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EDM-SA : Une fraude de plus de 43 milliards FCFA dans la caisse

L’enquête sur les opérations de dépenses exécutées et les contrats et conventions d’exploitation d’électricité mis en œuvre par la société Énergie du Mali (EDM-SA) durant les périodes 2012, 2013, 2014 et le premier semestre de 2015 ont mis à nu une fraude record de 43 milliards (43 283 496 795F) de francs CFA dans la caisse de l’Énergie  du Mali.

Les fouilles « archélogico-financières » réalisées à l’EDM-SA sont sans appel : surfacturations à la pelle, vols et détournements de fonds. Auxquels s’ajoutent, des dépenses injustifiées et le changement des règles de la comptabilisation, d’une année à l’autre. Autant de pratiques qui selon les enquêteurs ont précipité la société Énergie du Mali dans l’abîme. Avec à la clé, plus de 43 milliards de francs CFA qui ont pris une destination, jusque-là, encore inconnue.

Décidemment, les responsables de cette mauvaise gestion à la Direction Générale de l’EDM-SA et leurs complices sont mal barrés. Le gouffre financier creusé au niveau de cette structure dépasse l’entendement. D’où la paralysie du service à tous les niveaux. Ou presque. Pire, la société doit plusieurs dizaines de milliards à ses créanciers.

En clair, la société Énergie du Mali dans son histoire n’a jamais connu une telle hémorragie financière. Pire, elle n’a jamais été confiée à des personnalités, aussi controversées que les responsables de cette gabegie: pendant des lustres, les caisses ont coulé. Comme le fleuve Niger dans son lit. Les détournements n’ont pas été comptabilisés en centaines de millions. Mais en milliards de nos francs.

La société Énergie du Mali n’a pas seulement perdu de sa superbe. Elle  a été vidée de son âme, vendue au diable. Et jusqu’aujourd’hui, elle n’affiche qu’une image de ruine et de désolation. Et pour cause : jamais, les gaffes au sein de ce service n’ont atteint un tel degré.

D’où le lieu pour des enquêteurs de séjourner à l’EDM-Sa pour s’assurer de la régularité et de la sincérité des opérations de dépenses ainsi que de la conformité des contrats et conventions pendant les périodes 2012, 2013, 2014 et le premier semestre de 2015.

Des défaillances dans la gestion

Nos sources sont formelles : les opérations de dépenses et de conformité des conventions et contrats d’exploitation de l’électricité mis en œuvre par la Société EDM-SA ont relevé des dysfonctionnements et des irrégularités financières qui se sont traduits par des manquements dans lesdites opérations.

En effet, le Ministère Chargé de l’Énergie et la Commission de Régulation de l’Énergie et de l’Eau (CREE) n’ont pas exercé leurs prérogatives dans le cadre de la mise en œuvre de la convention de concession conclue entre l’État et la société SOPAM ENERGIE-SA. Ces deux entités, chargées notamment du contrôle de l’application par les opérateurs du secteur de leurs obligations contractuelles, ont le pouvoir de leur adresser des mises en demeure et de prononcer des sanctions en cas de manquement. Or, le concessionnaire SOPAM ENERGIE-SA n’a pas pu assurer toutes ses obligations financières et techniques aussi bien pour les études d’implantation que pour la construction et l’exploitation de la centrale. Au demeurant, la construction de la centrale a été achevée en mai 2011 alors qu’elle était prévue pour août 2007. L’inapplication des prérogatives de contrôle a engendré une mauvaise qualité du service public concédé.

Le Ministère chargé de l’Environnement ne s’assure pas du respect, par le concessionnaire, des mesures de protection de l’environnement. Bien que les activités de SOPAM Énergie-SA soient susceptibles de porter atteinte à l’environnement et à la qualité du cadre de vie, elles n’ont pas été soumises à une autorisation préalable du Ministre chargé de l’environnement. En effet, lors de l’implantation de la centrale thermique, SOPAM Énergie-SA n’a pas effectué d’études d’impact environnemental et social conformément aux dispositions en vigueur. De plus, SOPAM Énergie-SA ne dispose pas de centre de traitement des déchets et n’a pris aucune mesure pour arrêter le rejet, dans la nature, des déchets huileux générés par la centrale. Ce manquement a causé des dommages à l’environnement ayant impacté la qualité de vie des populations avoisinantes.

