur les conséquences néfastes et dangereuses du travail des enfants. Il ajoute qu’il faut également informer et sensibiliser les enfants eux-mêmes sur leurs droits, devoirs et obligations à travers les débats organisés dans les centres d’écoute.
Le boycott des produits commercialisés par les enfants, la mise en place des groupes de parole, la présentation de sketches, l’implication des chefs de quartiers et des mairies sont aussi, selon Dr Ahmadou Maïga, des actions susceptibles de lutter effacement contre le travail ambulant des enfants.

Mohamed D. DIAWARA

Source : L’ESSOR

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