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Emmanuel Macron, au risque de la rupture avec les Français

“Je prends mon risque”, aime à dire Emmanuel Macron. Adepte des coups de poker, ce jeune président qui a voulu dynamiter la vie politique et a réussi à surmonter d’innombrables crises a peut-être pris le risque de trop.

Après la dissolution de l’Assemblée nationale, son ex-Premier ministre Edouard Philippe a eu ce jugement lapidaire: “C’est le président de la République qui a tué la majorité présidentielle”.

 

La Macronie “dissoute” par Macron? Voire Macron fossoyeur du macronisme, comme l’affirment de plus en plus ouvertement observateurs, opposants et même alliés du chef de l’Etat?

 

La décision choc de convoquer des élections législatives au soir de la déroute de son camp aux européennes a en tout cas servi d’accélérateur à une fin de règne perceptible dès le début de ce second quinquennat contrarié par l’absence de majorité absolue.

 

Jadis adulé par ceux qui ont accompagné son ascension fulgurante, respecté par ceux qui l’ont rejoint une fois au pouvoir, Emmanuel Macron, qui risque de ne plus avoir tous les leviers au lendemain du 7 juillet et ne pourra briguer un troisième mandat en 2027, est aujourd’hui lâché ou toisé par de nombreux soutiens.

 

Ce rejet, spontané et sans complexe, transpire chez bon nombre de Français, ouvrant un peu plus la voie à l’extrême droite.

 

“C’est pas que je supporte Jordan Bardella mais je veux que Macron soit le plus humilié possible”, lance sans détours un quinquagénaire qui a voté Rassemblement national aux européennes.

 

“Le dégagisme s’installe”, grince François Patriat, qui fut l’un des premiers fidèles et restera parmi les derniers quoi qu’il advienne.

 

Pour le patron des sénateurs macronistes, “il y a une volonté de vengeance des politiques qui n’ont pas supporté son arrivée”.

 

“Ancien monde”

 

Il faut dire qu’elle a secoué l'”ancien monde” alors moqué par son entourage.

 

Né à Amiens, où il rencontre sa future épouse Brigitte, de vingt-cinq ans son aînée, ce fils de médecins a multiplié les audaces, et les réussites, pour aller à la conquête de Paris.

 

Avec toujours la même confiance en lui, fondée peut-être sur sa transgression initiale. “Il est tombé amoureux de sa prof de théâtre à 16 ans, il a dit qu’il allait l’épouser et il l’a épousée. C’est costaud quand même”, avance un ancien camarade de l’ENA.

 

Lorsqu’il choisit en 2016 de s’émanciper de François Hollande, le défi paraît impossible pour cet inspecteur des finances qui a travaillé auprès du philosophe Paul Ricoeur avant d’être enrôlé par le président socialiste, à l’Elysée puis comme ministre de l’Economie.

 

Mais il le fait, crée En Marche! – EM, comme ses initiales – pour personnaliser l’aventure. Et, le 7 mai 2017, le candidat qui promeut dans son livre la “Révolution” remporte l’élection présidentielle à seulement 39 ans.

 

Même à 46 ans aujourd’hui, les tempes blanchies après sept ans passés à l’Elysée, Emmanuel Macron reste le plus jeune président de la Ve République.

 

“Je suis le fruit d’une forme de brutalité de l’Histoire, une effraction car la France était malheureuse et inquiète”, dira plus tard celui qui se présente comme un “indécrottable optimiste”.

 

“Président des riches”

 

Au soir de la victoire, après une lente marche solitaire au son de l’hymne européen, il s’engage devant la Pyramide du Louvre à “tout” faire pour que les Français “n’aient plus aucune raison de voter pour les extrêmes”.

 

Un serment qui le poursuivra, à mesure que montera le RN, aujourd’hui aux portes du pouvoir.

 

Venu de la gauche sociale-libérale, Emmanuel Macron est élu au centre sur la promesse d’un “dépassement” progressiste des clivages traditionnels.

 

Sa doctrine économique a une constante inébranlable: la politique de l’offre pro-entreprises. Et un dogme: le refus des hausses d’impôts, fût-ce pour mettre à contribution les ultrariches.

 

Il défend l’image du “premier de cordée”, celui qui réussit et peut tirer les moins aisés dans sa montée. C’est ce qui justifie la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), et qui vaut d’emblée à l’ex-banquier d’affaires chez Rothschild l’étiquette de “président des riches”.

 

La retraite à 64 ans, imposée au forceps malgré une contestation rare dans la rue et au Parlement, vient renforcer cette image.

 

“Si j’aimais l’argent”, “j’aurais pas fait de politique”, répond-il.

 

Le président en est persuadé, son bilan économique parle pour lui: la réindustrialisation, avec ce titre tant vanté de pays le plus attractif d’Europe pour les investissements étrangers; et la fin du chômage de masse, dont on parle trop peu à ses yeux.

Il aimerait qu’on le crédite pour les premiers succès de son “écologie à la française”, mais autour de lui, on reconnaît un discours “beaucoup trop techno”.

 

Il ne cesse de rappeler le dédoublement des classes en CP et CE1, mais admet qu’il n’est pas allé assez loin pour “l’émancipation” et “l’égalité des chances”.

