Le continent importe massivement les denrées qu’il consomme. De nombreux pays ont pris des mesures rapides pour décourager la spéculation.
La fermeture en cascade des frontières partout dans le monde et sur le continent africain pour endiguer la diffusion du covid-19 a vite fait de susciter la crainte d’une flambée des prix alimentaires et de possibles pénuries sur les principales denrées de base que l’Afrique est contrainte d’importer massivement pour subvenir aux besoins d’une population en forte croissance et de plus en plus urbaine.
Les Africains n’ont pas oublié la crise de 2008-2009 partie d’Asie après une succession de mauvais épisodes climatiques. La hausse des prix du riz, suivie par celles des autres céréales avait débouché sur des « émeutes de la faim ». Aujourd’hui, on ne craint pas les mauvaises récoltes, mais un virus qui pourrait laisser les bateaux de marchandises à quai et les camions qui sillonnent les pistes des régions les plus enclavées à l’arrêt devant les postes frontières.
Depuis le port de Douala, le Cameroun approvisionne en marchandises et en vivres le Tchad, la Centrafrique, le Gabon. Après avoir annoncé, le 17 mars, la fermeture de ses frontières « terrestres, maritimes et aériennes », le Cameroun s’est empressé de préciser, face à l’inquiétude de ses voisins, que les camions de marchandises pourraient continuer à circuler après le contrôle sanitaire des chauffeurs. Douala-Bangui est la seule route pour desservir la Centrafrique. Ce pays enclavé, toujours en proie à l’insécurité, pourrait difficilement vivre sans utiliser cet axe. Les paysans chassés de leurs terres pendant la guerre civile n’ont pas encore tous regagné leurs champs. En cette période de saison sèche, la rivière Oubangui par laquelle transitent habituellement le carburant et le bois n’est pas praticable. Le Gabon, qui a lui aussi décrété la fermeture de ses frontières, laissera également passer les camions. « Il est impossible pour nous de tout fermer. La grande majorité de ce que nous consommons vient de l’étranger » rappelle le porte-parole du gouvernement, Jessye Ella Ekogha.
Flambée des prix
Dans plusieurs capitales, les citadins qui en ont les moyens se sont rués dans les supermarchés pour faire des stocks. Pâtes, riz, huile, papier toilette, savon… à Abidjan ou à Dakar, les chariots se sont remplis des mêmes produits que dans les autres métropoles du monde entier. Les grandes enseignes étrangères telles Auchan ou Carrefour n’ont jamais connu cela depuis leur installation au Sénégal. Au Maroc, les souks ont été pris d’assaut.
Mais la plupart des gouvernements ont réagi rapidement en prenant des mesures pour rassurer les populations et prévenir la spéculation. En Côte d’Ivoire, le ministère du commerce a fait savoir que le pays dispose de sept mois de consommation de riz en stock, de cinq mois de tomates, de quatre mois de lait, de cinq mois de sucre et de trois mois de viande. Et a demandé aux Ivoiriens de ne pas modifier leurs habitudes de consommation en prêtant le flanc « à des opérateurs économiques véreux ».
Au Rwanda, un communiqué officiel fixant le prix maximum des denrées de base a été publié pour couper court à un début de flambée des prix sur le riz importé de Tanzanie, l’huile, mais aussi les fruits et légumes locaux. Le prix des citrons a doublé, car beaucoup de Rwandais croient qu’il est possible de soigner le covid-19 avec cet agrume. Au Maroc, le gouvernement a rappelé qu’en prévision du ramadan qui débutera fin avril, des stocks ont déjà été constitués. Pour faciliter les approvisionnements, il a néanmoins autorisé les producteurs de fruits et légumes à vendre directement leurs récoltes aux grandes surfaces sans passer par les marchés de gros. En Algérie, les exportations de produits alimentaires ont été interdites et un contrôle des prix, avec des amendes pour ceux qui enfreindraient la règle, a été décidé.
En Afrique du sud, le gouvernement a annoncé, jeudi, les premières mesures de rationnement et de régulation des prix. « La hausse des prix ne devra pas excéder l’augmentation de celui des matières premières ou des intrants et les bénéfices (des opérateurs) ne devront pas être supérieurs à ceux réalisés dans la période précédant immédiatement l’épidémie de coronavirus », a précisé le ministère du commerce, Ebrahim Patel. « Tous les détaillants devront prendre des mesures pour limiter la quantité de produits de base vendue à chaque client », a-t-il aussi indiqué. Une liste de 22 produits, parmi lesquels des gants en latex et des solutions hydroalcooliques, a été publiée. Le président Ramaphosa avait appelé deux jours plus tôt les Sud-Africains à « se retenir de faire des achats excessifs » et inutiles compte tenu de « stocks maintenus de manière continue en Afrique du Sud ». Quant à Madagascar, l’Etat a fait savoir qu’il réquisitionnerait les stocks des commerçants profitant de la crise pour augmenter abusivement leurs prix. Les grandes entreprises de distribution se sont officiellement engagées à respecter les tarifications.
Climat et criquets
Ces mesures suffiront-elles à contrôler des dérapages de prix trop importants ? Jusqu’à présent, la crise ne s’est pas traduite par un regain d’inflation qui pénaliserait en premier les populations les plus pauvres. Un quart des Africains se trouve déjà dans une situation de sous-alimentation, vivant au jour le jour, repas après repas. En Ethiopie, la production de teff, une céréale locale, offre une alternative à l’importation de denrées importées. Elle n’est cependant pas suffisante pour nourrir une population de 100 millions d’habitants qui devra cette année subir de surcroît les conséquences de l’invasion massive de criquets pèlerins sur la Corne de l’Afrique. Plus de 8 millions de personnes ont besoin d’aide humanitaire en Ethiopie.
Dans un rapport publié en juillet 2019 sur la souveraineté alimentaire du continent, l’organisation non gouvernementale GRAIN rappelait qu’au lendemain de la crise alimentaire de 2008-2009, « plusieurs initiatives majeures visant à accroître la production alimentaire nationale avaient été lancées ». Certaines d’entre elles étaient continentales, comme la stratégie « Nourrir l’Afrique » de la Banque africaine de développement (BAD). D’autres, régionales, comme « L’Offensive Riz » de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), ou nationales, comme la « Grande Offensive agricole pour la nourriture et l’abondance » (GOANA) lancée par l’ancien président du Sénégal, Abdoulaye Wade. Certains pays avaient alors créé des réserves alimentaires, augmenté leurs droits de douane à l’importation pour protéger les producteurs locaux, introduit des quotas, formé leurs agriculteurs à des méthodes plus productives. Le Mali avait atteint l’autosuffisance en riz.
Mais l’ONG constatait aussi que, hormis quelques réussites, beaucoup de projets avaient avorté. L’objectif d’indépendance alimentaire s’avère de plus en plus lointain pour les pays africains qui doivent désormais compter avec les conséquences du dérèglement climatique.