Sur le plan des opérations de dépenses, EDM-SA procède à des recrutements non conformes. Elle a recruté des profils qui ne sont pas compatibles avec les emplois occupés et dépassant les besoins exprimés. De plus, EDM-SA applique, sans justification, des traitements salariaux différents à des agents occupant les mêmes emplois et ayant la même ancienneté. Le recrutement au-delà des besoins exprimés et le non-respect des critères de recrutement ne permettent pas à la société d’atteindre ses objectifs de performance et peuvent alourdir les charges de personnel.

Plus grave, EDM-SA ne s’assure pas de la qualité des combustibles acquis. Son laboratoire d’analyse ne dispose pas d’équipements permettant d’apprécier des paramètres tels que la teneur en soufre des combustibles livrés par les fournisseurs d’hydrocarbures, ce qui est déterminant pour leur qualité. En effet, sur 14 paramètres concernant la densité et la viscosité du combustible, seulement deux (2) font l’objet d’analyse par le laboratoire, s’agissant du fuel lourd Concernant le gasoil, sur 11 paramètres de contrôle requis, seulement deux font l’objet d’analyse. De plus, les combustibles livrés dans les Centres de l’Intérieur ne font pas l’objet d’analyse, contrairement aux procédures et aux clauses contractuelles. L’absence de contrôle systématique de tous les combustibles destinés aux centrales de EDM-SA ne permet pas de s’assurer de leur conformité aux caractéristiques exigées et peut conduire à une augmentation des coûts d’entretien et de réparation des équipements. Le non-respect de ces normes de qualité peut également engendrer une pollution environnementale.

Non plus, EDM-SA n’effectue pas de contrôles fiables sur les quantités de combustibles réceptionnées. En effet, la plupart des compteurs utilisés pour le dépotage dans les centrales sont en mauvais état de fonctionnement. Ils sont, soit bloqués, soit en mauvais état de marche, parce qu’ils n’ont pas été calibrés depuis plus d’un an. Par contre, dans certains centres de l’intérieur, il n’existe pas de compteur pour le dépotage depuis la conclusion des contrats annuels de fourniture de combustible en 2012.

Par conséquent, durant les exercices sous revus, EDM-SA a réceptionné et payé plus de 408,76 millions de litres de combustibles, soit l’équivalent de chargements pour 7 431 citernes de 55 000 litres, qui n’ont pas fait l’objet de mesure par des compteurs fiables et régulièrement étalonnés.

Par ailleurs, pour les centrales ne disposant pas de compteurs de mesure, la procédure prévoit l’utilisation de taquets comme instruments de mesures. Cependant, même dans les cas où EDM-SA a recouru à des mesures de quantité par ces taquets, les bordereaux de livraison et de réception ne font pas mention d’informations portant sur la valeur des creux des compartiments des camions citernes, l’état des plombs et l’appréciation des taquets, comme exigé. L’absence et le mauvais état des instruments de mesure et de contrôle fiables des quantités de combustibles réceptionnés et payés ne permettent de maîtriser la quantité contractuelle de carburant réellement acquise. Et ce n’est pas tout, loin s’en faut.

Même les achats ponctuels injustifiés d’hydrocarbures par l’EDM-SA ne sont pas de nature à tempérer les curiosités. Cependant, les achats ponctuels ou spot sont des opérations d’acquisition de combustibles qui interviennent en cas d’urgence comme la rupture de stock ou la défaillance des fournisseurs disposant de contrats annuels de fourniture d’hydrocarbures. Or, EDM-SA a conclu des achats spots, en l’absence de justification pour le recours à un tel mode d’acquisition.

