Le dernier congrès du Haut conseil islamique, tenu la semaine dernière, a étalé sur la place publique les divergences au sein de cette instance, et dans le milieu islamique de Bamako. Politisation à outrance du Haut conseil, jeux d’intérêts, lutte de clans… autant de maux qui provoquent une atmosphère délétère dans cet organisme censé sceller l’unité des musulmans du Mali.
Avec la réélection de Mahmoud Dicko, la contestation est vite arrivée par le président de l’Union des jeunes musulmans du Mali qui pointe un doigt accusateur sur le président de la République, qui aurait fait réélire son ami Dicko. Mais, la politisation de l’islam au Mali est porteuse de dangers pour la stabilité du pays. Cette politisation ne date, malheureusement, pas d’aujourd’hui.
La dérive a commencé en 2002, lorsqu’un groupe de religieux musulmans a pris ouvertement position pour Ibrahim Boubacar Kéïta lors de l’élection présidentielle. La consigne de voter celui-ci a été donnée dans toutes les mosquées de Bamako. Pour montrer leur force, ces religieux avaient investi le stade du 26 mars pour soutenir le grand meeting organisé par les partisans d’IBK, pour contester les résultats de l’élection. Ils n’attendaient, scandaient-ils, que le feu vert du candidat malheureux pour mettre Bamako à feu et à sang.
Mais aussitôt Amadou Toumani Touré installé, ils s’alignent derrière lui. Le président compose alors avec les musulmans, tout en leur donnant trop de libertés.
Ainsi, durant tout le mandat d’ATT, les musulmans ont quasiment dicté leur loi. Les leaders islamistes étaient au soin du président, et à l’instar de tous les chefs religieux, ils étaient consultés sur toutes les questions d’intérêt national.
Qui ne se rappelle encore de l’affaire du Code des personnes et de la famille qui avait failli éclabousser la République en 2001. La levée de bouclier des musulmans, qui avaient créé une atmosphère délétère dans le pays, avait fait craindre le pire. L’autorité de l’Etat était sapée jusque dans ses fondements. Les institutions de la République, à commencer par le président (ATT) et le Premier ministre (Modibo Sidibé), étaient critiqués, voire injuriées grossièrement sur les antennes de radios et dans les différentes mosquées de Bamako par des leaders musulmans. Sentant l’odeur d’un complot, le président ATT dut le déjouer en renvoyant le document incriminé pour une seconde lecture à l’Assemblée nationale. Tous leurs amendements ayant été pris en compte, le Hci fouette les diables pour la promulgation du code par le président qui était à quelques encablures de son départ du pouvoir. Pour faire monter le mercure, le Haut conseil islamique dévoile sa force de mobilisation en organisant, le 12 janvier 2012, un meeting au stade du 26 mars. Ce jour-là, toutes les autorités morales du Hci se relayent à la tribune pour réclamer (exiger) la signature du président au bas du texte. Ce que fit ATT quelques jours plus tard. Que se serait-il passé si le président Amadou Toumani Touré avait décidé de garder la première mouture du code ? Quid de son refus de promulguer le texte ? Le Haut conseil islamique était-il manipulé ? Par qui ? Avec le recul, des pistes se précisent.
Toujours est-il qu’après le renversement d’ATT, les musulmans ont qu’ils ne peuvent plus se passer de politique et des délices du pouvoir, notamment en faisant allégeance à la junte de Kati. Mahmoud Dicko, Ousmane Madani Haïdara et d’autres têtes d’affiche du haut conseil islamique, ont tous défilé, sans forcément y être invités, chez Amadou Haya Sanogo pour gagner la sympathie de la junte. C’est dire que durant toute la transition, les musulmans ont continué de plus belle leur implication dans le jeu politique ou tout au moins à courtiser le pouvoir. Sous Dioncounda Traoré, le nom de l’imam Dicko était même sérieusement cité pour présider la Commission Dialogue et Réconciliation au moment où il se murmurait que Mgr Jean Zerbo, Archevêque de Bamako, aurait décliné l’offre. Mais, le président par intérim de la transition avait su finalement éviter au pays le scénario catastrophe.