 

“Grand Européen”

 

Et puis, Emmanuel Macron est aussi un président de crises. Affaire Benalla, gilets jaunes, Covid-19, guerre en Ukraine, émeutes urbaines… Le “retour du tragique dans l’Histoire” qu’il narre dans ses discours, il l’affronte en première ligne.

 

Autant de crises dont il arrive tant bien que mal à se sortir.

 

Les “grands débats” pour apaiser la “France des ronds-points” contribuent à forger l’idée d’un président qui ose “aller au contact”. La réouverture des écoles malgré la pandémie, en mai 2020, s’avérera être la bonne intuition.

 

En Europe, sa voix porte, même quand elle heurte.

 

“Il ne faut pas chipoter. Il est le grand Européen de son époque”, applaudit Daniel Cohn-Bendit, alors même qu’il a pris ses distances.

 

Pour l’écologiste franco-allemand, “le problème de Macron c’est parfois son caractère, être persuadé d’avoir raison”. Cet “hubris” dénoncé par feu Gérard Collomb, l’ex-maire de Lyon qui avait quitté le ministère de l’Intérieur en mettant en garde contre le “manque d’humilité” des macronistes.

 

A force de vouloir être en première ligne, le chef de l’Etat, que ses conseillers diplomatiques présentent volontiers en président-médiateur, est souvent incompris.

 

Lorsque Moscou envahit l’Ukraine, en février 2022, le soutien de la France à Kiev est à l’unisson de l’Occident. Mais Emmanuel Macron agace nombre d’alliés en continuant à dialoguer avec Vladimir Poutine et en appelant à ne “pas humilier la Russie”.

 

Deux ans plus tard, c’est l’inverse: en refusant d’exclure l’envoi de troupes sur le sol ukrainien, le président français s’attire les critiques occidentales.

 

Vers la droite

 

Emmanuel Macron a une formule pour décrire le macronisme: “en même temps” de gauche et de droite. Mais au fil du temps, il s’est déplacé de plus en plus à droite, au risque d’être taxé d’opportunisme.

 

Le même qui s’inspire d’un vieux slogan du Nouveau Parti anticapitaliste pour se faire réélire en 2022 (“nos vies valent plus que leurs profits”) reprend, plus tard, celui de l’extrême droite version Eric Zemmour, “pour que la France reste la France”. De l’art de la “triangulation”, qui consiste à aller picorer sur les terres lexicales ou idéologiques des adversaires pour leur couper l’herbe sous le pied.

 

La loi sur l’immigration, votée fin 2023 avec les voix de l’extrême droite qui applaudit une “victoire idéologique” sur la “préférence nationale”, scelle déjà un point de non retour pour beaucoup de “marcheurs” historiques.

 

“Il tourne le dos au logiciel doctrinal de 2017 et aux valeurs humanistes”, se désole alors son ex-conseiller spécial Philippe Grangeon.

 

Pour un membre influent de son entourage, pourtant, point de “tournant droitier”: “le président s’adapte à une opinion qui est mouvante”.

 

“Il a une plasticité, une incroyable confiance en lui qui est en même temps sa force et sa faiblesse”, analysait Marine Le Pen, sa double rivale au second tour de la présidentielle avec laquelle s’est installé un face-à-face durable.

Petites phrases

D’autres lui reprochent d’avoir, ainsi, contribué à la montée des extrêmes.

 

Lui répond qu’il a, par deux fois, battu l’extrême droite dans le scrutin suprême.

 

Avec des résultats variables, il a multiplié les initiatives – des gadgets, disent ses détracteurs – pour se sortir des moments difficiles, contourner ces corps intermédiaires qu’il juge responsables d’une forme d’inertie, ou surmonter l’absence de majorité absolue du second quinquennat.

Mais la méthode de gouvernement de ce président “jupitérien” reste verticale. Et, s’il s’est un peu assagi et a esquissé quelques mea culpa, les petites phrases des débuts sur les “Gaulois réfractaires au changement” ou les chômeurs qui n’auraient qu’à “traverser la rue” pour trouver un emploi ont laissé des traces. “Il y a un paquet de gens qui pensent que je suis hautain”, admet-il.

Pourtant, ce boxeur peut avoir le contact chaleureux.

“Il est extraordinairement séduisant dans la relation directe donc il vous entourloupe”, raconte un soutien historique. “Est-ce qu’il ne s’entourloupe pas lui-même?”

A l’heure de la dissolution, le poids de son entourage, essentiellement masculin, dans ce palais du 55 rue du Faubourg Saint-Honoré qui enferme et isole, est plus décrié que jamais.

“Il a toujours préféré les coups, et leur effet de +blast+, aux conséquences d’une décision”, lâche un ex-conseiller de l’exécutif. “Il n’a pas de réseaux de terrain. Les gens auprès de lui sont pareils, ils ne représentent pas l’humeur du temps”, renchérit un ancien ténor du gouvernement.

Rares sont ceux qui osent lui dire qu’il a tort. Brigitte Macron en fait partie. “Elle a toujours été un agent de tempérance”, résume son camarade de l’ENA.

Emmanuel Macron balaie ces critiques: “Les décisions les plus lourdes, vous les prenez seul”.

AFP

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