D’embrouilles en magouilles

À  titre illustratif, durant l’exercice 2013, la Direction Générale d’EDM SA a effectué 231 achats ponctuels d’un montant total de 28,87 milliards contre 2,07 milliards FCFA pour des contrats réguliers de fourniture annuelle d’hydrocarbures. En outre, EDM-SA n’a pris aucune disposition pour s’assurer de la qualité des combustibles ainsi acquis. Le non-respect des conditions exigées pour passer des achats spots peut constituer une source de favoritisme dans leur attribution.

La Direction Générale d’EDM-SA effectue des paiements en l’absence des pièces justificatives exigées. Les liasses de demande de paiement ne contiennent pas l’ensemble des pièces justificatives requises comme la copie de la déclaration D24, des documents de chargement, ou des Bons de Livraison. En outre, des documents de chargement ont été admis comme pièces de réception par EDMSA.   À titre d’exemple, deux fournisseurs utilisent les documents de chargement du dépôt chargeur comme Bordereau de Livraison et, de surcroît, aucun autre fournisseur ne joint la copie de la D24 à la liasse des pièces justificatives de la demande de paiement. Le paiement des contrats d’achat d’hydrocarbure en l’absence des pièces exigées viole les dispositions contractuelles et peut conduire à une fraude sur les quantités livrées et les montants facturés.

Des cadres pris la main dans le sac

Le Directeur Général d’EDM-SA a effectué des dépenses non éligibles. Il a conclu et payé un contrat ne rentrant pas dans le cadre des activités d’investissement et d’exploitation d’EDM-SA. Cette dépense, qui n’a pas de lien avec l’objet social de la Société, est relative à des travaux de réalisation d’un système d’adduction d’eau. Le montant de ces dépenses irrégulières s’élève à 36,83 millions FCFA. Le Directeur Général d’EDM-SA a effectué des dépenses irrégulières. Il a pris en charge des dépenses non prévues par le contrat d’achat d’énergie et la convention de concession conclus avec SOPAM Énergie-SA. En effet, il a exécuté des dépenses d’investissement et de fonctionnement relatives entre autres au personnel, à l’entretien et à la mise à niveau des groupes de SOPAM Énergie SA, qui n’est ni une de ses filiales ni une société dans laquelle elle a une prise de participation. En outre, SOPAM Energie-SA n’a pas été en mesure de livrer à EDM-SA la quantité contractuelle d’électricité prévue. Le montant total de ces dépenses irrégulières effectuées au profit de SOPAM Énergie-SA s’élève à 25,30 milliards de FCFA.

Le Ministre de l’Énergie et de l’Eau et le Directeur Général d’EDM-SA ne recouvrent pas les pénalités contractuelles dues par SOPAM Énergie-SA. Selon les dispositions de la convention de concession établie entre l’État et SOPAM et du contrat d’achat d’énergie y afférent, en cas de défaillance du fournisseur sur tout ou partie de ses obligations ainsi que de consommation spécifique de combustibles et de lubrifiants, à l’exclusion des cas de force majeure, l’acheteur appliquera des pénalités. Or, la construction de la centrale a été achevée en mai 2011 alors qu’elle était prévue pour août 2007, soit plus de trois ans de retard. Les conventions et contrats prévoient pour de tels manquements, l’application de pénalités de retard se chiffrant à 500 000 FCFA par jour. Ces pénalités s’élèveraient à 768 millions de FCFA au titre du retard pris dans la livraison de la centrale et 16,10 milliards de FCFA correspondant à l’énergie non fournie.

Le Directeur des Finances et de la Comptabilité d’EDM-SA n’applique pas de pénalités sur des contrats dont l’exécution a pris du retard. Contrairement aux dispositions contractuelles, il n’a pas appliqué de pénalités de retard sur 22 contrats de travaux et d’acquisition de biens et services qui n’ont pas respecté la date de livraison ou de réception convenue. Le montant correspondant à ces pénalités se chiffre à 25,26 millions de FCFA.

