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Enfants de la rue : la survie à tout prix

Bandits, voleurs, violeurs, et maladies ambulante sont des qualificatifs que l’on entend très souvent pour désigner les enfants de la rue.

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Des enfants, dont on ne connaît pas vraiment le nombre, errent tous les jours dans les rues, affrontant les affres d’un milieu hostile et prêts à tout pour survivre. Les histoires de ces enfants sont tantôt révoltantes, tantôt touchantes. Plongée dans le Bamako underground, où se prostituer est parfois une nécessité, se droguer un mal nécessaire et la violence monnaie courante.

Samedi 27 mai 2017, sur le terrain de football détrempé de Quinzambougou, se tient une rencontre à la saveur particulière. Les deux équipes sont formées par d’anciens jeunes de la rue dans une compétition qui regroupe des enfants issus de centres d’accueil. Au terme d’un match âpre, les deux équipes se quittent sur un score de parité. Mais le résultat final reste anecdotique. L’essentiel est ailleurs. « Le plus important pour nous est que les enfants puissent s’épanouir. Les éloigner de la rue et les aider à s’exprimer de manière plus saine, c’est tout ce qui importe », confie Nany Rolland Peru, coordinateur du projet sport à Action enfant de tous de Ségou (AET). Un joueur parmi les autres capte l’attention. À 16 ans, il impressionne par son jeu. « À chaque voyage de mon père, je me faisais maltraiter par ma mère. J’ai alors décidé d’aller habiter chez des amis », raconte Niasser Yattara. Après avoir subi des humiliations de la part de ceux chez qui il s’était réfugié, il opta finalement pour la rue. « J’ai dormi quelque temps à la gare routière avant que l’équipe de AET Ségou, ne vienne m’aider. Ce fut une véritable chance pour moi », explique-t-il. « C’est une de nos grande fierté. Il fait aujourd’hui une formation professionnelle en menuiserie bois, et il étudie en même temps dans l’espoir de devenir médecin. Nous comptons beaucoup sur lui. Il a beaucoup d’avenir », s’enthousiasme Peru. Difficile à croire, mais il y a encore peu, tous ces enfants survivaient dans la rue.

Les faibles s’écrasent « Dans la jungle, seuls les plus forts survivent ». Cette assertion prend tout son sens dans la rue. Dans la vaste fourmilière qu’elle constitue et où se côtoient prostitués, drogués, alcooliques et pick pockets, tous les moyens sont bons pour survivre. « La majorité de ces enfants sont sujets aux prises de toxiques, ce qui les conditionne plus tard à la violence et à des maladies mentales », explique Jean Douba Koné, ancien directeur de AET Ségou. Pour mieux appréhender la situation, nous avons embarqué dans un véhicule médicalisé du Samu social pour une maraude.

Première étape, un cabinet médical du quartier de Banconi. À l’entrée, une jeune fille chétive se précipite sur l’équipe de 3 personnes, son bébé dans le dos. Ancienne résidente de la rue, elle a été admise dans le cabinet en état de choc. Quelques jours plus tôt, elle a perdu son conjoint des suites d’une fièvre. Téléphone en main, elle montre à qui veut bien les photos du défunt, sourire forcé sur le visage. « Lorsqu’on l’a recueilli, elle ne voulait rien faire, ne dormait pas, et répétait sans cesse de l’amener auprès de l’infortuné », souffle le Dr Youssouf Togola. L’intervention d’un psychiatre aura donc été nécessaire pour lui apporter un peu de quiétude. « Elle m’a confiée vouloir retourner en famille. Nous allons entamer une médiation dans les jours à venir pour l’y aider », renchérit-il. Nous continuons notre périple social, direction la place de taxi en face du restaurant Amandine, dans le quartier de Badalabougou. À peine le véhicule arrêté, six jeunes l’entourent déjà. Check à l’américaine avec les membres de l’équipe et beaucoup de bonne humeur affichée. La relation de confiance semble elle totale. Pieds nus, l’un d’eux se présente avec une blessure à l’abdomen. Il est pris en charge par le Dr Togola. Ce genre d’intervention est fréquent pour les équipes du Samu social. « Pour les petites blessures, nous le faisons sur place, mais pour ceux qui nécessitent plus d’attention, nous travaillons avec des centres médicaux partenaires, où les enfants seront traités jusqu’à guérison », détaille notre interlocuteur. Deuxième arrêt, marché rose de Bamako, en face de l’immeuble que surplombe l’enseigne Euro Décor. À la vue du Samu social, une dizaine d’enfants stoppent leur match de football improvisé sur la route, pour venir à sa rencontre. Un des membres de l’équipe, Alassane Sogodogo, les prend en aparté pour les sensibiliser concernant certaines maladies infectieuses (VIH, tuberculose), puis de la bouillie leur est distribuée.

Dernier arrêt du soir, près de la cathédrale. Là, l’ambiance est différente. La tension y est palpable suite à un conflit entre deux garçons lié à un pari sur un jeu de cartes. L’un menace l’autre de mort. L’équipe du Samu, qui tente vainement de calmer les esprits, s’interroge sur leur agressivité exacerbée qui pourrait être causée par des substances toxiques. « Tous les sites ne sont pas pareils, certains enfants sont difficilement contrôlables. Quand ils passent trop de temps dans la rue, il faut tout leur réapprendre », lâche, fatigué, le Dr Togola.

