Les Etats-Unis ont beau exprimer leur “effroi” sur le bilan des droits de l’homme en Egypte, ils n’en défendent pas moins leur alliance militaire avec cette pièce maîtresse de la diplomatie américaine dans le monde arabe depuis 35 ans.
Le dilemme de Washington à l’égard du Caire reste le même depuis le Printemps arabe de 2011 : comment concilier la défense des idéaux démocratiques et un partenariat “stratégique” avec ce géant arabe pilier de la stabilité au Proche-Orient.
“Ce n’est pas blanc ou noir”, a résumé lundi la porte-parole du département d’Etat Marie Harf, interrogée sur l’ambivalence de son gouvernement à l’égard de l’Egypte.
La justice égyptienne a condamné trois journalistes de la télévision Al-Jazeera à des peines de 7 à 10 de prison. Quelques heurs plus tôt, en visite dimanche au Caire, le secrétaire d’Etat John Kerry s’était dit “confiant” quant à la livraison très prochaine à l’Egypte de dix hélicoptères militaires Apache et son département d’Etat avait confirmé que 572 millions de dollars d’aide venaient d’être débloqués.
Les Etats-Unis allouent chaque année à leur grand allié arabe 1,5 milliard de dollars, dont quelque 1,3 milliard en aide militaire. Cette assistance avait été gelée en octobre et conditionnée à des réformes démocratiques après la destitution en juillet 2013 du président islamiste Mohamed Morsi, suivie d’une terrible répression contre ses partisans.
Le tombeur de M. Morsi, l’ex-chef de l’armée Abdel Fattah al-Sissi, a été élu président fin mai et John Kerry lui a bien fait part des craintes des Etats-Unis quant au respect des libertés publiques. Depuis Bagdad lundi, le chef de la diplomatie américaine a même jugé “effrayante et draconienne” la condamnation contre les journalistes d’Al-Jazeera. La Maison Blanche a demandé qu’ils soient graciés et l’ONU, le Royaume-Uni, les Pays-Bas et l’Australie ont vivement protesté.
Mais une fois son “inquiétude” exprimée, John Kerry n’a pas remis en cause la manne versée à l’armée égyptienne, qu’il avait lui même qualifiée il y a un an de “meilleur investissement” réalisé par les Etats-Unis dans la région.
– “Relation compliquée” –
De fait, a justifié Marie Harf, les Etats-Unis et l’Egypte ont une “relation compliquée”.
“Nous pouvons exprimer nos inquiétudes sur les droits de l’homme et dire aussi notre intérêt commun à fournir de l’aide” militaire destinée à la lutte “antiterroriste”, notamment dans la péninsule du Sinaï, bastion de groupes jihadistes”, a-t-elle défendu.
“Ce que nous faisons en Egypte et partout ailleurs consiste à trouver un équilibre entre ces intérêts (…) stratégiques communs (…) et de sécurité nationale pour les Etats-Unis”, a argumenté la diplomate américaine.
Soutiens pendant trois décennies des régimes autoritaires des présidents Sadate et Moubarak, les Etats-Unis ont fait de l’Egypte le pivot de leur diplomatie régionale, notamment comme garants du traité de paix israélo-égyptien de mars 1979. Le Caire fut le premier pays arabe — avant la Jordanie en 1994 — à faire la paix avec Israël, ce qui en avait fait un allié stratégique de Washington.
Cette alliance n’a jamais été fondamentalement remise en cause, même si elle connaît un vrai coup de froid sur la question des droits de l’homme depuis le renversement du président Morsi il y a un an.
Et bien que ce dossier contentieux va continuer de peser lourd dans la relation américano-égyptienne, Washington paraît disposé à mettre ses critiques en sourdine, relèvent des analystes.
Pour la chercheuse Amy Hawthorne, de l’Atlantic Council, “il y a peu de chance qu’une telle approche ait un effet positif sur la situation politique de l’Egypte, de la même manière qu’elle n’a eu aucun effet sur Moubarak”.
Alors que la défense des droits de l’homme et de la démocratie est une priorité de l’administration de Barack Obama, “tout indique que l’Egypte marche dans la direction exactement opposée, vers le renforcement d’un nouveau régime autoritaire”, déplore cette ancienne cadre du département d’Etat, dans la revue Christian Science Monitor.
© 2014 AFP