Et comme si cela ne suffisait pas, le Directeur Général d’EDM-SA et le Maire du District ont autorisé des paiements indus dans le cadre de l’exécution d’un contrat et de son avenant portant réhabilitation des ouvrages d’éclairage public et de l’illumination des édifices et façades se trouvant sur les axes des routes reliant l’Aéroport de Sénou à Koulouba. Ils ont autorisé le paiement intégral des montants dus au fournisseur alors que les travaux n’étaient pas entièrement exécutés. Ainsi, ce fournisseur a reçu le paiement d’un montant de 1,50 milliard de FCFA alors qu’il n’a exécuté le contrat qu’à hauteur de 488,58 millions de FCFA. Il en résulte des travaux non réalisés d’un montant de 1,01 milliard de FCFA. À ces travaux non exécutés mais intégralement payés, s’ajoutent la somme de 50,71 millions de FCFA relative aux pénalités de retard non appliquées dans le cadre dudit contrat et de son avenant.

Pire, le Directeur Général d’EDM-SA exécute irrégulièrement des contrats annuels d’achat d’hydrocarbures. En effet, il n’a pas mis en place la garantie à première demande correspondant à la facturation groupée de 60 jours de livraison exigée dans le contrat. Ce manquement a conduit les membres du groupement à suspendre l’exécution dudit contrat. Au lieu de régler ce différend avec les fournisseurs contractuels, il a plutôt effectué des achats spots de 1,07 million de litres destinés à quatre centrales, parallèlement à l’existence du contrat annuel de 100,60 millions de litres destinés aux mêmes centrales, mais suspendu pour défaut de garantie. Le choix de procéder à des achats ponctuels plutôt que de constituer une garantie a engendré un surcoût de 53,81 millions de FCFA pour EDM-SA.

Aussi, le Directeur Général d’EDM-SA ne s’assure pas de l’apurement des déclarations d’enlèvement direct (D24). Il s’agit d’une procédure simplifiée d’enlèvement direct accordée à des importateurs leur permettant de livrer, avant le paiement des droits et taxes dus au cordon douanier. Dans le cas des fournisseurs d’EDM-SA qui bénéficient d’exonérations pour le compte de la société, la réglementation en vigueur précise qu’à titre exceptionnel, cette D24 doit être souscrite, pour un délai de 20 jours francs, par un commissionnaire en douane désigné par l’importateur et agréé à ladite procédure. En outre, elle doit être contresignée par le bénéficiaire de l’exonération. De plus, conformément aux dispositions des contrats annuels de fourniture de combustibles, EDM-SA et le fournisseur doivent, chacun, nommer, dans les quinze jours précédents la date de livraison initiale, deux représentants et leurs suppléants au sein d’un comité de suivi chargé d’approuver au moins une fois par trimestre les états mensuels de la situation des livraisons, des comptes, et des régularisations des D24.

Contrairement à cette procédure, 518 D24 n’ont pas été apurées et les livraisons y afférentes n’ont également pas été effectuées. Ces enlèvements directs, totalisant 13,48 millions de litres de combustibles, ont permis à des fournisseurs d’être exonérés du paiement des droits et taxes dus au cordon douanier. Le manque de suivi des D24 accordées aux fournisseurs d’EDM-SA est de nature à favoriser la fraude fiscale et compromet la sincérité des exonérations accordées à ces fournisseurs.

Et comble de la « bouffecratie », le Directeur des Finances et de la Comptabilité d’EDM-SA n’intègre pas des éléments dans la base de détermination de l’Impôt sur les Traitements et Salaires. En effet, en violation des dispositions du Code Général des Impôts, il n’intègre pas des avantages comme les consommations d’électricité accordées à son personnel.

Au tant de pratiques frauduleuses qui selon les enquêteurs ont occasionné une perte sèche de plus de 43 milliards FCFA dans la caisse de la société Énergie du Mali. D’où une dénonciation de faits au procureur relativement aux paiements irréguliers imputés à la redevance d’éclairage public pour 942,62 millions de FCFA.

En attendant, les responsables de cette mauvaise gestion ont chaud. Leurs complices aussi. Accablant.

Cyrille Coulibaly

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