Avec IBK, on peut dire sans risque de se tromper que la politisation de la religion musulmane a atteint son comble. Car, en plus de ce que nous décrions tout au long de cet article (l’islam qui embrasse la politique), aujourd’hui, c’est la politique qui s’engouffre dans le landerneau de l’islam. En effet, nul n’ignore que lors de la Présidentielle de juillet 2013, des chefs religieux maliens ont appelé à voter IBK. Celui-ci l’a d’ailleurs rappelé avec force conviction récemment à l’occasion de l’ouverture du 2ème congrès du Hci. Justement, c’est là où intervient le deuxième cas de figure avec l’ingérence notoire du président de la République dans l’élection du président du Haut conseil islamique. Le sortant, l’imam Mahmoud Dicko, qui rempile, est considéré comme le candidat du pouvoir. Ces assises ont fait couler beaucoup d’encre et de salive.
On prête à IBK d’avoir financé à hauteur de 25 millions de FCFA la campagne de Mahmoud Dicko (le fidèle des fidèles du président), et d’avoir reporté exprès le congrès, pour ensuite le programmer quelques heures après dans les conditions que la tendance de Thierno Hady Oumar Thiam, l’autre candidat, n’a pas du tout apprécié. Il y avait anguille sous roche.
Cette implication partisane du pouvoir dans l’organisation et l’issue du congrès a créé une fissure entre les musulmans. Et pour cause, le président de l’Union des jeunes musulmans du Mali, Mohamed Macki Bah, a déclaré dans la presse locale qu’un autre bureau du Haut conseil islamique, tendance Thierno Hady Thiam, verra bientôt le jour.
Jeux d’intérêts…
A sa suite, Schoïla Bayaya Haïdara, a enfoncé le clou avec des propos fracassants sur les antennes d’une radio de la place. Dans ces conditions, où va notre pays ? Dans une guerre religieuse. Le Mali a-t-il besoin aujourd’hui d’une telle scission ? Pas du tout.
A l’analyse du comportement des chefs religieux musulmans, on en déduit aisément que ceux-ci n’agissent pas pour défendre les intérêts des musulmans, ou pour dénoncer les pratiques contraires aux préceptes de l’islam. Mais, ils s’agitent pour leurs propres intérêts, au prix de divisions, de cassures et de scissions. Or, il est dit dans le coran que les musulmans sont comme un mur qu’on doit préserver de toute fissure pour ne pas permettre aux margouillats de s’y engouffrer. Mieux, notre prophète (Psl) dit que : « Nous, les musulmans, devons tenir une seule corde de Dieu, et tout faire pour éviter de s’entredéchirer ». Est-ce le cas aujourd’hui ? Non, nos leaders religieux, censés nous guider sur le bon chemin de Dieu et du prophète (Psl) mettent plutôt en évidence leurs intérêts.
Si les leaders musulmans dévient de leur chemin, qu’apprendront les fidèles analphabètes en termes de connaissance de l’islam ? Rien.
Pourtant, dans notre société, les sujets ne manquent pas pour occuper les chefs religieux musulmans. Pour preuve nous assistons depuis des années à une prolifération de l’homosexualité masculine et féminine, et en aucun moment les musulmans ne sont sortis pour dénoncer ces pratiques.
Aujourd’hui, que Dieu nous en garde, il faut craindre une confrontation inter religieuse, parce que cette fissure entre les musulmans a déjà dépassé le cadre de l’élection du bureau du Haut conseil islamique, pour prendre les allures d’un affrontement entre les confréries des Wahhabites et des Tidjani. Personne ne peut mesurer les conséquences d’un éventuel affrontement entre les deux tendances. Et ce qui est plus grave, c’est que le président IBK a résolument choisi son camp, celui de …son ami Mahmoud Dicko.
O. Roger Sissoko