Enfin, le cap est mis sur la grande mosquée, face à l’Assemblée nationale. L’un des sites les « plus dangereux », selon nos facilitateurs du soir. La présence de bandits, dont l’un d’eux tente de nous obliger à stopper le véhicule, nous dissuade finalement d’y faire un arrêt…

Compte tenu de ce terrain hostile qu’est la rue, on peut donc légitimement se demander, pourquoi ces enfants la choisissent. À 16 ans, Mamadou Samaké est un rescapé. Issu d’une famille très pieuse, il quitte le domicile de ses parents à 11 ans pour échapper à un quotidien familial difficile et tente l’aventure dans la rue. « Mon père était marabout. Lorsqu’il a commencé à vieillir, mes frères ont pris le relais et ils étaient très méchants. Ils aimaient fouetter », se remémore-t-il. À la fin d’une journée de mendicité, alors qu’il regagne son domicile avec le maigre butin de 125 francs CFA, il reçut 40 coups de fouets en punition qui lui ont durement lacéré le corps. « J’avais un ami qui, depuis sa naissance, vivait dans la rue. Je l’ai donc suivi ». Pour sa première soirée, il prit quartier à « Rail da » avec son compagnon. « J’ai regardé la télévision et joué aux jeux vidéo toute la soirée. Je n’avais jamais connu ça », repense-t-il avec bonheur. Mais très vite, les réalités de la rue le rattrapent. Pour se faire de l’argent, ils commencent à agresser et à dépouiller de leurs biens les infortunés passants dans le secteur. « Les plus âgés nous intimaient l’ordre d’aller subtiliser des téléphones. Souvent, nous suivions des personnes durant des jours pour connaître leurs habitudes et lister leurs biens de valeurs. Ensuite, on les braquait ». Pour ce faire, ils disposaient d’armes blanches pour menacer, voire blesser. Respirer de la colle pour chaussure leur permettait de « décoller » avant leurs méfaits. D’autres vont même plus loin. « Il y a des enfants qui mettent de la colle dans leur sandwich pour la manger », témoigne Mamadou Touré, président de l’ONG Sinjiya-ton, qui vient en aide aux enfants de la rue et qui a recueilli Mamadou Samaké dans son centre (voir page 6).

Des corps meurtris Mais beaucoup n’ont pas cette chance et restent livrés à eux-mêmes dans des conditions peu enviables. L’insalubrité de leurs habitats de fortune les expose à diverses maladies. « Il y a beaucoup d’enfants qui souffrent d’infections respiratoires, parce qu’ils dorment dans des environnements très sales, sans protection. Ils sont aussi à la merci des moustiques », précise le Dr Bakary Coulibaly du Samu social. En cette saison des pluies, certains n’ont pour seul rempart que de vieux sacs de riz. « Nous n’avons pas de couverture. Nous nous blottissons dans des sacs, collés les uns aux autres pour nous réchauffer un peu, mais ça ne suffit pas vraiment. Le vent souffle fort dehors », confirme un jeune de la rue. Les filles, plus vulnérables, sont souvent exploitées sexuellement. À 10 ans, Sira a déjà perdu son innocence. Il y a un an, elle tapinait dans la rue, poussée par des proxénètes qui abusaient de sa jeunesse. De la crème à lèvre lui servait de lubrifiant, ce qui ne l’empêchait nullement d’avoir mal. Elle fut recueillie par l’ONG Sinjiya-Ton qui l’a libérée de son esclavage. Une souffrance qu’elle partage avec Diamina Dembélé. Aujourd’hui âgée de 15 ans, et parlant toujours d’elle à la troisième personne, elle se remémore difficilement le calvaire qu’elle a subit. « Mon tout premier soir, dans la rue, j’ai été la victime collatérale d’une bagarre entre drogués. Des bouts de métal m’ont perforé la jambe ». Avec sa blessure, elle a erré huit jours. Sa jambe gonflait, et l’odeur putride liée à l’infection empestait. « J’ai vraiment cru à un moment que j’allais mourir. Je ne sentais plus mon corps ». Elle est sauvée par une personne de bonne volonté, qui la reconduisit dans sa famille. Mais « ma mère m’a accusée d’entretenir des relations charnelles avec le monsieur, et m’a traitée de tous les noms ». Humiliée, elle se fit la promesse de ne plus jamais rentrer chez elle.

Pourtant, pas de tranquillité dans la rue, où dormir un œil ouvert serait un conseil avisé. Dans un sommeil profond, Abdoul est réveillé par une intense douleur. Il ouvre les yeux, c’est l’effroi. Son ventre vient d’être ébouillanté par du sable, préalablement chauffé. Son tort : avoir bousculé un comparse sans s’être excusé… « Cela arrive tout le temps. Pour une histoire de mégot de cigarette ou de joint. Il y a des règlements de comptes très violents », conclut Touré de Sinjiya-Ton. C’est pourtant ce lieu hostile dont ils sont la proie permanente que certains enfants choisissent, le préférant à l’enfer de leur maison.

 

Source: journaldumali

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